(Ce texte a d’abord été publié dans l’édition de juin du journal Ski-se-Dit.)
Plusieurs intellectuels et militants relèvent ces temps-ci l’intérêt que l’on porte dans les médias à une foule de sujets secondaires au détriment du génocide en cours à Gaza. C’est bien sûr tout à fait déplorable ! Et il en est de même depuis des décennies pour ce qui est du réchauffement de la planète et de l’environnement en général auquel on accorde, somme toute, très peu de place dans les médias. Comme le soulignent pourtant depuis plus de vingt ans les plus éminents climatologues et scientifiques, « l’avenir de l’humanité est en jeu ».
Le principal obstacle
Nous vivons dans des sociétés où la presse écrite et électronique et les médias sociaux sont dominés par le monde des affaires et de vastes conglomérats qui en sont bien souvent d’ailleurs les propriétaires. Quand ces moyens de communication ne sont pas directement la propriété des forces de l’argent, ce qui n’est manifestement pas souvent le cas, ils sont alors soumis indirectement aux contraintes imposées par la publicité, les grands annonceurs ne permettant pas que l’on fasse la promotion de valeurs et de mesures qui puissent nuire au développement de leurs produits et services.
On peut bien sûr aborder les questions d’environnement et les questions sociales dans nos médias, mais alors de façon secondaire, dans les marges en quelque sorte, comme une quelconque soupape de sécurité, perdues dans le fouillis des communications de toutes sortes, à travers des petits et grands scandales, des questions d’argent, des accidents de la route, des faits divers, des potins et des sports. Quant aux médias sociaux, ils sont entre les mains d’intérêts financiers et de propriétaires très à droite sur le plan politique et ont en grande partie sombré dans le mensonge et la désinformation.
Nous avons évité le pire, lors des dernières élections fédérales, en ne portant pas au pouvoir le Parti conservateur du Canada, parti qui s’était engagé à démanteler progressivement notre diffuseur public Radio-Canada/CBC. Il n’est pas difficile de mesurer l’ampleur de ce qu’aurait été cette perte en matière d’indépendance journalistique et de qualité des informations et des analyses. Parce qu’il est essentiel que notre réseau public d’information radio et télévision qu’est Radio Canada/CBC continue d’exister et, plus encore, qu’il devienne véritablement – en changeant de cap – un réseau d’information totalement indépendant des intérêts privés et financiers.
Comme je l’ai mentionné dans ma précédente chronique sur l’environnement, nous devrons lui fournir ces moyens d’action en lui assurant un financement adéquat qui lui permette d’assurer cette pleine indépendance et donc, tant sur le plan journalistique que culturel, en interdisant toute forme de publicité privée et même partiellement privée sur son réseau de stations de radio et de télévision. Une information de grande qualité et indépendante des contraintes imposées par le secteur privé est fondamentale pour redonner aux questions sociales et environnementales l’importance qu’elles méritent. Nous pouvons le faire ! D’autres pays le font aussi !
Seule une presse indépendante devrait d’ailleurs pouvoir profiter directement et indirectement de l’aide gouvernementale si nous voulons bâtir une presse écrite et électronique libre et en mesure d’accorder aux questions environnementales et sociales la place primordiale qui leur revient. Je songe ici aux journaux communautaires et à tous les journaux d’idée sans buts lucratifs qui ne bénéficient pas du soutien financier - même sporadique - d’entreprises ou de mécénats. L’argent est disponible. Il suffirait entre autres, dans un premier temps, de taxer les géants du Web et de les bien réglementer. De faire de même, dans un deuxième temps, avec les grandes institutions financières et grandes entreprises qui engrangent chaque année d’indécents profits. Et dans le même ordre d’idée, de permettre et de soutenir la mise en place de médias sociaux entièrement publics, peut-être comme composante de Radio-Canada/CBC, réseaux qui appartiendraient à l’ensemble de la population, plutôt qu’à de riches entreprises américaines qui nous manipulent et nous désinforment plus qu’autre chose avec leurs détestables algorithmes.
Le politique suivra
« C’est énoncer une vérité désormais banale que de dire que ce sont les idées qui mènent le monde » écrivait Ernest Renan dans « L’avenir de la science » en 1848. Si banale qu’elle soit, cette vérité est cependant trop oubliée de nos jours, avec la mainmise graduelle des entreprises privées et conglomérats sur le monde des médias et de la culture au cours du dernier siècle. Parce que le capitalisme, appelons-le par son nom, ne détruit pas seulement notre environnement, la vie de foules et de foules d’individus sur terre, d’animaux et de plantes ; il pervertit et détruit aussi le monde des idées, des communications, des médias, qui nous permettraient de mener le monde… vers la justice sociale, l’égalité et un environnement sain pour l’avenir de l’humanité, et de la faune et de la flore.
Parce que ce dont tous les médias devraient parler, en priorité, à la une, en début de bulletins de nouvelles, quotidiennement, régulièrement, de façon encourageante dans la mesure du possible, c’est d’environnement, de décroissance, de justice sociale, d’égalités réelles. Le politique, dans une société représentative comme la nôtre et même dans d’autres formes d’organisation finirait par suivre la poussée populaire en faveur de réels changements.
L’information essentielle, celle qui porte sur la protection de notre environnement, la nécessaire décroissance, la justice sociale et l’égalité entre les êtres doit commencer à occuper toute la place, sinon presque toute la place, dans nos nouvelles, nos analyses et même nos loisirs et nos activités culturelles.
En matière de défense et de protection de l’environnement en particulier, il n’y a pas de demi-mesures. Un changement de cap s’impose ! Nous ne pouvons continuer à tergiverser avec des engagements de réduction des gaz à effet de serre jamais tenus de la part d’oligarchies uniquement soucieuses de la croissance sans fin du capital. Ni de mesures de substitutions, toujours ancrées dans un monde en perpétuelle croissance, elles aussi, comme le passage de formes d’énergie plus polluantes à des formes d’énergies moins polluantes ou supposées telles.
Pour finir
J’aimerais terminer cette chronique d’abord en soulignant l’importance de la présence de journaux communautaires ou indépendants comme le journal Ski-se-Dit pour contribuer à de tels changements, journaux dont la survie financière n’est jamais assurée, qui survivent contre vents et marées, en nous assurant chaque mois une présence médiatique proche de nos réalités quotidiennes. Je suis d’ailleurs très reconnaissant à la direction de ce journal de me permettre de m’y exprimer avec cette liberté de parole qui n’est pas toujours admise, quoi qu’on en pense, sans jamais tenter, à aucun moment, d’en réduire la portée.
J’aimerais aussi profiter de cette précieuse tribune pour vous suggérer quelques ouvrages sur l’environnement et des sujets qui y sont liés de près dans notre lutte pour un monde meilleur :
(Je tiens à commencer par l’essai le plus connu de Serge Mongeau, le père de la simplicité volontaire, qui nous a quittés au cours du dernier mois.)
– La simplicité volontaire – Serge Mongeau – Écosociété.
– Aux origines de la décroissance – Cédric Biagini, David Murray, Pierre Thiesset et plusieurs autres – Écosociété.
– Le plastique est mort, vive le bioplastique ! – Paul Lavallée – Écosociété.
– L’Entraide, l’autre loi de la jungle – Pablo Servigne et Gauthier Chapelle – Éditions Les liens qui libèrent.
– Tenir tête aux géants du web – Alain Sauliner – Écosociété.
– Sens dessus dessous - Eduardo Galeano (traduit de l’espagnol) – Lux Éditeur
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