Édition du 9 avril 2024

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Asie/Proche-Orient

En Syrie, l’indignation et l’impuissance après un nouveau massacre

Peu après le bombardement de Douma, dimanche 16 août, qui a causé la mort d’une centaine d’habitants de cette banlieue rebelle de Damas, l’analyste syrien Bassel Al-Junaidy s’est entretenu avec des responsables d’organisations de défense des droits de l’homme internationales. « Ils nous ont demandé d’encourager les secouristes à rechercher dans les piles de cadavres au moins une victime détentrice d’une nationalité non syrienne, raconte ce directeur d’un centre d’étude, installé à Gaziantep, en Turquie. Ils pensent que seul un cas de ce genre pourrait déboucher sur un procès de Bachar Al-Assad. Dans quel monde raciste vivons-nous ? »

Comme tous les opposants au régime syrien, M. Al-Junaidy a été frappé d’effroi et de colère par le dernier massacre en date commis par l’aviation syrienne. Une émotion redoublée, presque deux ans jour pour jour, après l’attaque à l’arme chimique du 21 août 2013, contre la même région, qui avait fait des centaines de morts. Selon le Centre de documentation des violations (VDC), une ONG qui tient la comptabilité de la guerre civile syrienne, les roquettes tirées sur Douma ont fait 112 morts et 270 blessés. Il s’agit de l’une des attaques les plus meurtrières depuis le début du soulèvement anti-Assad en 2011. « Les avions ont visé un marché populaire, bondé à cette heure-là et qui avait déjà été frappé il y a environ une semaine. Le régime a cherché à tuer le plus de civils possible », explique Bassem Al-Ahmed, le porte-parole du VDC.

Les grandes capitales occidentales ont dénoncé cette escalade. En visite à Damas au moment des frappes, le patron des affaires humanitaires de l’ONU, Stephen O’Brien, s’est dit « horrifié par l’absence totale de respect de la vie des civils dans ce conflit ». Lundi soir, dans une rare manifestation d’unité sur le dossier syrien, les membres du Conseil de sécurité des Nations unies ont adopté une déclaration de soutien à Staffan de Mistura, l’envoyé spécial de l’ONU, qui cherche une solution politique à la crise. Mais le bombardement du marché, sous les yeux ou presque d’un haut responsable onusien, en dit long sur le sentiment d’impunité qui habite les autorités de Damas et leur peu d’empressement à amorcer la « transition » recherchée par M. de Mistura.

Siège hermétique

La cible n’a pas été choisie au hasard. Chef-lieu de la Ghouta, la ceinture de communes agricoles qui entoure Damas par l’est et le sud, Douma est une place forte de l’insurrection. Cette ville moyenne d’environ 100 000 habitants a été, courant 2012, l’une des premières localités syriennes à bouter les troupes gouvernementales hors de ses murs. Le fruit d’une tradition d’opposition au régime Assad qui s’incarne dans deux courants politiques solidement implantés sur place, le nassérisme et l’islamisme.

En réaction, les autorités syriennes ont établi un siège, quasiment hermétique, de Douma et ses voisines de la Ghouta, destiné à barrer la route de Damas, située à une dizaine de kilomètres. La région est soumise à un pilonnage qui prélève chaque jour son tribut humain. Dans ce contexte, les combattants de l’Armée syrienne libre, équipés de bric et de broc, qui avaient initialement pris le contrôle de Douma, avec le soutien de notables nasséristes, ont été peu à peu supplantés par des brigades islamistes, mieux armées, grâce aux largesses de leurs mécènes du Golfe.

La plus puissante de ces formations, qui a fait de Douma son fief, est l’Armée de l’islam, dirigée par le salafiste Zahran Allouche, l’homme de l’Arabie saoudite au sein de la rébellion. La veille de la tuerie de Douma, ses combattants avaient attaqué des positions gouvernementales à Harasta, sur la route de Damas. Mercredi dernier, des mortiers avaient tiré sur la capitale, peu avant l’arrivée du ministre iranien des affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, tuant treize personnes.

Profiteur de guerre

« Est-ce pour venger ces attaques, à sa manière totalement disproportionnée, que le régime a attaqué Douma ? se demande le Syrien Sinan Hatahet, qui dirige un think tank basé en Turquie. Est-ce un message envoyé aux Russes, dont des rumeurs disent qu’ils seraient prêts à revoir leur position sur Bachar ? La logique du régime est très difficile à suivre. » Les autorités syriennes auraient pu aussi vouloir accentuer la zizanie dans la Ghouta, où Zahran Allouche est de plus en plus perçu comme un profiteur de guerre, préférant toucher les dividendes du marché noir qu’il contrôle que briser le siège imposé par l’armée. « Le régime a vu les récentes manifestations contre Zahran, il cherche à attiser ces tensions, avance Bassel Al-Junaidy. Aucune attaque n’est en préparation contre Damas. Les parrains régionaux et internationaux de l’opposition estiment que ce n’est pas le moment. »

De fait, Etats-Unis et Arabie saoudite ont multiplié ces dernières semaines les consultations avec la Russie, l’un des principaux alliés de Damas sur la scène internationale. Le consensus de lundi à l’ONU, que le représentant adjoint de la France, Alexis Lamek, a qualifié d’« historique », est le produit de ce nouveau climat et de la conviction, de plus en plus partagée, qu’il ne peut y avoir de solution militaire en Syrie. Mais au-delà de cet accord de principe, les divergences restent encore fortes, sur les contours d’un possible plan de paix, sur le sort qu’il réserverait à Bachar Al-Assad et sur la manière de le faire appliquer. Peu avant la déclaration surprise du Conseil de sécurité, la Coalition nationale syrienne, la principale formation anti-Assad, avait déclaré que « la faiblesse de la communauté internationale est un facteur qui contribue à l’escalade des massacres de civils syriens ». (Article publié dans Le Monde, le 18 août 2015)

Benjamin Barthe

Auteur sur la Syrie pour le site À l’encontre.

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