Édition du 23 avril 2024

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Élections fédérales 2015

Bloc québécois : les aléas d’une campagne qui ne lève pas ...

Rien ne va plus pour le Bloc québécois. Les sondages sont désastreux. Ils lui accordent 13% des intentions de vote, de 0 à 4 sièges à la Chambre des communes. Les plus optimistes fixent l’horizon d’une victoire morale à 12 députéEs. Il y a des raisons structurelles qui expliquent cette situation, nous y reviendrons. Mais, ici, nous nous contenterons de montrer que le Bloc québécois a réussi durant cette campagne électorale à se placer en porte à faux face aux aspirations de la majorité populaire au Québec et qu’il en paiera le prix.

Le slogan du Bloc québécois, « Qui prend pays prend parti » l’illustre. Ce n’est pas un slogan de lutte pour la majorité de la population québécoise. Ce n’est pas un slogan ciblant les politiques néolibérales et conservatrices. Ce n’est pas un slogan démontrant la volonté d’en finir avec les attaques contre l’environnement. Ce slogan manifeste la volonté de ramasser les bases bloquistes (et péquistes) pour consolider l’hégémonie des élites nationalistes sur le mouvement indépendantiste. Voilà pourquoi Duceppe et Péladeau sont maintenant un duo inséparable. Voilà pourquoi Gilles Duceppe navigue à vue de nez sur les enjeux réels de cette campagne.!

L’incompréhension du Bloc québécois des aspirations à se débarrasser du gouvernement conservateur

Les politiques d’austérité qui s’attaquent aux services publics (Radio-Canada y compris), des politiques énergétiques propétrolières qui menacent notre environnement, la multiplication des lois antisyndicales, le mépris affiché contre les compétences québécoises et contre la langue française en particulier... ont nourri dans la population du Québec une volonté profonde de se débarrasser du gouvernement Harper.

Pourtant face à cette aspiration, la campagne du Bloc québécois a bien mal commencé. La rhétorique contre la diabolisation de Harper et le refus de faire une quelconque différence entre les différents partis politiques fédéralistes n’ont pas trouvé un écho significatif. Gilles Duceppe s’est même dit prêt à soutenir tout parti politique fédéral qui formerait un gouvernement minoritaire s’il parvenait d’en obtenir des concessions pour le Québec. Il n’est donc pas étonnant que le Bloc se soit montré incapable de capter le vote anti-conservateur et qu’il ait perdu l’appui de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ). La logique de défense des intérêts du Québec dans l’opposition n’a visiblement pas rallié de façon importante. La correction que Gilles Duceppe vient de faire, sur le fait qu’il n’envisageait aucun soutien à un éventuel gouvernement conservateur est bien tardif et ne va pas effacer comme par enchantement la politique menée sur ce sujet depuis le début de la campagne.

Un ralliement à la lutte contre le tournant pétrolier, un engagement circonstantiel ?

D’emblée le Bloc québécois a affirmé sa volonté de s’opposer à la construction de l’oléoduc d’Énergie Est. En cela, il répondait clairement à des aspirations de secteurs importants de la population du Québec et cela lui permettait de stigmatiser les atermoiements inacceptables du NPD qui se contentait d’exiger une évaluation environnementale pour donner son accord, se refusant par là de clairement condamner la production de pétrole tiré des sables bitumineux dont l’exploitation et l’usage (au-delà d’accidents éventuels liés à son transport), seront désastreux favorisant le réchauffement climatique.

Pourtant, ce ralliement est pour le moins douteux et risque d’être fort circonstanciel, tenant le temps d’une campagne électorale. On se rappellera que le Bloc québécois n’avait dit mot lorsque le gouvernement Marois s’était empressé de rencontrer la première ministre de l’Alberta et avait apporté son aval à la construction d’un pipeline pour transporter le pétrole de l’Alberta jusqu’au Nouveau-Brunswick. Il n’avait dit mot lorsque le gouvernement péquiste avait soutenu l’exploitation du pétrole à Anticosti ou dans le golfe St-Laurent.

Lorsqu’il était candidat à la direction du Parti québécois (PQ) Pierre Karl Péladeau, l’allié indéfectible de Duceppe avait alors déclaré que le pétrole est un atout majeur pour la souveraineté et qu’il ne pouvait « purement et simplement “discarter” un potentiel énorme pour faire du Québec un pays riche et un pays prospère. », le Bloc n’avait trouvé rien à redire. En la mi-juin 2015, encore, Pierre-Karl Péladeau n’écartait pas son soutien à la construction de l’oléoduc d’Énergie Est, avant de se rallier, dans la journée même, à la nouvelle position du PQ qui rejetait sa construction. Pierre-Karl Péladeau ne semblait pas avoir encore compris qu’il y a un discours qu’on doit tenir dans l’opposition et un autre quand on est au pouvoir. Avec un tel allié, on peut convenir à quel point, la position du Bloc risque d’être circonstancielle.

Le soutien à la logique guerre du gouvernement Harper

Gilles Duceppe sait surprendre. Il se montre maintenant favorable à la mission militaire contre l’État islamique. Plus, il n’écarte même pas l’idée d’appuyer l’envoi de troupes au sol si des alliés le décidaient. Le candidat du Bloc québécois dans Québec Charles Mordret critique le NPD qui privilégie la voie diplomatique et stigmatise une telle position qui relèverait pour lui de la naïveté. Voilà que le Bloc couvre le détournement par le gouvernement Harper de ressources publiques colossales pour la guerre.Voilà que le Bloc reprend la rhétorique du gouvernement Harper sur la lutte au terrorisme. Voilà que le Bloc soutient une action qui s’inscrit dans une volonté de reconquête néocoloniale du Proche-Orient et de ses richesses en pétrole. Même Pierre Dubuc, rédacteur de l’Aut’Journal, un vieil allié du Bloc, se fend d’un éditorial dénonciateur sur cette politique de soutien aux grandes puissances. Soutenir le cours militariste du gouvernement conservateur, et cela pour quelques votes, il y a de quoi troubler la sérénité de quelques-uns des partisans du Bloc québécois.

Et le refus d’un combat unitaire contre le cours répressif et antidémocratique de l’État fédéral

Le Bloc québécois s’avère tout à fait incapable de comprendre la nécessité d’alliance avec des couches de la majorité populaire à l’échelle de l’État canadien pour dénoncer l’accaparement des richesses par le 1% de la population et pour s’opposer à la politique d’austérité. Il ne comprend pas la nécessité de l’alliance avec les forces progressistes du Canada anglais pour s’opposer au cours répressif du gouvernement conservateur (loi C51, loi C-377).

Le NPD propose la réforme du mode de scrutin par l’instauration d’un scrutin proportionnel mixte. Que dit le Bloc québécois sur ce sujet ? Rien jusqu’ici. Son silence repose-t-il sur le choix que Parti québécois de retirer une telle mesure de son programme ? On peut le penser.

La campagne électorale du Bloc ou comment tourner le dos aux tâches de l’heure

Le refus du Bloc québécois d’inscrire son action, sur la plupart des enjeux, dans la construction d’un front de résistance aux politiques de l’État fédéral est patent. Les manœuvres électoralistes sont au poste de commande de la machine bloquiste. Faire refluer pas tous les moyens, y compris en se solidarisant sur la question de la guerre aux politiques d’Harper, la vague orange voici ce qui semble sa seule préoccupation.

L’orientation du Bloc québécois participe de la volonté de sauver le bloc souverainiste sous hégémonie péquiste...Elle exprime l’incompréhension de la nécessité de construire un front de résistance pancanadien face aux politiques austéritaires de l’État canadien. Elle manifeste l’incompréhension de la nécessité de l’unité des forces progressistes à l’échelle de l’état canadien pour un « virage vert pour la justice sociale » comme nous y inviter des personnalités québécoises et canadiennes dans le manifeste « Un grand bond vers l’avant » [1]. Cette orientation véhicule la fausse prétention que l’élection de députéEs bloquiste à la Chambre des communes conduira au renforcement de la lutte indépendantiste alors que l’expérience a démontré, qu’il y a toujours eu une adaptation du Bloc aux structures de l’État fédéral et qu’il n’a jamais fait avancer réellement la lutte pour l’indépendance. Au contraire, à cause même de son axe stratégique central soit la défense des intérêts du Québec, il a concentré des éléments autonomistes qui se sont tournés contre les éléments plus radicaux du mouvement indépendantiste. Rappelons-nous la passivité attribuée au Bloc québécois dans la lutte pour l’indépendance par Mario Beaulieu au moment où il a pris la tête du Bloc québécois avant reculer sous la pression du Parti québécois de Péladeau.

Le Bloc québécois s’est survécu. La défaite de 2011 avait marqué son impertinence pour une majorité de QuébécoisEs, y compris, pour nombre de souverainistes. 2015 démontrera que le camp de l’indépendance doit se reconstruire sur de toutes nouvelles bases, liant la lutte contre l’État fédéral à la lutte pour un Québec indépendant défendant un projet de société égalitaire, écologique, féministe et anti-impérialiste. Les élites nationalistes ne sauront, dans ce cadre, garder la haute main sur la lutte indépendantiste.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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