Il a raison bien sûr, mais dans le contexte du présent l’affrontement canado-américain, sa candidature au poste de Premier ministre ou même de chef de l’Opposition officielle ne peut être prise au sérieux. Il ne s’illusionne pas lui-même là-dessus en dépit du fait qu’il ne l’admettra jamais publiquement.
Le parti stagne à 8% d’intentions de votes, tout juste devant les Verts. Singh a beau répondre qu’il se soucie de faire campagne et de défendre les thèmes chers à sa formation, il ne peut pas ne pas s’apercevoir qu’elle se dirige vers une marginalisation peut-être irrémédiable. L’avenir le dira. Mais il descend de 17% du vote obtenu en 2021 à 8% selon les derniers sondages. La chute est donc considérable. Le parti se trouve plus isolé que jamais et son chef ne parvient pas à rassembler et galvaniser ses militants et électeurs. Le NPD est coincé entre deux géants de la politique fédérale, le Parti libéral dirigé par Mark Carney et le Parti conservateur de Pierre Poilievre. L’ensemble de l’électorat ne prête pas une oreille attentive aux dénonciations convenues de Jagmeet Singh contre les riches. L’électorat porte toute son attention sur Carney et Poilievre pour savoir lequel est le plus en mesure d’affronter le président américain Donald Trump afin de défendre les intérêts canadiens dans l’immense conflit commercial qui se déploie sous nos yeux en ce moment. Le Canada se trouve à un moment-charnière de son histoire.
Carney et Polievre dirigent deux partis importants, les seuls à vocation de pouvoir. Les petits joueurs (comme le NPD, le Bloc québécois et les Verts) ne sont guère écoutés par la masse de l’électorat, qui les perçoit comme ne faisant guère le poids dans ce duel de titans. En ce sens, Jagmeet Singh rame dans le vide, en dépit de la pertinence de plusieurs de ses propositions.
Il a perdu beaucoup de ses appuis traditionnels au profit des libéraux, ce qui n’a rien de surprenant quand on y regarde de plus près. Plusieurs partisans néo-démocrates sont en effet des libéraux de gauche qui veulent empêcher à tout prix l’arrivée au pouvoir des conservateurs de Pierre Poilievre et mettre en place un premier ministre capable de tenir tête à Donald Trump. Alors que monsieur Singh se contente de radoter les thèmes traditionnels du parti sur toutes les tribunes, c’est Mark Carney qui rafle la mise comme meilleur premier ministre capable de contrecarrer les plans de Trump. Que cette perception soit juste ou erronée, elle impose à monsieur Singh l’image d’un rêveur plus ou moins compétent en matière de relations avec les États-Unis "trumpiens".
Autre erreur de monsieur Singh : vu qu’il a détenu la balance du pouvoir après le scrutin de 2021, il s’est exagéré la force de son parti en forçant Justin Trudeau à adopter quelques mesures progressistes issues de son programme. Il faut dire que la conquête de la présidence par Trump a depuis radicalement a changé la donne, autant partisane que diplomatique.
Il faut mentionner le sempiternel problème du manque d’audience du NPD au Québec. Jagmeet Singh n’est venu que rarement dans "la Belle Province" où seul Alexandre Boulerice "tient le fort" dans le comté montréalais de Rosemont-La Petite-Patrie. Monsieur Singh n’a jamais adopté de plan cohérent pour affirmer une présence néo-démocrate ici. Aucune équipe substantielle ne fut constituée, aucun lieutenant éminent de monsieur Singh n’a jamais parcouru les comtés du Québec. On n’a observé aucun effort de sa part pour mettre sur pied une équipe de candidats inspirants aptes à drainer le vote populaire québécois. Considérerait-il donc le Québec comme obstinément réfractaire à son parti ?
Pourtant, l’électorat québécois avait donné 59 députés au NPD lors du scrutin fédéral de 2011 sous Jack Layton (un anglo-montréalais), ce qui prouve au contraire que le Québec n’est pas une terre stérile pour le parti quand il consent aux efforts requis pour y conquérir une audience. On est présentement loin du compte. Les successeurs de monsieur Layton, Thomas Mulcair d’abord puis ensuite Jagmeet Singh ont gaspillé cet héritage, laissant reculer le parti en termes de votes et de députés. Seul Alexandre Boulerice a réussi à se maintenir en place, mais survivra-t-il politiquement cette fois encore ? On ne peut guère le prévoir, mais il faut l’espérer.
Libéraux et néo-démocrates sont deux formations qui se voient comme multiculturalistes et, par conséquent, qui se méfient du nationalisme québécois, en particulier sous sa forme indépendantiste. Les mesures qu’ils mettent de l’avant s’inspirent d’une centralisation qui heurte l’autonomisme québécois. Le Parti libéral étant une formation à vocation de pouvoir et le NPD se complaisant généralement dans le rôle de "bonne conscience" sociale du Parlement, les libéraux peuvent se présenter comme des centristes de gauche, capables de mettre en oeuvre des politiques progressistes. On le sait, les libéraux sont très habiles à piller les propositions de leurs adversaires conservateurs et néo-démocrates pour accroître leur audience auprès de la population.
En négligeant le Québec et son importante frange nationaliste (que ce soit sous sa version autonomiste ou indépendantiste), les néo-démocrates se coupent de la province la plus importante en termes de population et de comtés, après l’Ontario.
Enfin, Jagmeet Singh n’est pas le chef approprié pour percer au Québec et sortir le parti du pétrin, en dépit de sa bonne volonté et de la sympathie qu’il peut inspirer. Après la probable victoire libérale du 28 avril prochain, et le score sans doute minable que son parti récoltera si on se fie aux sondages actuels, ce qui reste de militants et de militantes lui montreront sans doute la porte. Il faudra reconstruire le NPD.
Cela constituerait le moment idéal pour lui redonner un nouveau souffle et le doter d’une autre direction dont la conquête du Québec constituerait une des principales missions. Sinon, on peut craindre qu’il ne sombre dans une marginalité définitive, prélude à sa possible disparition. En résumé, il doit se doter d’une culture du pouvoir, à moins de vouloir demeurer indéfiniment dans l’opposition. La politique est l’art du possible, lequel repose largement sur celui du compromis. Le pragmatisme doit l’emporter si on veut changer les choses en profondeur.
Jean-François Delisle
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