18 août 2025 | alencontre.org
https://alencontre.org/ameriques/amelat/bolivie/bolivie-le-tournant-a-droite.html
Ce qui était prévisible s’est produit : 23 ans de domination du Mouvement vers le socialisme (MAS, gauche) ont pris fin. Le vote nul, appelé par Evo Morales, a atteint environ 19% et s’est classé quatrième. Ce fut le meilleur résultat des différents groupes de gauche issus de la récente implosion du MAS et en lice dans la course.
La surprise est venue du vainqueur des élections, qui n’était aucun des favoris, mais Rodrigo Paz, invité par le Parti démocrate-chrétien (PDC), qui a obtenu 31,7% des voix avec un investissement minimal dans la campagne et en partant d’une intention de vote de 3% au début de l’année. La remontée de Paz s’est principalement produite au cours des deux dernières semaines de la campagne grâce à sa capacité à attirer les électeurs indécis, qui ont été nombreux jusqu’à la fin. C’est pourquoi il n’a pas été repéré par les sondages officiels.
Rodrigo Paz est le fils de l’ancien président Jaime Paz Zamora [1989-1993] et occupe actuellement le poste de sénateur représentant le centre droit ; il a également été maire de la ville de Tarija [sud de la Bolivie]. Figure de second plan de la politique de ces dernières décennies, il s’est présenté comme une alternative de renouveau par rapport aux autres candidats souhaitant « sortir du cycle du MAS » et s’est associé à un tiktokeur populaire, l’ancien policier Edman Lara. Paz et Lara ont remporté une large victoire dans la ville d’El Alto [dans le prolongement et au-dessus de La Paz, ayant plus d’habitants que la capitale], principal bastion populaire, ainsi que dans d’autres villes et zones rurales de l’ouest du pays, attirant ainsi les votes des secteurs qui faisaient auparavant confiance au MAS.
L’ancien président Jorge « Tuto » Quiroga, membre actif du groupe international de droite Liberté et Démocratie, qui comprend José María Aznar [Etat espagnol, PPE] et Iván Duque [président de Colombie de 2018 à 2022], entre autres anciens présidents néolibéraux hispano-américains, est arrivé en deuxième position. Quiroga a obtenu 27,3% des voix, ce qui lui a suffi pour se qualifier pour le second tour.
Le troisième était l’homme d’affaires Samuel Doria Medina, qui n’a obtenu que 20% des voix malgré avoir été en tête des sondages pendant toute la campagne. C’est pourquoi il a été le plus touché par la « guerre sale », tandis que Paz a profité de sa position en retrait et n’a pratiquement pas été victime d’attaques numériques.
Evo Morales a appelé à voter blanc, faisant passer le taux d’abstention de 4% habituellement à 19%. On peut donc dire que les partisans de l’ancien président, principalement ruraux, ont représenté environ 15% de l’électorat lors de cette élection. Ce n’est pas un mauvais chiffre si l’on tient compte de l’usure dont a souffert la personne de Morales au cours de la dernière décennie en raison de son obsession pour la réélection et des accusations judiciaires qui pèsent contre lui.
Si Morales n’a pas participé, ce n’est pas par manque de volonté, bien au contraire ; il en a été empêché par les blocages du président Luis Arce qui, après leur rupture en 2022, a cherché à le disqualifier afin de s’emparer à la fois du parti (le MAS) et de la candidature présidentielle de la gauche bolivienne. Il y est parvenu, mais une grave crise économique a éclaté en cours de route et la popularité d’Arce en a tellement souffert qu’il n’a pas pu se présenter non plus.
Dans le même temps, Morales s’est efforcé d’empêcher quiconque d’autre que lui ne représente ses partisans aux élections. Il a donc déclaré « double et triple traître » un troisième dirigeant, Andrónico Rodríguez, et a appelé à voter nul afin de lui ôter le plus d’oxygène électoral possible pour son « erreur » d’avoir imaginé une gauche sans lui à sa tête. La mauvaise campagne menée contre Rodríguez (8% des voix) et les attaques des « evistas » [partisans d’Evoa], qui l’ont harcelé, lui et ses candidats, surtout dans le Chapare, bastion de Morales mais aussi région où vit Rodríguez, ont joué en sa défaveur. Dimanche, il a voté dans cette région au milieu des acclamations, des bagarres et des jets de pierres.
En résumé, lors de ces élections, la gauche s’est livrée à un « jeu perdant-perdant » qui lui coûtera probablement cher. Le prochain gouvernement changera certainement les politiques étatistes actuelles pour résoudre la crise économique et pourrait exécuter le mandat d’arrêt lancé contre Evo Morales pour le viol présumé d’une adolescente de 15 ans à Yacuiba, en 2016, alors qu’il était président et âgé de 56 ans. Ce mandat n’a pas été exécuté jusqu’à présent car l’ancien président se trouve réfugié au cœur du Chapare, entouré d’une garde prétorienne prête à se sacrifier pour son leader.
La chute de la gauche bolivienne s’inscrit dans le « virage à droite » que connaît l’Amérique du Sud après les victoires de Javier Milei en Argentine et de Daniel Noboa en Equateur. Quiroga et le candidat à la vice-présidence le capitaine Edman Lara reflètent tous deux ces nouvelles tendances. Le premier a promis qu’« aucune entreprise publique ne restera entre les mains de l’Etat » et qu’il supprimera la propriété collective de la terre, qui existe depuis l’époque du vice-roi Toledo, au XVIe siècle. Lara est partisan de la « main de fer » contre la corruption et la criminalité.
La somme des votes nuls, ceux d’Andrónico et ceux du MAS, qui a présenté l’ancien ministre d’Arce Eduardo del Castillo (3,3%), indique que la gauche bolivienne aurait pu résister si ses luttes internes et le sectarisme de ses dirigeants ne l’en avaient pas empêchée. (Article publié dans El Pais en date du 18 août 2025 ; traduction rédaction A l’Encontre)
Fernando Molina est l’auteur, entre autres, de Historia contemporánea de Bolivia (Gente de Blanco, Santa Cruz de la Sierra, 2016) y El racismo en Bolivia (Libros Nóadas, La Paz, 2022).
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d’avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d’avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre











Un message, un commentaire ?