Édition du 23 avril 2024

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Afrique

Fin de partie pour Mugabe et après ?

Après 37 ans de pouvoir Robert Mugabe, abandonné par les siens, son propre parti la Zanu PF et l’armée, a choisi de laisser la place. Départ salué par une foule en liesse qui n’en pouvait plus d’un régime autoritaire, du naufrage d’une économie autrefois prospère, des droits humains bafoués jour après jour. Cette exubérance ne cache toutefois pas l’inquiétude pour demain.

Tiré du blogue de l’auteure.

Pour les plus anciens, l’arrivée au pouvoir d’Emmerson Mnangagwa rappelle des souvenirs sanglants. Chef de la sécurité intérieure dans les années qui ont suivi la déclaration d’indépendance en 1980, il a été un des organisateurs des massacres de Gukurandi qui ont causé la mort de 20 000 civils, essentiellement du groupe ethnique Ndebele et partisans du mouvement de libération rival, la ZAPU de Josua Nkomo. « Son passé va coller à sa chaussure comme un chewing-gum » assure Pers Pigou, un consultant de International Crisis Group’s Southern Africa. Son surnom de « Ngwena", ou crocodile en langue Shona, décrit bien le personnage. Il a fait fortune en s’accaparant par la force des mines de diamants de Marange, en déployant l’armée alors qu’il était ministre de la défense. Après avoir délogé par la force les petits prospecteurs, des villageois ont été réduits au travail forcé dans ces mines et une enquête de la BBC, diffusée le 8 août 2011, révélait l’existence d’un camp de torture près du gisement de Marange. Les revenus de ces mines allaient en grande partie dans la poche de Mnangagwa.

Des responsables de Human Rights Watch sont inquiets des transactions secrètes qui ont eu lieu entre les protagonistes de la révolution de palais, rien n’a filtré des termes du marché, à part la lettre de démission dictée par les généraux au Président Mugabe. Il y a peu de chance que les Mugabe soient jugés pour leurs crimes car les responsables de l’armée qui ont provoqué leur destitution sont impliqués dans les mêmes crimes. Selon le quotidien Mail &Guardian, Mugabe aurait à un moment monnayé son pouvoir contre l’exil et l’immunité de sa femme Grace. Les sourires des forces armées ne doivent pas faire illusion « rappelons nous que Mnangagwa, les responsables de l’armée et Mugabe sont taillés dans la même étoffe ». https://www.businesslive.co.za/bd/world/africa/2017-11-22-mnangagwa-and-mugabe-cut-from-the-same-cloth-human-rights-watch-says/

Pour ceux qui ont examiné avec attention le déroulement des événements la question reste des plus vagues de savoir s’il y a eu un coup, pas de coup , ou un coup à la zimbabwéenne, genre inédit à ce jour. Deux experts de la Commission des droits de l’homme sud–africaine, après avoir passé en revue toutes les définitions d’un coup donné par l’Union Africaine et la SADC, en arrivent à cette conclusion : « Ce qui est clair cependant c’est que les généraux au Zimbabwe ont sorti un lapin de leurs chapeaux, laissant tout le monde sans voix et bien en peine de qualifier leurs actions. Certains ont dit que c’était « a soft coup » et d’autres ont rétorqué que c’était « a coup in slow motion ». Autrement dit si l’armée se conduit bien, s’il n’y a ni effusion de sang, ni destruction de biens, tout va bien ! Peu importe que l’armée ait investi le palais présidentiel, la radio nationale, mis ses chars dans la rue et donné l’ordre à la rue de se tenir tranquille. https://www.dailymaverick.co.za/article/2017-11-22-op-ed-coup-what-coup-the-vexing

Le nouvel homme fort du Zimbabwe hérite d’un pays exsangue. Les coffres de l’état sont vides, l’inflation reste forte, les banques limitent les retraits de liquidités à leurs clients, et la nouvelle monnaie, les « bond notes » n’ont pas réussi à redonner confiance à une population désargentée. La dette extérieure est énorme, plus de 9 milliards de dollars, sans compter le remboursement immédiat exigé par le nouveau secrétaire d’état aux finances américain, de 385 millions de dollars. Tendai Biti, ministre des finances, membre du MDC, le parti d’opposition, de 2009 à 2013, accuse son successeur du Zanu PF de malversations. Tout ce contentieux rend encore plus difficile la formation d’un futur gouvernement de coalition. Ce qui fait dire à un juriste « Il se pourrait que Mnangagwa, les élites du MCD et les militaires fassent parti d’un gouvernement de coalition. Mais ils sont surtout terrifiés par la classe ouvrière, parce qu’une politique d’austérité pourrait mener à des révoltes ». https://www.businesslive.co.za/bd/opinion/2017-11-23-can-new-leaders-be-trusted

De son retour au pays, après avoir trouvé refuge dans un pays ami pour fuir les menaces qui mettaient sa vie en danger, celui qui est devenu le nouveau président du Zimbabwe jusqu’aux prochaines élections qui devraient se tenir cet été, a bien promis pleine et entière démocratie et sa volonté de voir l’économie du pays de nouveau prospère, les investisseurs étrangers vont y regarder à deux fois avant de se décider et les institutions internationales, FMI et Banque mondiale, vont exiger un grand ménage dans les finances du pays. Ronak Gopaldas, consultant à l’Institut for Security Studies à Pretoria exprime ainsi son manque d’enthousiasme devant la situation nouvelle : « A ce stade, il semble peu probable que le pays entre dans un cycle d’anarchie, mais il est également aussi peu vraisemblable que l’on assiste à une transition genre conte de fées. Il est plutôt vraisemblable que la transition soit quelque chose entre les deux ».

Emmerson Mnangagwa a prêté serment comme nouveau président du Zimbabwe vendredi 24 novembre 2017 et à la foule rassemblée pour cette cérémonie, il a promis des emplois et encore des emplois. Sa sécurité était assurée par des tireurs d’élite et une garde rapprochée, tandis que l’armée veillait discrètement au bon déroulement de la cérémonie.

Jacqueline Dérens

Blogueuse sur le site de Mediapart (France). Ancienne militante contre l’apartheid, fondatrice de l’association RENAPAS - Rencontre nationale avec le peuple d’Afrique du Sud.

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