Édition du 17 juin 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Canada

La coûteuse aventure nucléaire de l'Ontario

La province a fait passer le développement du nucléaire à la vitesse supérieure tout en reléguant à l’arrière-plan les énergies renouvelables propres, économiques et sûres.

Tiré de Canadian Dimension
https://canadiandimension.com/articles/view/ontarios-costly-nuclear-folly
Lundi 2 juin 2025 / DAVID ROBERTSON
traduction John Wallengren

La dernière fois que l’industrie nucléaire a eu les coudées franches en Ontario, la compagnie publique d’électricité de la province, Ontario Hydro, a passé plus de deux décennies à construire des réacteurs nucléaires, au nombre de vingt. Ce fut un festival de délais non respectés et de dépassements de coûts de toutes sortes, sur fond de baisse préoccupante des performances nucléaires.

Plus inquiétant encore, la dernière génération de réacteurs nucléaires a poussé Ontario Hydro au bord de la faillite et fait accumuler à la province une montagne de dettes nucléaires que nous sommes encore en train de rembourser.
Le gouvernement Ford répète à présent ces coûteuses erreurs en présidant à ce qui représente la plus grande expansion de l’industrie nucléaire dans l’histoire du Canada, risquant ainsi de commettre une bévue aux proportions historiques.

Dette insurmontable

En 1999, Ontario Hydro s’est effondrée sous le poids de son abyssale dette nucléaire. À l’ouverture des livres de comptes de la société d’État, le gouffre financier est apparu dans toute son ampleur. À l’époque, les actifs d’Ontario Hydro étaient évalués à 17,2 milliards de dollars, tandis que sa dette s’élevait à 38,1 milliards de dollars. Le gouvernement provincial s’est retrouvé aux prises avec une dette insurmontable de 20,9 milliards de dollars. Il a réagi en divisant Ontario Hydro en cinq entités distinctes. Ontario Power Generation (OPG) a repris les installations de production (hydroélectricité, charbon, gaz, nucléaire) et Hydro One, qui a été privatisée par la suite, a hérité du réseau de transport d’énergie. Le gouvernement était conscient que tout espoir de privatisation des successeurs d’Ontario Hydro serait réduit à néant si les investisseurs devaient se charger d’absorber la dette. Celle-ci a donc été transférée aux familles ontariennes en ajoutant des frais spéciaux sur les factures d’électricité (jusqu’en 2018) et par le biais du système fiscal. Ce fut le plus grand renflouement de l’industrie nucléaire jamais vu dans le monde - un sauvetage que nous n’avons pas fini de payer.

La Société financière de l’industrie de l’électricité de l’Ontario (SFIEO) est l’une des cinq entités qui ont succédé à Ontario Hydro. Elle a été créée pour gérer et assurer le service de la dette à long terme provenant d’Ontario Hydro. Selon le rapport annuel de 2024 de celle-ci, la dette totale s’élève encore, 25 ans plus tard, à 12,1 milliards de dollars. En 2024, la SFIEO a déboursé 626 millions de dollars rien qu’en frais d’intérêt, une somme qui est récupérée en taxant les contribuables et les usagers. Dans ses états financiers, la SFIEO indique que le règlement de la dernière portion de sa dette à long terme est prévu pour le 2 décembre 2050. La dette du programme nucléaire des années 1970 et 1980 n’aura donc pas pu être entièrement épongée avant cette date.

Répéter les erreurs du passé

OPG assure environ la moitié de la production d’électricité de la province et appartient au gouvernement de l’Ontario.
OPG agit comme fer de lance de la résurrection nucléaire de l’Ontario, avec l’aide et le soutien de la Société indépendante d’exploitation du réseau d’électricité (SIERE), un autre rejeton ayant survécu à l’effondrement d’Ontario Hydro. OPG est tenue de procéder selon une série de décisions politiques annoncées et d’initiatives législatives émanant du gouvernement provincial - des directives qui placent le nucléaire sur la voie rapide tout en laissant les énergies renouvelables propres, rentables et sûres sur le bas-côté.

Il s’agit d’un coup de force étonnant. Sans investir de fonds propres et sans supporter de risques financiers, l’industrie nucléaire s’est emparée de la politique énergétique de l’Ontario et a transformé les organismes de la Couronne en champions du nucléaire.

Il y a quelques années seulement, cela aurait semblé impossible. Les accidents nucléaires catastrophiques de Three Mile Island aux États-Unis, de Tchernobyl en Ukraine et de Fukushima au Japon avaient gravement terni l’image de la sûreté nucléaire. Partout dans le monde, les dépassements de coûts et les longs délais de construction de centrales nucléaires ont refroidi l’intérêt des compagnies d’électricité et des gouvernements pour les nouveaux projets. En Europe, une seule centrale nucléaire a été construite et mise en service depuis la fin des années 1990, en Finlande.

Des problèmes de sécurité et d’exploitation ont par ailleurs plombé l’industrie. Les quatre unités de Pickering ont connu des arrêts pour des raisons de sécurité, et ont dû être fermées encore par la suite. En 1993, les performances de la centrale nucléaire de Bruce, située sur les rives du lac Huron, ont dégringolé. En 1997, Ontario Hydro a annoncé la fermeture temporaire de ses sept réacteurs les plus anciens. À ce moment-là, l’escalade des coûts des réacteurs les plus récents sur le site de Darlington avait déjà de quoi alarmer. À l’origine, en 1978, on évaluait la facture à 3,9 milliards de dollars, mais le coût final en 1993 a plus que triplé par rapport à ce chiffre pour atteindre 14,4 milliards de dollars (en dollars de 1993).

La première génération de centrales nucléaires a clairement démontré l’incapacité de l’industrie nucléaire à fournir de l’électricité dans les délais et les budgets impartis. Elle a également démontré que l’électicité provenant de réacteurs nucléaires ne pouvait pas être fournie à un prix abordable. En fait, la dernière comparaison publique de coûts effectuée par Ontario Hydro (en 1999) a révélé que le coût de l’énergie nucléaire était plus de six fois supérieur à celui de l’hydroélectricité (à 7,72 c/kWh contre 1,09 c/kWh).

Il semble que toutes les « dures leçons » apprises aient été volontairement oubliées. Plus récemment, le gouvernement Ford a lancé une offensive nucléaire sur plusieurs fronts. Il a adopté une loi visant à faire du nucléaire la priorité énergétique de l’Ontario. Il s’est engagé à construire de petits réacteurs modulaires (PRM), coûteux et non testés. Il a décidé de remettre en état des centrales nucléaires vétustes alors qu’aucune étude de viabilité ne justifiait de le faire. Il a annoncé comme pièce maîtresse de sa politique énergétique l’objectif irrationnel de devenir une superpuissance de l’énergie nucléaire. Et il a ouvert le portefeuille public à l’appétit de l’industrie nucléaire. C’est ce qui s’appelle faire le « forcing », avec un certain nombre de tactiques manifestement peu « fair play ».

Une poussée de propagande

En 2023, OPG a fait appel à l’agence de publicité internationale Forsman & Bodenfors pour lancer une campagne d’éducation du public visant à « s’attaquer aux nombreuses perceptions erronées concernant l’énergie nucléaire ». Les messages publicitaires diffusés, apparaissant dans les abribus, les transports en commun, la presse écrite et la télévision, ont été conçus pour vaincre le scepticisme ambiant et convaincre les Ontariens que la nouvelle génération d’énergie nucléaire est sûre, fiable et propre. Selon Kathy Nosich, vice-présidente des relations avec les parties prenantes d’OPG, « pendant des années, la culture populaire a déformé les perceptions sur l’énergie nucléaire avec des narratifs erronés qui ont servi à alimenter la peur... La campagne a pour but de redorer le blason de l’énergie nucléaire en tant que "véritable héros" de l’offre d’énergies propres de la province ».

Certains des messages visant manifestement les jeunes ont été diffusés sur TikTok avec une mise en scène axée sur un personnage de dessin animé, « Pelly, la pastille d’uranium ». D’autres ont carrément été conçus dans le but de colporter des énormités. Par exemple, dans une annonce pour les PRM, on prétend que « ceux-ci sont propres et fiables » - affirmation gratuite, sachant qu’aucun réacteur de ce type n’a encore été construit au Canada.
Cette campagne publicitaire a servi avec efficacité de porte-voix pour les mots d’ordre et slogans de l’industrie dont le gouvernement Ford a fait un mantra. Le ministre de l’Énergie de l’Ontario décrit désormais l’énergie nucléaire comme « propre », « non polluante », « fiable » et « fondamentale pour notre avenir ».

Le gouvernement essaime dans l’industrie

En juin 2024, le ministre de l’Énergie Todd Smith a quitté le gouvernement. Après avoir dépensé des milliards dans l’industrie nucléaire et promis des milliards supplémentaires, ce même Monsieur Smith a décroché un poste de vice-président auprès de CANDU Energy Inc. Cette société a été créée lorsque SNC-Lavalin a racheté au gouvernement fédéral la division des réacteurs commerciaux d’Énergie atomique du Canada limitée en 2011. Afin de se distancer de son passé marqué par les scandales, SNC-Lavalin a depuis changé son nom pour AtkinsRéalis. Cette entreprise joue un rôle très important dans la remise en état des centrales nucléaires de l’Ontario et dans les projets de nouvelles constructions.

Les réacteurs CANDU (CANada Deuterium Uranium) ont été le cheval de bataille de l’industrie nucléaire canadienne. Ils ont été développés dans les années 1950 et 1960 dans le cadre d’un partenariat entre le gouvernement et l’industrie. Contrairement à d’autres réacteurs nucléaires, le CANDU utilise de l’uranium naturel plutôt que de l’uranium enrichi. L’uranium naturel est moins coûteux et permet d’éviter certains des problèmes de prolifération nucléaire associés à l’uranium enrichi. L’establishment nucléaire canadien espérait que ces avantages créeraient d’importants débouchés à l’exportation. Le gouvernement fédéral s’efforce à présent à relancer la filière CANDU. En mars 2025, Ottawa a annoncé un prêt pouvant atteindre 304 millions de dollars pour AtkinsRéalis, en vue de soutenir le développement des réacteurs nucléaires CANDU.

Pleins feux sur la technologie des PRM

Les PRM ne sont pas petits et ils ne sont pas si modulaires. Ils ne sont pas non plus très récents. Existant en 54 exemplaires, cela fait longtemps qu’ils sont dans le paysage. Là où le bât blesse, c’est que personne ne voulait en construire et que les investisseurs répugnaient à investir leur propre argent dedans. Le sort des PRM s’est amélioré lorsque l’industrie nucléaire a convaincu les gouvernements du Canada d’élaborer une feuille de route des PRM, avec beaucoup de battage médiatique et peu de substance, ce qui a toutefois suffi à convaincre le gouvernement Ford d’entrer dans la danse.

La feuille de route des PRM, une liste de souhaits de l’industrie répertoriant les soutiens dont elle a besoin, a été suivie par le plan d’action pour les PRM du gouvernement fédéral. Ce plan d’action a pour but de soutenir « le développement, la démonstration et le déploiement des PRM pour de multiples applications sur le territoire national et à l’étranger » et comprend un large éventail de mesures de soutien allant de l’assouplissement des exigences réglementaires à l’absorption des risques financiers d’une technologie non éprouvée, en passant par des efforts de relations publiques.
Les PRM sont des réacteurs d’une capacité de 300 mégawatts ou moins. Bien qu’un réacteur de 300 mégawatts soit assez grand, la puissance développée est considérablement moindre que celle des réacteurs existants. Par ailleurs, ce sont des réacteurs conçus pour inclure des « modules » qui peuvent être construits en usine. Ces caractéristiques et le passage à des systèmes de sécurité « passifs » visent à réduire les coûts de l’énergie nucléaire.

Les petits réacteurs existent depuis la fin des années 1950, mais la plupart de ces projets ont été abandonnés. Ces dernières années, on a assisté à un foisonnement de nouveaux modèles, certains refroidis à l’eau, d’autres faisant usage de réfrigérants différents tels que le sodium liquide, l’hélium gazeux ou les sels fondus. Pour obtenir les réductions de coûts visées, il est nécessaire de construire une série de modules du même conçus pour être produits en usine, ce qui demeure un objectif difficile à atteindre.

Le World Nuclear Industry Status Review est une évaluation annuelle indépendante de l’industrie nucléaire mondiale. Le rapport de 2022 se conclut ainsi :

Les PRM continuent de faire la une dans de nombreux pays, même si toutes les données disponibles à ce jour montrent qu’ils seront probablement confrontés à des problèmes économiques majeurs et qu’ils ne seront pas compétitifs sur le marché de l’électricité. Malgré cela, les partisans du nucléaire soutiennent que ces réacteurs non testés sont la solution aux problèmes de l’industrie nucléaire.

Dans l’édition 2024 du rapport, les analystes notent : « L’écart entre le battage médiatique autour des [PRM] et la réalité concrète continue de se creuser. L’industrie nucléaire et plusieurs gouvernements s’adonnent à une surenchère d’investissements dans les PRM, à la fois en termes monétaires et politiques ».

Démesure et miroir aux alouettes

Stephen Lecce est devenu ministre de l’Énergie en juin 2024. Peu de temps après, il s’est rendu aux États-Unis où il s’est adressé à des dirigeants occidentaux et à des acteurs majeurs de l’industrie. Il leur a dit que l’Ontario était en train d’élaborer un plan d’avenir pour l’énergie nucléaire.

Un communiqué diffusé par la Presse canadienne a décrit cette perspective comme suit : «  L’Ontario se présente comme l’étoile polaire nucléaire qui guidera l’orientation de la puissance américaine ». S’adressant à un public majoritairement américain, M. Lecce a déclaré qu’il était temps de « débarrasser nos économies de toute dépendance envers ces États étrangers qui... ne partagent pas notre engagement envers la démocratie  ». (Oups !)
Sur le plan intérieur, ce qui commencé comme une offensive de charme de la part du ministre a par la suite dévié vers un ton plus agressif lorsqu’il a critiqué les partisans des énergies renouvelables en les qualifiant d’« idéologues » qui veulent « faire mousser certaines ressources ». Comme il l’a déclaré au National Post, «  nous voyons des forces de gauche, la gauche illibérale, qui ne peuvent pas accepter le fait que pour décarboniser, nous allons avoir besoin du nucléaire ».

L’engagement en faveur du nucléaire s’est davantage inscrit dans l’avenir de l’Ontario lorsque le gouvernement Ford a dévoilé sa vision en matière d’énergie en octobre 2024 énoncée dans un document ironiquement intitulé L’avenir énergétique abordable de l’Ontario conçu pour préparer le terrain à un développement massif de l’énergie nucléaire.
Cela montre aussi clairement que l’Ontario a l’intention de devenir une superpuissance de l’énergie nucléaire dans l’espoir de vendre de l’électricité nucléaire coûteuse aux États-Unis, ainsi qu’une technologie nucléaire dispendieuse au reste du monde.

Signe des aspirations grandioses à un statut de superpuissance énergétique, le ministre a déclaré que «  le moment était venu pour l’Ontario de briller ».

L’engagement de prendre en charge les coûts du nucléaire

Le gouvernement finance l’expansion nucléaire avec des fonds publics parce que les investisseurs ne veulent pas risquer leur propre argent. Les coûts de l’énergie nucléaire ont fait fuir les investisseurs privés. Même avec des subventions massives de la part des gouvernements, les investisseurs sont réticents à y mettre du leur.

Une porte-parole de la société d’État OPG a été très claire à ce sujet lorsqu’on lui a demandé de se prononcer sur les PRM.

Kim Lauritsen, vice-présidente d’OPG, a déclaré lors d’une conférence du Global Business Forum à Banff que la société d’État était prête à prendre les devants.

Comme elle l’a déclaré, « étant donné qu’ils [les PRM] prennent trop de temps à voir le jour et que l’industrie a besoin de voir que ces choses peuvent être construites avec succès, il s’agit d’aller de l’avant afin de donner confiance aux investisseurs et de vraiment lancer la machine pour permettre à d’autres provinces et territoires de suivre ».
Les investisseurs sont nerveux et, parce que la province veut montrer la voie à suivre aux autres provinces et territoires, le gouvernement Ford est prêt à faire supporter aux familles ontariennes et aux générations futures les coûts exorbitants de l’énergie nucléaire.

Les trois axes de développement du nucléaire : remises en état, PRM et nouveaux réacteurs d’envergure

Remises en état

Le gouvernement de l’Ontario s’est mis à dépenser des milliards pour remettre en état de vieilles centrales nucléaires. Quatorze réacteurs doivent être rajeunis - six à Bruce, quatre à Darlington et quatre à Pickering. Le calendrier de réparation des centrales nucléaires existantes s’étend sur plusieurs décennies. Pendant que ces réacteurs sont hors service, le gouvernement prévoit de combler le manque d’électricité en construisant de nouvelles centrales au gaz fossile détraquant le climat.

Le coût des remises en état s’élèvera à plus de 40 milliards de dollars. Ce coût, ainsi que les millions de dollars de frais d’intérêt, seront répercutés sur nos factures d’électricité.

Lorsque les factures augmentent, la pression politique s’accentue et, lorsque cette pression atteint un point critique, le gouvernement intervient en accordant des subventions pour aider à réduire les factures d’électricité. C’est un schéma répétitif en Ontario.

Un rapport récent du Bureau de la responsabilité financière de l’Ontario (BRF) du gouvernement prévoit que le coût des subventions actuelles à l’électricité s’élèvera à 118 milliards de dollars sur la période des 20 prochaines années. Toutes ces subventions n’iront donc pas à l’électricité nucléaire. Toutefois, à mesure que les dépenses liées à l’énergie nucléaire augmentent et font grimper les coûts de l’électricité, les gouvernements, qui sont sous pression pour ce qui est de maintenir l’électricité à un prix abordable, sont susceptibles d’offrir encore plus de subventions, transférant ainsi le fardeau de nos factures d’électricité sur nos impôts.

Petits réacteurs modulaires (PRM)

Outre le programme de remise en état à grande échelle, le gouvernement Ford a annoncé une série de nouvelles constructions de centrales nucléaires.

Quatre nouveaux réacteurs PRM seront construits sur le site nucléaire de Darlington. Les travaux de préparation du site sont déjà en cours pour le premier de ceux-ci. OPG a convaincu la Commission canadienne de sûreté nucléaire de renoncer à une étude d’impact sur l’environnement en faisant valoir qu’une étude a été réalisée il y a plusieurs années sur le même site, mais pour un autre projet.

Le gouvernement a choisi le BWRX-300 de GE-Hitachi, qui repose sur une conception élaborée depuis près de 20 ans et qui a fait l’objet d’une dizaine de refontes. Ce réacteur attend toujours d’être construit. Les plans d’ingénierie de Darlington ont à nouveau été modifiés, rendant le PRM moins petit et encore moins modulaire.
OPG n’a pas publié d’estimation du coût des réacteurs, mais il y a quelques indications sur l’ampleur probable du projet. Aux États-Unis, le seul projet de PRM approuvé par le gouvernement fédéral a été celui de NuScale, dans le Midwest. Ce projet a été annulé en raison de l’escalade des coûts. Estimé à l’origine à 3 milliards de dollars, il a été abandonné en 2024 lorsque les coûts projetés ont atteint 9,3 milliards de dollars.

La Tennessee Valley Authority (TVA), grande compagnie d’électricité américaine, s’est associée à OPG pour promouvoir le réacteur PRM GE-Hitachi. La TVA a récemment fourni certaines estimations de coûts de construction d’un PRM aux États-Unis, indiquant que le coût du premier réacteur pourrait s’élever à environ 5,4 milliards de dollars. Celle-ci espère que les coûts pourront être réduits à environ 3,7 milliards de dollars par unité si d’autres réacteurs de ce type sont construits. Ces estimations de coûts ne comprennent pas les frais d’intérêt, dépassements de coûts ou délais non respectés.

Si nous partons de l’estimation basse et convertissons le coût en dollars canadiens, le prix des quatre PRM de Darlington s’élèverait à environ 20 milliards de dollars avant que les choses ne tournent mal. Or, en 2019, la compagnie a donné une indication de coûts de l’ordre d’à peine 1 milliard de dollars.

Nouveaux réacteurs nucléaires d’envergure

En juillet 2023, le gouvernement de l’Ontario a annoncé son soutien à l’augmentation de la capacité de la centrale nucléaire de Bruce, située à proximité de Kincardine. La centrale appartient à OPG mais est exploitée par Bruce Power, un consortium privé. Bruce Power prévoit d’augmenter considérablement la capacité de production sur site. Actuellement, six des huit réacteurs sont en cours de remise en état. Ce nouveau développement, s’il se concrétise, ajoutera 4 800 mégawatts supplémentaires, ce qui nécessiterait la construction de quatre ou cinq nouveaux réacteurs. Il est certes encore tôt et aucune indication de coûts n’a été fournie.

Puis, au début de l’année 2025, le gouvernement de l’Ontario a annoncé qu’il en était aux étapes préliminaires de conception d’une nouvelle centrale nucléaire de très grande envergure qui pourrait être construite sur le site d’OPG à Wesleyville, près de Port Hope. Selon une estimation préliminaire des autorités, la centrale pourrait avoir une capacité de 8 000 à 10 000 mégawatts et entrer en service dans les années 2040. Pour atteindre cette capacité de production, il faudrait construire huit réacteurs nucléaires minimum.

Calcul des coûts

Le gouvernement évite toute discussion sur les coûts liés à son expansion nucléaire. Lorsqu’on lui pose la question, il l’élude. Là encore, nous devons donc nous appuyer sur des estimations raisonnables.
Les coûts réels engendrés par la construction de réacteurs nucléaires récemment implantés dans d’autres pays constituent un point de départ utile pour estimer le prix à payer en Ontario.

Centrale de Vogtle, États-Unis

Les unités 3 (2023) et 4 (2024) de la centrale Vogtle, en Géorgie, sont les seules à avoir été construites aux États-Unis sur les trois dernières décennies. Leur construction a pris des années de retard et les coûts ont augmenté de façon spectaculaire. Les travaux ont commencé en 2009 et devaient se terminer en 2017. Au lieu de cela, la construction a duré 15 ans, prenant sept ans de retard. Les coûts définitifs sont maintenant estimés à environ 38 milliards de dollars.

Flamanville, France

En décembre 2024, la centrale nucléaire de Flamanville, d’une puissance de 600 mégawatts, a commencé à fournir de l’électricité au réseau français et européen. Il s’agit de la première nouvelle unité en France depuis 1996.
La construction a commencé en 2007. La mise en service était prévue pour 2012 et un coût de 3,4 milliards d’euros était prévu. La Cour des comptes française a estimé que le coût de la centrale nucléaire s’élèverait à plus de 20 milliards d’euros, une fois pris en compte les coûts de financement et les retards.

Hinkley C, Angleterre

Le projet nucléaire phare du Royaume-Uni, la centrale Hinkley C, située dans le sud de l’Angleterre, a vu ses coûts subir une hausse vertigineuse. La centrale possède deux réacteurs d’une capacité de 3 200 mégawatts.
La facture était initialement estimée à environ 9 milliards de livres sterling et l’achèvement des travaux était prévu pour 2017. Son coût est désormais estimé à 46 milliards de livres sterling et il faudra attendre 2030 pour que la centrale soit mise en service.

La même histoire se répète et se répète. Des dépassements de coûts massifs, des retards importants et l’électricité la plus chère au monde. Si nous devons nous fonder sur ce qui précède pour évaluer les coûts du programme nucléaire de l’Ontario, nous sommes dans de beaux draps.

Il y aurait une autre façon d’estimer les coûts de l’expansion nucléaire de l’Ontario consistant à utiliser des chiffres de référence pour les coûts d’investissement relatifs à la construction de nouvelles centrales nucléaires.
Lazard est une société de conseil financier et de gestion d’actifs qui est considérée comme une source faisant autorité en matière de comparaison des coûts de l’énergie. Parmi les statistiques fournies par cette société figurent des comparaisons des coûts d’investissement pour diverses technologies de production d’énergie. Lazard exprime les coûts dans une fourchette allant du minium au maximum pour chaque technologie de production. En 2024, Lazard a indiqué que le coût en capital des centrales nucléaires se situait dans une fourchette de 8 475 à 13 925 dollars (américains) par kilowatt. Le point médian de la fourchette, exprimé en dollars canadiens cette fois, est de 15 680 dollars par kilowatt. Ce chiffre nous permet d’estimer le coût des nouvelles centrales nucléaires de Ford. Le point médian de l’estimation de coût pour Bruce C, en considérant une production de 4 800 mégawatts, est de 75 milliards de dollars. Pour Port Hope, avec sa capacité de production projetée de 10 000 mégawatts, le coût se chiffre à 156 milliards de dollars.
Même si ces coûts paraissent astronomiques, ces estimations se situent probablement dans le bas de la fourchette. Si les coûts en Ontario devaient être rapportés aux coûts réels à Vogtle aux États-Unis, à Hinkley C en Angleterre et à Flamanville en France, la facture pour Bruce C et Port Hope serait encore plus élevée.

Une facture qui hypothèque notre avenir

Le gouvernement Ford s’est engagé à engloutir des sommes colossales dans son aventure nucléaire : 40 milliards de dollars pour la remise en état de 14 réacteurs nucléaires, 20 milliards de dollars pour quatre PRM à Darlington, 75 milliards de dollars pour Bruce C et 156 milliards de dollars pour Port Hope.

Un total de 290 milliards de dollars doit donc être engagé dans ce pari nucléaire. Si nous ajoutons les 26 milliards de dollars qui constituent l’estimation préliminaire officielle pour le dépôt géologique profond des déchets nucléaires, on dépasse largement les 300 milliards de dollars.

Trois cents milliards, c’est un montant presque impensable. Pour la plupart d’entre nous, il est difficile de se faire une idée de ce que ces fonds pourraient permettre de réaliser. Or, voici des exemples :

• Fournir à chaque habitation de l’Ontario une pompe à chaleur gratuite d’une valeur de 20 000 dollars, pour un total d’environ 110 milliards de dollars. Le gouvernement pourrait également fournir aux propriétaires de maisons un système d’énergie solaire gratuit à installer sur le toit d’une valeur de 20 000 $, pour un autre montant de 110 milliards de dollars. Ces initiatives combinées représentent moins que le coût de l’expansion du nucléaire.
• Remplacer la moitié des véhicules de tourisme en Ontario par un véhicule électrique gratuit pour un total d’environ 225 milliards de dollars. C’est moins que ce que coûterait le nucléaire.
• Suppléer aux tarifs des transports en commun à Toronto pour les 300 prochaines années.
• Fournir gratuitement à chaque ferme de l’Ontario une éolienne de 10 kilowatts d’une valeur d’environ 5 milliards de dollars.
• Remplacer tous les autobus scolaires de l’Ontario par de nouveaux bus électriques, ce qui représenterait une dépense d’environ 10 milliards de dollars.

Les centrales nucléaires produisent de l’électricité coûteuse et les coûts à assumer se retrouvent sur nos déclarations d’impôts et nos factures d’électricité. Il est déjà établi que le nucléaire est l’une des options énergétiques les plus coûteuses. L’Ontario Clean Air Alliance, s’appuyant sur des données de la SIERE et de Lazard, a établi que le coût moyen d’une nouvelle centrale nucléaire sera de 24,4 cents par kilowattheure, à comparer avec 10 cents par kilowattheure pour l’énergie solaire avec stockage.

Le gouvernement de l’Ontario prévoit de dépenser une somme démesurée pour soutenir une industrie nucléaire dont les réacteurs seront, selon toute vraisemblance, des actifs abandonnés bien avant la fin de leur durée de vie utile. Dès maintenant et dans les années à venir, nous paierons des factures d’électricité inutilement élevées. Et puis nos enfants et leurs enfants seront obligés de payer la prochaine génération de dettes nucléaires insurmontables.
Une transition énergétique mondiale est en cours. Dans son récent rapport World Energy Outlook 2024, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) passe en revue certaines des dimensions de cette évolution et la dynamique qui la sous-tend, ainsi que les caractéristiques des technologies énergétiques propres. Elle note que les énergies propres se développent à un rythme sans précédent, avec notamment plus de 560 gigawatts de nouvelles capacités renouvelables ajoutées en 2023. Les flux d’investissement dans les projets d’énergie propre approchent désormais les 2 000 milliards de dollars par an, soit près du double de ce qui est consacré globalement aux nouvelles sources d’approvisionnement en pétrole, en gaz et en charbon. De plus, la capacité de production d’énergie renouvelable devrait passer de 4 250 gigawatts actuellement à près de 10 000 gigawatts en 2030, ce qui est inférieur à l’objectif de triplement fixé lors de la COP28, mais plus que suffisant, dans l’ensemble, pour couvrir la croissance de la demande mondiale d’électricité.
Le gouvernement Ford s’est clairement engagé sur la mauvaise voie en matière d’énergie.

David Robertson est un activiste climatique qui travaille pour SCAN !, Seniors for Climate Action Now (les aînés qui soutiennent l’action climatique) et TERRE. Avant de prendre sa retraite, David était directeur de l’organisation du travail et de la formation au sein des Travailleurs canadiens de l’automobile (désormais Unifor).

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