Édition du 23 avril 2024

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Arts culture et société

Empêchons l’assassinat de la culture palestinienne

« À travers les activités artistiques et les institutions culturelles, l’existence même du peuple est visée. » Après le saccage du célèbre « Théâtre de la Liberté » le 13 décembre dernier par l’armée israélienne, un ensemble d’artistes et de personnalités dénonce cette stratégie d’effacement. « Massacrer l’enfance et la jeunesse, détruire les installations éducatives, abattre les porteurs de sa culture, c’est assassiner un peuple. »

30 janvier 2024 | Tiré du blogue de l’auteur.

Le « Théâtre de la Liberté » avait joué sans interruption et enseigné l’art dramatique dans les territoires occupés, en surmontant tous les obstacles et rayonnant partout dans le monde depuis sa fondation en 2006 au milieu du camp de réfugiés de Jénine par l’artiste israélo-palestinien Juliano Mer Khamis, assassiné en 2011.

Le 13 décembre dernier ses locaux ont été saccagés par l’armée, ses animateurs battus et incarcérés. À ce jour, le directeur général du théâtre Mustafa Sheta et son président Bilal Al-Saadi, sont toujours détenus sans motif.

Plus qu’un symbole, c’est une stratégie. À travers les activités artistiques et les institutions culturelles, l’existence même du peuple est visée.

Qu’est-ce qui fait qu’un peuple est un peuple ? demandait Jean-Jacques Rousseau dans un passage fameux du Contrat Social (1762). Cette question nous hante alors que nous assistons, horrifiés, à la destruction du peuple de Palestine écrasé sous les tonnes de bombes à Gaza, tiré à vue, battu, emprisonné en Cisjordanie par des colons et des soldats racistes à qui on a donné carte blanche, humilié et discriminé en Israël par des lois de ségrégation ethnico-religieuse…

Que fait donc le monde ?

À part l’Afrique du Sud qui vient de sauver l’honneur à La Haye et le Secrétaire Général des Nations-Unies qui crie dans le désert, les associations qui dénoncent la catastrophe humanitaire et tentent de faire passer un peu d’eau, de vivres et de médicaments, le monde attend, il justifie, il regarde ou il prête main forte, exerçant son veto par ci, livrant des munitions par là.

L’histoire jugera.

Un peuple, outre son nom, ce sont des hommes et des femmes de chair et d’os, des familles avec leurs vergers et leurs maisons, des enfants qui jouent et qui étudient, des ouvriers, des paysans, des travailleurs sociaux et des intellectuels, des soignants et des artistes. Mais c’est aussi une culture active, enrichie d’expériences heureuses ou malheureuses, transmise de génération en génération, qui fait l’idée qu’il a de lui-même et son unité sous l’oppression.

Et ce sont toutes les institutions qui font vivre cette culture : écoles, universités, théâtres, journaux, associations, lieux de culte ou de sociabilité. C’est tout cela qu’Israël, lancé par ses dirigeants dans une guerre d’extermination et de vengeance qui n’observe aucune limite et ne respecte plus aucune loi, a entrepris de détruire.

Au-delà de la « seconde Naqba » déjà programmée par de hauts responsables civils et militaires, il faut que, cette fois et pour de bon, le peuple palestinien soit décimé, décomposé, exclu de sa propre terre, de sa propre histoire. Que ses capacités de résistance soient anéanties.

Il n’est pas sûr que, malgré sa violence et son surarmement, le colonialisme israélien ainsi déchaîné parvienne à ses fins, tant les Palestiniens ont historiquement fait la preuve de leur solidarité et de leur volonté de survivre en tant, précisément, que peuple.

Mais les ravages causés par cette guerre d’extermination du fort contre le faible, déjà effroyables, deviendront irréparables si rien n’est fait pour les arrêter. Il faudra des décennies pour les compenser, ne serait-ce qu’en partie. Et le traumatisme qu’ils sont en train de causer ne s’effacera plus jamais. Il portera de nouvelles violences.

Car Israël a parfaitement compris, et de longue date, que son projet d’expropriation exigeait non seulement de tuer et de réprimer, mais de démanteler et d’effacer du paysage toutes les institutions qui confèrent au peuple palestinien sa propre identité et permettent de la préserver.

Il y a une cohérence sinistre entre le fait que, comme à Gaza, les enfants soient massacrés par milliers, ou, comme en Cisjordanie, les adolescents ciblés par les tueurs et emprisonnés au moindre geste (voire sans aucun geste), et le fait que la dernière université de la bande côtière, dite islamique et reconnue pour la qualité de ses enseignants et de ses chercheurs, soit rasée au sol. Ou que les tirs de missiles guidés par Intelligence Artificielle aient déjà éliminé par prédilection des dizaines de journalistes et d’écrivain.es (comme le poète Nour el-Din Haggag, dont on aura pu lire la déchirante Lettre d’adieu au monde). Ou que sous des prétextes juridiques fabriqués en vue de l’extension des colonies, les écoles de Palestine occupée soient détruites au bulldozer à peine sorties de terre, comme hier à Musafer Yatta (Hébron) et à Jib Al-Theeb (Bethleem) malencontreusement située en « zone de tir ». Et ainsi de suite.

Massacrer l’enfance et la jeunesse, détruire les installations éducatives, abattre les artisans de sa culture, c’est assassiner un peuple. C’est le crime contre l’humanité par excellence, que nous, les « civilisés », nous étions engagés solennellement à prévenir et à réprimer.

C’est à quoi nous assistons depuis des décennies en Palestine, et qui sous nos yeux, vient de s’accélérer dramatiquement.

Les Palestiniens appellent à l’aide, avec fierté, avec désespoir, avec colère.

Nous sommes comptables devant eux et devant le monde de nos actions et de notre inaction. Nos dirigeants, qui ne voient jamais qu’un seul côté des violences commises, et ne cessent d’osciller honteusement entre le soutien aux assassins et des remontrances humanitaires purement symboliques, doivent impérativement revenir aux exigences du droit international.

Ils doivent agir et s’exprimer pour que, au moins, le crime soit nommé et condamné. Eux aussi seront comptables.

Signataires

Les Amis du Théâtre de la Liberté de Jénine (ATL Jénine) avec : Étienne Balibar, Sonia Fayman, Julio Laks, Sophie Mayoux, Danièle Touati, Aline Bacchet,

ainsi que :

Ahmed Abbes, mathématicien
Tony Abdo Hanna, auteur
Raed Andoni, cinéaste
Cynthia Arra, collaboratrice à la direction d’acteurs
Kader Attia, artiste plasticien
Jean-Luc Bansard, comédien, metteur en scène
Marcos Barrientos, musicien
Julián Bastias, écrivain
Philippe Bazin, artiste
Nicolas Becker, Musicien & sound designer
Annie Benveniste, sociologue
Stéphane Bérard, artiste
Juliette Bialek, comédienne
Simone Bitton, cinéaste
Catherine Blondeau, autrice et directrice de théâtre
Elsa Bouchain, comédienne
Nicolas Bouchaud, comédien
Seloua Luste Boulbina, philosophe et politiste
Thomas Brémond, Directeur de la photographie
Anne Cantineau, comédienne
Carolyn Carlson, chorégraphe
Laurent Cauwet, éditeur et auteur
Laurence Chable, comédienne
Leila Chahid, ancienne déléguée générale de la Palestine
Rebecca Chaillon, metteuse en scène, comédienne
Yves Chaudouët, artiste
Sarah Chaumette, comédienne
Séverine Chavrier, metteuse en scène
James Cohen, politologue
Patrick Condé, comédien
Yann Coquart, Auteur-Réalisateur
Sylvain Creuzevault, metteur en scène
Annie Cyngiser, sociologue
Jonathan Daitch, auteur, photographe
Marianne Dautrey, traductrice, critique, éditrice, cinéaste
Sonia Dayan-Herzbrun, sociologue
Virginie Despentes, autrice
Lena Dia, comédienne
Joss Dray, auteure, photographe
Valérie Dréville, comédienne
Karine Durance, attachée de presse cinéma
Ivar Ekeland, mathématicien, économiste
Mohammed El Khatib, auteur et metteur en scène
Annie Ernaux, autrice
Fantazio (Fabrice Denys), performeur
Alain Frappier, auteur dessinateur
Désirée Frappier, scénariste
Marine Gacem, scénariste
Nathalie Garraud, metteuse en scène
Brigitte Giraud, écrivaine
Julien Gosselin, metteur en scène
Dominique Grange, chanteuse engagée
Lucie Guien, comédienne
Alain Guiraudie, cinéaste
Didier Haboyan, musicien
Adèle Haenel, actrice
Hervé Hamon, écrivain
Arthur Harari, réalisateur
Berry Hayward, musicien
Daniel Jeanneteau, scénographe, metteur en scène
Hervé Joubert-Laurencin, cinéaste
Karim Kattan, écrivain
Miloud Khétib, comédien
Nicolas Klotz, cinéaste
Julie Kretzschmar, metteuse en scène, direction de structure culturelle
André Laks, helléniste
Guy Lavigerie, metteur en scène
Jean-Marc Lévy-Leblond, physicien
Hervé Loichemol, metteur en scène
Frédéric Lordon, philosophe, économiste
Michael Löwy, sociologue
Bernard Lubat, musicien
Joëlle Marelli, traductrice, poète, chercheuse indépendante
Maguy Marin, chorégraphe
Rosalía Martinez, musicologue
Audrey Maurion, monteuse et documentariste
Marie-José Mondzain, philosophe
Mathilde Monnier, chorégraphe
Gérard Mordillat, auteur, cinéaste
Edgar Morin, sociologue, philosophe
Daniel Navia, musicien
Olivier Neveux, professeur d’études théâtrales
Stanislas Nordey, acteur, metteur en scène
Marcelo Novais Teles, cinéaste
Annie Ohayon, productrice
Valérie Osouf, artiste visuelle et documentariste
Alexis Pelletier, poète
Macarena Peña, musicienne,
Patrick Penot, directeur de Sens Interdits
Elisabeth Perceval, cinéaste
Katia Petrowick, danseuse, comédienne
Dominique Pifarély, violoniste
Ernest Pignon-Ernest, plasticien
Jean-Marc Poli, musicien
Joël Pommerat, auteur, metteur en scène
Nathalie Quintane, poète
Jacques Rancière, philosophe
Robin Renucci, acteur et metteur en scène
Jane Roger, distributrice de films
Olivier Saccomano, auteur
Elias Sanbar, ancien ambassadeur de la Palestine
Blandine Savetier, metteuse en scène
Eyal Sivan, cinéaste
Makis Solomos, musicologue
Rosemary Standley, chanteuse
Frédéric Stochl, musicien
Tardi, dessinateur
Nadia Tazi, philosophe
Jean-Pierre Thorn, réalisateur
Véronique Timsit, dramaturge
Christine Tournadre, réalisatrice
Florence Tran, cinéaste
Isabelle Ungaro, réalisatrice
Eleni Varikas, politologue
Marie Vayssière, comédienne et metteuse en scène
Françoise Vergès, autrice
Gisèle Vienne, chorégraphe
Vanina Vignal, cinéaste
Zoé Wittock, cinéaste
Sergio Zamora, écrivain

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