Jeet Heer, The Nation, 24 mars 2025
Traduction, Alexandra Cyr
Pour preuve la guerre commerciale lancée contre le Canada, le Mexique et l’Europe. De même de son appel pour que le Canada, le Groenland et le Panama soient intégrés aux États-Unis. Mais ce fut une bénédiction pour les partis de centre gauche qui faisaient face à des insurrections de la part de partis populistes de droite et qui maintenant ont l’opportunité de se présenter comme les défenseurs du patrimoine national.
Le cas du Canada est particulièrement intéressant. Jusqu’à récemment, le Parti libéral, sous la gouverne du Premier ministre Justin Trudeau, s’apprêtait à être battu fermement lors de la prochaine élection (fédérale). Après une décennie de pouvoir, le charme juvénile de J. Trudeau avait pâli, subit le traumatisme de la Covid et une inflation démoralisante pour le Parti. L’électorat indécis, dans ce contexte, était prêt au changement. Le Parti conservateur sous la direction de Pierre Poilievre, un troll habile agitateur « anti woke » à la JD Vance, avait brandit un puissant message anti système : Le Canada est brisé.
Mais, quand D. Trump a commencé à dire qu’il n’y avait aucune raison pour que le Canada existe comme nation et qu’il devrait devenir le 51ième État américain, la dynamique politique canadienne a été transformée. Brisé ou non, li fallait se porter à la défense du Canada. Les Libéraux se sont retrouvés en bien meilleure position pour se présenter comme le Parti de l’unité nationale en temps de crise, plutôt que les Conservateurs, le Parti néodémocrate (NPD) ou les séparatistes du Bloc Québécois. Après avoir dirigé le pays pendant 70 ans au 20ième siècle, les Libéraux sont tenus pour le Parti de gouvernement naturel du pays ; le parfait Parti auquel se rallier en temps de crise.
Le 19 février, après une courte course à la direction du Parti, les Libéraux sont passés de J. Trudeau à l’ancien banquier, Mark Carney qui a endossé le costume du leader de l’unité nationale. Durant cette période échevelée, les Libéraux ont vu leur quote de popularité atteindre un point historique dans les sondages. Au moment de l’assermentation du Président Trump, les Conservateurs était à 44.8% dans les sondages et les Libéraux à 21.9% selon l’agrégateur de la CBC. Depuis ce moment, les scores se sont rapproché à 37.8% pour les Libéraux à 37.2% pour les Conservateurs. Cette amélioration de la position des Libéraux est largement attribuable à l’effondrement des appuis au NPD et au Bloc québécois. Le NPD a été le Parti associé aux Libéraux depuis 2021 qui avait été élu sans majorité et qui avait besoin d’un partenaire parlementaire pour gouverner. Mais la menace de D. Trump a affaibli la prétention du NPD à l’effet qu’il méritait une récompense pour avoir poussé le gouvernement libéral à sa gauche et obtenu l’introduction de politiques comme le financement des soins dentaires.
L’électorat de centre gauche, effrayé par D. Trump et convaincu que les Conservateurs étaient trop proche de lui pour leur faire confiance, ont rallié la bannière libérale. Le rapprochement entre les deux Partis dans les sondages est trompeur ; les Conservateurs bénéficient d’un important appui dans les zones rurales de l’ouest du pays alors que les libéraux ont une position enviable partout dans le pays ce qui leur permet de jouir du vote « utile » pour utiliser le jargon des sciences politiques.
Compte-tenu de cette remontée dans les sondages et de l’actuel courant nationaliste canadien anti Trump, il n’est pas étonnant que dimanche, Mark Carney ait convoqué les électeurs.trices à une élection anticipée le 28 avril prochain. Les libéraux ont de bonnes raisons de penser qu’ils pourront profiter d’une majorité malgré que le dynamisme des élections canadiennes puisse renverser la tendance actuelle.
Mais gagner les élections n’est qu’une partie de la politique ; gouverner est également crucial. Même si je ne doute pas que les Libéraux aient d’excellentes chances de gagner cette élection, je crains que la politique d’unité centriste de M. Carney ne réussisse pas à transformer la passion nationaliste en politiques qui puissent résoudre les profonds problèmes économiques et sociaux (du pays).
Il est fort possible qu’il continue la politique néo libérale d’affaiblissement des capacités de l’État ce qui rendrait le Canada vulnérable devant le populisme de droite interne, devant les visées expansionnistes et les attaques de D. Trump. D’une certaine façon, M. Carney est la version canadienne de Joe Biden en 2020 : le candidat sûr pour tenir la position et qui promet le retour de la normalité en temps perturbés. Mais, comme J. Biden a été incapable de maitriser la situation, on a toutes les raisons de penser que les politiques d’ancien régime de M. Carney n’auront fait que repousser le triomphe de l’extrême droite.
Dans toute sa personnalité, M. Carney est un technocrate néo libéral, même s’il se présente en assurant qu’il a une conscience sociale aiguisée. Il est né en 1965, a étudié à Harvard et Oxford avant de travailler pendant 13 ans comme consultant chez Godman Sachs. En 2003, il entre à la Banque centrale du Canada et occupe aussi divers postes au gouvernement. En 2007, il devient Gouverneur de la Banque centrale du Canada et ensuite, de 2013 à 2020, gouverneur de celle d’Angleterre. Il a plus tard été vice-président de la firme multinationale Brookfield qu’on évalue à la hauteur de trois mille milliard de dollars. (Son portefeuille de New-York comprends Brookfield Place).
Pas étonnant, qu’avec ce passé, les premiers gestes de M. Carney dans le Parti libéral, qui n’était pas vraiment des plus énergiques, soient de le recentrer. À titre de Premier ministre, il a immédiatement aboli la taxe carbone qu’il avait pourtant soutenue pour souligner sa fibre envers la lutte aux changements climatiques. Ensuite il a aussi annulé une proposition d’augmentation de l’échelle des gains en capitaux. Ces deux décisions visent directement l’électorat conservateur entre autre l’annulation de l’augmentation de l’échelle des gains en capitaux va directement bénéficier au plus riches contribuables.
Dans un article dans Canadian Dimensions, James Hardwick souligne que dans son ouvrage de 2021, Value(s) : Building a Better World for All, M. Carney souligne les grands problèmes comme les changements climatiques et les inégalités économiques. Mais il insiste pour dire que leur solution passe par des bricolages techniques et une amélioration de la conscience sociale. Il écrit : « les individus et leurs entreprises doivent redécouvrir leur sens de la solidarité et de responsabilité envers le système. Plus largement, en basant plutôt nos valeurs sur celles de la société nous pourrons créer des plateformes de prospérité ».
Comme le souligne M. Hardwick, ces nobles sentiments sont bien loin de l’ampleur des problèmes du Canada et du monde :
« C’est le fondement de sa vision pour un monde meilleur. Il croit sincèrement qu’il est possible de créer un nouveau véhicule néo libéral éthiquement responsable. Ultimement, il n’est pas intéressé à affronter l’oligarchie corporative et son pouvoir. Il veut plutôt utiliser les incitations financières des marchés pour encourager les oligarques à agir en faveur de l’aspect social. Il pense que les excès du capitalisme peuvent être contenus par la création de mesures justes, des métriques spécifiques et du « benchmarking ». (Limites à ne pas franchir. Nd.t.)
Sur Substack, le journaliste Luke Savage est dans le même ton. Il donne une analyse tout aussi dévastatrice de l’énorme fossé entre la crise mondiale actuelle, que M. Carney comprend autant que n’importe qui et ses propositions de solutions anémiques : « Avec un manque d’analyse sérieuse du pouvoir, tout en opérant dans les limites du système qu’il prétend critiquer, il nous laisse avec des propositions qui sont autant brumeuses qu’insatisfaisantes. Un peu de persuasion morale ici, un peu plus de conscience de classe éthique, quelques ajustements mineurs dans les règles du gouvernement et Miracle : un capitalisme mondial plus gentil, plus tendre nous attend ».
Pour avoir une idée d’à quel point les alternatives avancées par M. Carney sont inadéquates pour répondre au « trumpisme » il vaut la peine de visionner la publicité qu’il a publié samedi où il se met en scène avec le comédien Mike Myers. Tous les deux portent des chandails de hockey, se rencontrent dans une aréna et assistent à une partie. M. Carney questionne M. Myers, qui est né au Canada mais réside aux États-Unis, à propos de divers aspects de la culture populaire canadienne. Ils échangent à propos du programme pour enfants, Mr. Dressup, avec les marionnettes Casey et Finnegan, la bande rock The Tragically Hip et la chanson « Bud the Spud » de Tom Connor.
Pour la génération des Canadiens.nes anglais.ses de 40 ans et plus, c’est une plongée dans les souvenirs. Ce fut un succès relatif sur les médias sociaux. Mes ces références à la culture populaire auront peu de résonnance chez les plus jeunes, l’émission a disparu en 1996, ni chez beaucoup d’immigrants.es et pas non plus chez les Canadiens.nes français.es.
L’étroitesse de cette annonce n’est pas le seul problème. Le nationalisme de M. Carney est nostalgique et lisse. Jusqu’ici, le nationalisme canadien a toujours inclus de grands projets d’État : la construction du chemin de fer au 19ième siècle, la création du système de santé national, un soutien important à la culture canadienne avec le diffuseur national et la promotion du bilinguisme.
Dans la crise actuelle, il se peut que le chamboulement économique exige des réponses fortes de ce type. Un nationalisme plus visionnaire pourrait renforcer notre alliance avec le Mexique et des nations de notre hémisphère autre que les États-Unis. Nous pourrions renforcer notre population avec des programmes pour recruter des Américains.nes découragés.es, en investissant dans un train à haute vitesse (TGV), et en mettant à jour notre système de santé. En bon néo libéral qu’il est, M. Carney refuse d’investir l’imagination nécessaire que la politique du moment exige. D. Trump est un fasciste avéré aux États-Unis qui menace d’annexer le Canada. En semant le doute sur la souveraineté du pays et la sécurité de sa frontière, il parle de son voisin du nord de la même manière que Vladimir Poutine parle de l’Ukraine et que Benjamin Netanyahu parle de Gaza et de la Cisjordanie. Devant une telle menace, il faut un esprit combattif sans nostalgie. On ne peut combattre le fascisme en invoquant des marionnettes de la télévision que vous avez aimées lorsque vous étiez enfant.
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