Édition du 23 avril 2024

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Afrique

Entretien : Dans l’est du Congo, « la guerre régionale est déjà là »

La tension n’a cessé de monter entre la République démocratique du Congo et le Rwanda ces derniers mois, et la situation humanitaire, à la frontière, est dramatique. Mais quelle est précisément la situation sur le terrain ? Qui fait quoi, et au nom de quels intérêts ? Au-delà des fantasmes et des exagérations, le chercheur Onesphore Sematumba explique les tenants et les aboutissants de ce conflit meurtrier.

Les président congolais, Félix Tshisekedi, et rwandais, Paul Kagame, se sont rendus tour à tour à Luanda début mars 2024. Ils ont échangé avec le président angolais João Lourenço, médiateur de l’Union africaine dans la guerre dans l’est du Congo. Ils pourraient bientôt se rencontrer directement pour trouver une solution à cette crise. Un accord est urgent : le Mouvement du 23-Mars (M23), une rébellion soutenue par Kigali, se trouve aux portes de Goma, la capitale du Nord-Kivu aux 2 millions d’habitants, et la situation humanitaire est catastrophique. La République démocratique du Congo (RDC) compte près de 7 millions de déplacés internes (1).

Pourtant, l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi en 2019 avait marqué une nette amélioration des relations entre la RDC et le Rwanda. Mais celles-ci se sont brusquement dégradées fin 2021, quand le M23 a resurgi après près de dix ans d’inactivité. En 2013, l’armée congolaise et la Mission des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco) avaient repoussé le groupe armé, qui avait brièvement occupé Goma. Si Kagame persiste à nier tout soutien au M23, majoritairement composé de Tutsi congolais, il répète que les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) – un groupe armé héritier des génocidaires hutu de 1994 – constituent une menace pour les Tutsi congolais et pour la sécurité du Rwanda.

Onesphore Sematumba, chercheur au think tank International Crisis Group (ICG), revient (depuis Goma, où il est basé) sur les causes de la résurgence du M23 et sur les voies de sortie de crise. Il rappelle la complexité d’un conflit qui fait l’objet de récits simplistes consistant à le résumer à une guerre pour les ressources ou à une guerre ethnique, et d’accusations graves, les belligérants des deux côtés étant accusés de commettre un « génocide ».

Le M23, « une force avec laquelle il faut compter »

Tangi Bihan : Comment expliquer la résurgence du M23 en 2021, après sa défaite en 2013 ?

Onesphore Sematumba : Il y a deux facteurs : un facteur interne au M23 et un facteur régional. La défaite de la rébellion en 2012-2013 a été accompagnée d’une série d’engagements du gouvernement congolais, notamment le fait que le M23 puisse se convertir en parti politique, ce qui a été fait. Mais il y a, selon le M23, une autre série d’exigences qui n’ont pas été respectées, comme l’intégration de leurs cadres politiques et de leurs militaires au sein des structures de l’État et dans l’armée. Il y a aussi la sempiternelle question des réfugiés tutsi éparpillés dans les pays voisins, surtout au Rwanda et en Ouganda, dont le M23 se fait le porte-parole et réclame le retour au Congo. Il y a en outre d’autres revendications, comme la lutte contre les FDLR dans le Nord-Kivu – c’est une revendication du gouvernement rwandais que le M23 s’est appropriée.

Depuis quelque temps, le M23 s’est allié – ou s’est converti, ce n’est pas clair – à l’Alliance du fleuve Congo de Corneille Nangaa [président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) de 2015 à 2021], et ses revendications politiques se sont corsées : le M23 est devenu plus critique sur les questions de gouvernance, de corruption, etc. Nangaa et son alliance, dont le M23 constitue la branche armée, n’hésitent plus à mettre sur la table le départ de Félix Tshisekedi. C’est de la rhétorique, mais c’est inquiétant pour le pouvoir de Kinshasa.

Tangi Bihan : Et quid du facteur régional ?

Onesphore Sematumba : Il y a eu une coïncidence, en novembre 2021, entre la résurgence du M23 et deux développements parallèles. En novembre, l’Ouganda a signé un accord militaire avec la RDC pour le déploiement de ses troupes dans le nord de la province du Nord-Kivu et en Ituri, afin de combattre la rébellion des ADF [Forces démocratiques alliées], d’origine ougandaise. Parallèlement à cet accord militaire, il y a eu un accord économique portant sur les infrastructures, et notamment la construction d’une route reliant Beni à Goma – plus de 300 kilomètres, dont une bonne soixantaine entre Rutshuru et Goma ; or cette zone constitue une sorte de corridor pour le Rwanda.

À cette époque, les rapports entre le Rwanda et l’Ouganda n’étaient pas au beau fixe. Et les clauses de l’accord prévoyaient que la sécurisation des travaux devait être assurée par l’armée ougandaise, ce qui signifiait que celle-ci allait être déployée aux portes du Rwanda sans son accord. Cela a été perçu comme une menace par Kigali. De plus, Kigali, qui accuse l’armée congolaise de collaborer avec les FDLR, pensait que cela pourrait être une occasion de déployer les FDLR à la frontière du Rwanda. Subsidiairement, cette route était perçue comme une concurrence à la route parallèle rwandaise, qui est très bonne. Le trafic pourrait diminuer considérablement sur cette route Rwanda-Ouganda, au bénéfice de la nouvelle route congolaise, avec tous les manques à gagner que cela représente en termes de taxes.

Il faut noter que, depuis, il y a eu une sorte de renversement d’alliance. L’Ouganda s’est rapproché du Rwanda. À la même période, le Burundi a également obtenu un accord militaire pour envoyer son armée dans le Sud-Kivu afin de traquer le Red-Tabara [Résistance pour un État de droit au Burundi, un groupe de l’opposition armée, NDLR], en mutualisant ses forces avec l’armée congolaise. Le Rwanda, qui rêvait de signer le même type d’engagement pour traverser la frontière et traquer les FDLR, a, lui, reçu une fin de non-recevoir. Il a perçu cela comme non équitable. En janvier 2022, le président Kagame a dit que le Rwanda avait lui aussi ses ennemis au Congo, les FDLR, et que si c’était nécessaire, il n’aurait besoin de l’autorisation de personne pour traverser la frontière et aller les traquer. Il a précisé, et c’est important, que le Rwanda est un petit pays, qu’il ne peut donc pas servir de champ de bataille, et qu’il fallait poursuivre la menace là d’où elle vient. C’est à cette période que le M23 renaît de ses cendres. Lui qui était en stand-by dans les volcans des Virunga (2) a commencé à s’étendre, du jour au lendemain, avec beaucoup d’efficacité.

Deux ans plus tard, le M23 s’est imposé comme une force avec laquelle il faut compter. Les Nations unies ont documenté le soutien de l’armée rwandaise au M23, corroborant l’hypothèse selon laquelle ce n’était pas juste une coïncidence. Selon les rapports du groupe d’experts des Nations unies, le Rwanda appuie le M23 en hommes et en matériel militaire. Le dernier rapport de la Monusco évoque la présence d’un système de défense antimissile sol-air dans la zone sous contrôle du M23. Le Rwanda a jusqu’à présent nié toute présence militaire, mais ne nie pas son appui politique : il affirme que le M23 a raison sur un certain nombre de revendications.

« Tout a été rapidement détricoté »

Tangi Bihan : L’arrivée au pouvoir de Tshisekedi en 2019 avait marqué une amélioration des relations entre Kinshasa et Kigali. Pourquoi se sont-elles dégradées ?

Onesphore Sematumba : Lorsque Tshisekedi arrive au pouvoir, en 2019, il développe une politique d’ouverture volontariste. Jusqu’à présent, il se vante d’être le premier président congolais à avoir visité toutes les capitales des neuf voisins, y compris le Rwanda. On a vu Tshisekedi à Kigali, on a vu Kagame se faire applaudir à Kinshasa à l’occasion des funérailles de Tshisekedi père [Étienne Tshisekedi]. Ils se donnaient même du « frère ». Cette embellie s’est poursuivie avec l’adhésion, fortement appuyée et encouragée par le Rwanda, du Congo à l’EAC [Communauté d’Afrique de l’Est], et par des accords, notamment un accord de traitement des minerais de la Sakima [Société aurifère du Kivu et du Maniema] par une raffinerie rwandaise. C’était du concret sur le plan économique. On justifiait cela à Kinshasa en disant qu’il fallait sortir d’une logique de pillage des ressources vers le Rwanda par la normalisation des relations bilatérales, qu’il fallait faire du « business propre ». La compagnie rwandaise RwandAir a commencé à desservir la ville de Goma et effectuait des liaisons vers Lubumbashi et vers Kinshasa.

C’est la résurgence du M23 qui a mis fin à cette embellie. Tshisekedi a tout de suite dénoncé l’ingérence du Rwanda. Pour lui, il ne fait aucun doute que le Rwanda se cache derrière le M23, dans le but de piller les ressources minières. Les attaques sont allées crescendo jusqu’à la campagne électorale de 2023, qui a atteint des sommets de discours bellicistes – Tshisekedi a même comparé Kagame à Hitler (3). On menace en disant qu’à la première escarmouche, on va envahir le Rwanda… Côté rwandais, on fait comprendre qu’on est prêt.

Aujourd’hui, nous en sommes encore là. Et tous les accords ont été annulés. Tout a été rapidement détricoté, de sorte que la situation est pire qu’avant l’arrivée de Tshisekedi au pouvoir.

« Les politiques congolais cherchent des boucs émissaires faciles »

Tangi Bihan : On entend souvent dire que le M23 est un outil du Rwanda pour piller les ressources minières de l’est du Congo, notamment le coltan et l’or. Quelle est la réalité de cette thèse ?

Onesphore Sematumba : On ne peut pas nier que tous les groupes armés profitent des ressources disponibles pour s’entretenir et pour financer leur guerre. Mais il est trop simpliste de focaliser sur les ressources minières. Il existe un proverbe dans la zone qui dit : « La chèvre broute là où elle est attachée. » Depuis novembre 2021 et jusqu’à aujourd’hui, le M23 progresse sans contrôler des zones minières. Cela ne signifie pas qu’ils n’ont pas accès à des ressources : taxer la mobilité est beaucoup plus rentable que creuser le sol. De plus, tous les groupes armés, et il y en a plus de cent, ont développé une économie militaire de la violence, pas seulement le M23.

Il y a ce fantasme selon lequel le Congo serait une caisse pleine d’or, de diamant, de coltan, etc., assiégé par tous ceux qui le convoitent. Et on va même plus loin : on dit que ce n’est pas seulement le Rwanda, on dit que derrière il y a les Anglo-Saxons, et puis maintenant l’Union européenne et la Pologne (4). Il y a un déni de la responsabilité congolaise, et les politiques congolais cherchent des boucs émissaires faciles. « Nous sommes victimes de nos richesses » : c’est un discours qui passe facilement dans l’opinion.

Tangi Bihan : Aujourd’hui, les FDLR représentent-elles encore une menace pour le Rwanda ? Ou est-ce simplement un argument qui sert les intérêts de Kigali ?

Onesphore Sematumba : Un peu des deux. On ne peut pas être dans le déni, comme c’était le cas jusqu’à récemment à Kinshasa, en disant que les FDLR ne sont plus que des résidus qui ne représentent aucune menace. Les FDLR ont toujours été des formateurs dans la région. On sait qu’ils ont donné des formations militaires à beaucoup de groupes armés, par exemple les groupes Nyatura qui sont dans le parc, mais qu’ils ont aussi collaboré avec l’armée congolaise – c’est documenté dans le rapport du groupe d’experts des Nations unies. Pour la campagne de Rumangabo, tout le monde a vu que c’étaient les FDLR qui étaient le fer de lance (5). Récemment, le commandant de la 34e région militaire du Nord-Kivu a été limogé pour avoir collaboré avec les FDLR, ce qui signifie que les FDLR sont là. Et dernièrement, Tshisekedi a martelé qu’il serait impitoyable avec tout officier congolais qui entretiendrait des rapports avec les FDLR.

Maintenant, ce mouvement est-il suffisamment puissant pour compromettre la sécurité du Rwanda ? Ce n’est pas sûr. Certes, Tshisekedi et le président burundais, Évariste Ndayishimiye, laissent entendre que les deux pays n’hésiteraient pas à appuyer une opposition visant à renverser Kagame. Les Rwandais prennent ça au sérieux. Le Rwanda estime aussi que les FDLR travaillent avec l’armée congolaise et avec la SADC [Communauté de développement de l’Afrique australe] et se dit que les FDLR pourraient jouer le même coup qu’eux ont joué à Habyarimana. [Le Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagame avait été soutenu par l’Ouganda en 1990-1994, NDLR].

Un génocide ? « Une simplification outrancière »

Tangi Bihan : On entend des accusations de génocide de part et d’autre, surtout sur les réseaux sociaux : les Tutsi congolais seraient menacés de génocide, et le Rwanda commettrait un génocide au Congo. Quelle est la réalité de ces allégations ?

Onesphore Sematumba : Depuis 2021, on ne peut pas dire qu’il y ait eu une chasse systématique d’une communauté. Il y a une sorte de simplification outrancière. Par exemple, quand les Maï-Maï ou les Wazalendo attaquent un village et l’incendient, il se peut que ce village soit tutsi. Le lendemain, sur les réseaux sociaux, le M23 va dire que le génocide commis par Kinshasa se poursuit. Et quelques jours après, le M23 attaque un village, il y a des morts, on les étale et on dit que les victimes sont toutes nande ou hutu, et donc qu’un génocide est commis contre ces communautés. Il y a une sorte de surenchère émotionnelle du terme, qui est vidé de son sens.

En revanche, on peut constater la montée d’un discours de haine, notamment contre les Tutsi. Le paradoxe c’est qu’en voulant protéger une communauté, on l’expose à la vindicte des autres communautés. Tshisekedi affirme régulièrement que les Banyamulenge sont des Congolais, que tous les Tutsi ne sont pas du M23, qu’il ne faut pas faire d’amalgame. Mais le raisonnement de ceux qui vivent sous la menace du M23 est le suivant : en 1996, c’est l’AFDL [Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo] qui les a tués, donc les Tutsi ; en 1998, c’est le RCD [Rassemblement congolais pour la démocratie] qui les a tués, donc les Tutsi ; dans les années 2000, c’est le CNDP [Congrès national pour la défense du peuple] qui les a tués, donc les Tutsi ; en 2012, c’est le M23 qui les a tués, donc les Tutsi, et ainsi de suite… Ça donne, au sein de l’opinion, l’impression qu’il y a un groupe ethnique qui a son armée et que cette armée est meurtrière. Vous pouvez expliquer que dans le M23 il n’y a pas que des Tutsi, on vous répond que c’est un groupe de Tutsi…

Tangi Bihan : Y a-t-il un risque de guerre régionale ?

Onesphore Sematumba : Je pense que la guerre régionale est déjà là. Quelqu’un m’a demandé si on pouvait assister à un affrontement entre l’armée sud-africaine et l’armée rwandaise. C’est en train de se passer ! Le fait que l’armée sud-africaine soit du côté du gouvernement congolais pour défendre la ville de Goma, cela signifie qu’elle contrarie les plans de Kigali. Le mandat de la mission militaire de la SADC est offensif et cible en premier lieu le M23. C’est ainsi que, depuis février, les contingents de cette mission, dont les Tanzaniens et les Sud-Africains, sont déployés sur la ligne de front vers Sake aux côtés des forces congolaises et font donc face au M23. Mi-février, les Sud-Africains ont enregistré deux morts tués par un tir de mortier sur leur base de Mubambiro. Mais est-ce que cela peut déboucher sur une conflagration régionale ? Je ne le crois pas.

Prendre Goma, « c’est beaucoup de pression »

Tangi Bihan : Quel est l’intérêt de l’Afrique du Sud de se déployer au Congo, à travers la SADC ?

Onesphore Sematumba : L’Afrique du Sud ne s’est pas déployée pour faire la guerre au Rwanda. La SADC s’est déployée en remplacement de l’EAC, à l’invitation de Tshisekedi. Il faut savoir que tout appui militaire ou diplomatique est un investissement, et l’Afrique du Sud et son président ne voudraient pas qu’une solution soit trouvée sans eux. Pretoria est un acteur économique majeur qui ne voudrait pas rater cette opportunité. On parle de plus en plus de proches de Cyril Ramaphosa [le président sud-africain], sa famille ou sa belle-famille, qui seraient à la recherche de contrats miniers. Autant le Burundi n’a pas la force économique pour investir, autant l’Afrique du Sud est un mastodonte économique qui n’hésiterait pas à profiter du marché de la reconstruction.

Tangi Bihan : Le M23 pourrait-il aller jusqu’à l’occupation de Goma ?

Onesphore Sematumba : Le M23 a la capacité militaire et opérationnelle de prendre Goma, ils ne sont qu’à 20 kilomètres. Mais est-ce qu’ils ont intérêt à le faire ? Ils ont déjà occupé la ville en 2012 pendant dix jours, ça a été le début de leur effondrement. Prendre la ville de Goma, c’est braquer toutes les caméras internationales sur eux et sur leur mentor. C’est beaucoup de pression. Et surtout : qu’est-ce qu’une rébellion si impopulaire fait d’une ville de près de 2 millions d’habitants hostiles ? Comment gérer ça ? Je ne pense pas, vu la jurisprudence de 2012 et vu la complexité de l’affaire, qu’ils le feront. Ils vont probablement continuer à faire pression sur Goma parce que c’est important en vue d’éventuelles négociations.

Tangi Bihan : Quelles sont les voies de sortie de crise, notamment via la médiation angolaise ? Et quels seraient les objets d’une éventuelle négociation ?

Onesphore Sematumba : On ne peut pas prévoir quels seront les points de la négociation. Mais pour moi, il y a des étapes claires et urgentes, et des principes à définir. Le premier principe politique, c’est qu’on ne peut pas demander à Tshisekedi de négocier dans les conditions d’humiliation actuelle de son armée, ce serait politiquement suicidaire. Tshisekedi a besoin, même symboliquement, d’inverser légèrement le rapport de force. Il y a quelque chose de possible, de négociable et de préalable, c’est d’obtenir que le M23 arrête de faire pression sur la ville de Goma. Ce serait un bon début pour amorcer un dialogue.

Il n’est plus réaliste aujourd’hui de revenir aux clauses de l’accord de Luanda (6) qui demandaient au M23 de se retirer et de retourner au milieu des volcans, là d’où ils sont venus. Ni même de leur demander de passer par Kitshanga pour aller se cantonner à Kindu, sous la surveillance d’un contingent angolais. Le rapport de force a changé. L’autre urgence, c’est d’obtenir un cessez-le-feu. La situation humanitaire est dramatique. Les déplacés ne sont même pas dans des camps, ils sont dehors. Ceux de Sake, à 25 kilomètres de Goma, vivent entre leur village et la ville de Goma, sur la route, sous les intempéries. L’État ne les assiste pas, les ONG ont du mal.

La Monusco avait réussi à pousser le M23 hors du territoire national en 2013, c’était une victoire éclatante. Le Congo avait à l’époque réussi la guerre, mais il avait manqué la paix. Mais cette fois il n’y aura pas de victoire militaire, et surtout pas de victoire militaire d’importation avec la SADC. Tshisekedi continue à dire qu’il ne négociera pas avec le M23 et qu’il veut parler avec Kagame. L’une des faiblesses des accords précédents dans cette crise du M23, c’est qu’on a engagé le M23 sans parler avec le M23. C’est être naïf que de continuer à infantiliser un groupe comme celui-là et de croire que Kagame, à la dernière minute, va dire que ce sont ses « petits », qu’il va leur parler. Il ne va pas se dédire du jour au lendemain.

Tangi Bihan : Les États-Unis et l’Union européenne ont-ils des leviers pour faire pression sur Kigali ?

Onesphore Sematumba : Il faut reconnaître que la diplomatie congolaise a fini par porter ses fruits. Elle a obtenu la condamnation du M23, du Rwanda, l’appel au retrait des troupes rwandaises, l’appel au retrait de ce dispositif anti-aérien, etc. Mais ce sont des communiqués, et Kinshasa dit aujourd’hui que ça ne suffit pas, qu’il faut passer aux sanctions. Je doute fortement que ce qu’on appelle la « communauté internationale » ira plus loin que cela. Il ne faut pas oublier que le Rwanda va bientôt commémorer le trentième anniversaire du génocide des Tutsi de 1994. Je pense que cela pèse dans les relations internationales.

Les principaux acteurs de la guerre

Mouvement du 23 mars (M23). Rébellion composée majoritairement de Tutsi congolais et soutenue par Kigali, née en 2012, défaite en 2013 et réactivée en novembre 2021. Elle est issue de la rébellion du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), active dans les Kivus dans les années 2000.

Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Rébellion rwandaise créée en 2000 par d’anciens militaires et miliciens extrémistes hutu, auteurs du génocide des Tutsi en 1994 et qui, après leur défaite dans la guerre civile rwandaise (1990-1994), se sont réfugiés dans l’est du Congo. Ils combattent aujourd’hui le M23 auprès de l’armée congolaise.

Forces démocratiques alliées (ADF). Rébellion islamiste d’origine ougandaise née en 1995, active dans l’est du Congo (Ituri et Nord-Kivu) et affiliée à l’État islamique depuis 2017. Kinshasa et Kampala ont trouvé un accord en novembre 2021 pour que l’armée ougandaise se déploie dans l’est du Congo afin de les combattre.

Résistance pour un État de droit au Burundi (Red-Tabara). Rébellion burundaise créée en 2011 mais véritablement active après 2015, quand ses membres ont contesté le troisième mandat du président Pierre Nkurunziza. Elle opère depuis l’est du Congo (Sud-Kivu). Elle a été soutenue un temps par Kigali, mais il n’y a pas de preuve que c’est toujours le cas, en dépit des accusations du Burundi. La RDC et le Burundi ont trouvé un accord en décembre 2021 pour que l’armée burundaise se déploie dans l’est du Congo afin de les combattre.

« Wazalendo ». Signifie les « patriotes » en kiswahili. Regroupement de milices (Maï-Maï et Nyatura entre autres) opérant avec l’armée congolaise contre le M23. Ces milices combattaient pourtant l’armée congolaise dans le passé.

Mission des Nations unies pour la stabilisation en RDC (Monusco). Créée en 1999 lors de la deuxième guerre du Congo (1998-2003), sa mission principale est de protéger les civils. Elle a joué un rôle important dans la reprise de Goma des mains du M23 en 2012. Très critiquée pour son coût, son inefficacité et les crimes sexuels commis par ses soldats, elle a commencé son retrait du Congo en janvier 2024.

Force de la Communauté de développement de l’Afrique australe en RDC (SAMI-RDC). Déployée dans l’est du Congo à partir de décembre 2023 à la demande de Kinshasa en remplacement de la force de l’EAC, sous commandement sud-africain, elle est composée de militaires sud-africains, malawites et tanzaniens.

Force régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC-RF). Déployée dans l’est du Congo en novembre 2022, sous commandement kényan et composée de militaires kényans, sud-soudanais, ougandais et burundais, elle a été critiquée par le président congolais pour son inaction face au M23. Elle s’est retirée en décembre 2023.

Notes

1- Au 30 octobre 2023, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

2- Parc national classé au patrimoine mondial de l’Unesco, situé au nord de Goma, le long de la frontière avec le Rwanda et l’Ouganda, dans le Nord-Kivu.

3- Discours du 8 décembre 2023 à Bukavu.

4- Le président polonais Andrzej Duda a effectué une visite de trois jours au Rwanda en février 2024, durant laquelle a notamment été signé un accord de coopération militaire.

5- Les FDLR avaient combattu aux côtés de l’armée congolaise face à l’offensive du M23 sur Rumangabo en 2022, où se trouve un camp militaire important, à 40 kilomètres au nord de Goma.

6- Cet accord conclu le 6 juillet 2022, sous la médiation de l’Union africaine, par Paul Kagame et Félix Tshisekedi, mais en l’absence de représentants du M23, prévoyait une « désescalade », le retrait du M23 des zones qu’il a conquises, la normalisation des relations bilatérales RDC-Rwanda et la reprise du processus de paix de Nairobi. Ce dernier, lancé en avril 2022 lors de l’adhésion de la RDC à l’EAC, prévoyait un programme de démobilisation-désarmement-réintégration des combattants des groupes armés de l’est du Congo, mais Kinshasa s’est opposé à ce que le M23 y participe.

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Tangi Bihan

Tangi Bihan est étudiant en science politique à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

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