Tiré de Courrier international.
C’est un peu comme si l’université de Toronto était en train de se muer en refuge pour les universitaires américains experts de l’autocratie et du fascisme, souligne le quotidien canadien The Globe and Mail.
Trois professeurs de la prestigieuse université Yale – tous trois virulents critiques du président Donald Trump – occupent en effet désormais des postes d’enseignement à la Munk School of Global Affairs & Public Policy, le département des affaires internationales et des politiques publiques de l’université de Toronto, rapporte le journal.
La semaine dernière, le professeur de philosophie américain Jason Stanley, expert du fascisme et de la propagande, a en effet annoncé qu’il quittait lui aussi les bancs de Yale pour ceux de l’université de Toronto. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages remarqués, dont Les Ressorts du fascisme, paru en 2022 en France aux éditions Eliott.
Il vient y rejoindre le couple d’universitaires spécialisés dans l’histoire de l’Europe de l’Est et de l’Union soviétique, Marci Shore et Timothy Snyder, qui ont déménagé à Toronto l’été dernier dans le cadre d’un congé sabbatique et pour lesquels “la réélection de Donald Trump a lourdement pesé dans leur décision de rester au Canada” et d’enseigner à l’université de Toronto.
“Sonner l’alarme”
Ces universitaires américains ont non seulement choisi de s’exiler, mais ils utilisent leurs nouvelles chaires pour “sonner l’alarme” sur les dérives de l’administration Trump, notamment ses attaques contre l’enseignement supérieur aux États-Unis, ainsi qu’exprimer “leurs craintes face à la montée de l’autoritarisme au sud de la frontière”, souligne le quotidien canadien. Début février, l’historien Timothy Snyder a été l’auteur d’un post très remarqué sur la plateforme Substack, dans lequel il dénonçait le coup d’État numérique en cours de Donald Trump et Elon Musk.
C’est aussi ce que fait le professeur de philosophie Jason Stanley dans une longue interview accordée au magazine américain Vanity Fair et publiée ce 31 mars. Dans cet entretien, il confesse quitter Yale à regret pour rejoindre le Canada, devenu, en quelque sorte, “l’Ukraine de l’Amérique du Nord”.
Il y souligne notamment que l’Amérique de Trump est de plus en plus enferrée dans les griffes du fascisme : “Les choses vont très mal dans ce pays. Nous sommes face à un régime autoritaire. Les gens ne réagissent pas. Les choses vont plus vite qu’en Russie, et les journalistes n’agissent même pas de manière à se faire tirer dessus ou à être défenestrés – ce qui est censé arriver aux journalistes dans ce genre de situation”, déplore-t-il non sans une pointe d’humour noir.
L’élément déclencheur qui l’a poussé à déménager au Canada ? C’est la récente “capitulation de l’université Columbia”. La célèbre université new-yorkaise a en effet très récemment accédé à l’essentiel des demandes du gouvernement Trump pour ne pas perdre ses financements fédéraux.
“La démocratie passe avant le prix des œufs”
Dans cette interview, l’universitaire dénonce un climat étouffant et confesse être en train de vivre, en tant qu’Américain juif, “le moment le plus antisémite de ma vie”. Il évoque les manifestations pro-Gaza de ces derniers mois sur les campus et leur répression, et qualifie la politique du gouvernement Trump d’“attaque antisémite sur l’antisémitisme”.
“J’aimerais vivre aux États-Unis, mais je veux vivre aux États-Unis parce que c’est un pays libre”, conclut-il sur une note aussi alarmiste que caustique. “Un grand nombre d’Américains se moquent de la liberté. Les sondages montrent que les Américains n’ont que faire de la démocratie. Mes valeurs sont différentes. Pour moi, la démocratie passe avant le prix des œufs [une denrée particulièrement touchée par l’inflation outre-Atlantique]. Ce que je trouve particulièrement insensé, naïf et stupide, c’est de renoncer à la démocratie et d’augmenter le prix des œufs.”
Interrogée dans les colonnes du Globe and Mail, la directrice de la Munk School of Global Affairs & Public Policy de l’université de Toronto, Janice Stein, souligne de son côté qu’il est essentiel que son département multiplie les travaux de recherche et les enseignements sur l’autoritarisme et la démocratie alors que les États-Unis s’engagent “sur une voie profondément inquiétante”.
“Il est très troublant d’y voir les universités prises pour cible, des étudiants harcelés, arrêtés, expulsés, détenus”, explique-t-elle au quotidien canadien, avant de conclure : “Les universités sont la première cible. Les universités et les tribunaux – c’est toujours ainsi que se déroule le scénario du pire. Et malheureusement, c’est ce que nous voyons se dérouler sous nos yeux.”
Bérangère Cagnat
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