Édition du 16 avril 2024

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Planète

Fin des néocotinoïdes ? Pas tout à fait

À partir de ce samedi 1er septembre, les pesticides de la famille des néonicotinoïdes sont interdits en France. Enfin, presque : les défenseurs des abeilles craignent des dérogations et que de nouvelles molécules arrivent sur le marché.

tiré de Reporterre.

Remémorez-vous quelques secondes les longs trajets de vos récentes vacances. Les slaloms entre les champs de maïs et de tournesols, les lignes droites cernées de céréales et de colza. Imaginez-vous maintenant à la place d’une abeille. Si vous survolez un champ d’orge d’hiver (orge plantée avant l’hiver), il y a 80 % de chances que les semences aient été enrobées d’un pesticide néonicotinoïde. Même situation pour 98 % des champs de betteraves à sucre, 40 % des champs de maïs, 25 % des champs de colza (le traitement est aérien pour ces derniers), mais aussi 50 % des champs de pommes de terre, 100 % des laitues, 90 % des pommiers et pruniers, 100 % des noisetiers [1].

Les néonicotinoïdes attaquent le système nerveux des insectes, et sont souvent la solution la plus radicale pour se débarrasser de ce que l’on appelle les « ravageurs ». Mis sur le marché français à partir de 1994, ils sont désormais les pesticides les plus utilisés en France (34 % des ventes en 2016). 4,4 millions d’hectares y sont traités, soit un peu plus de 15 % de la surface agricole selon nos calculs [2]. Mais pour les pollinisateurs, à partir de ce samedi 1er septembre, le paysage agricole français va changer. Votée dans la loi Biodiversité de 2016, l’interdiction des néonicotinoïdes entre en vigueur. Le décret d’application, publié le 30 juillet dernier, liste cinq substances aux noms barbares (acétamipride, clothianidine, imidaclopride, thiaclopride, thiaméthoxame) désormais bannies des champs. En 2013, des restrictions d’usages de certaines molécules sur les plantes attractives pour les abeilles avaient déjà été prises par l’Union européenne, mais d’autres néonicotinoïdes s’y sont substitués, et en France leur utilisation n’a pas diminué. L’hécatombe des abeilles, observée par les apiculteurs français depuis l’introduction de cette nouvelle famille de pesticides, s’est poursuivie.

« Une impasse technique dramatique » Un long combat, mené notamment par les apiculteurs, qui semble enfin sur le point d’aboutir. « L’interdiction va changer la donne pour les abeilles », assure Henri Clément, porte-parole de l’Unaf (Union nationale des apiculteurs français). « C’est une première mondiale », ajoute Anne Furet, qui suit le dossier pesticides à l’Unaf. L’interdiction française pourrait d’ailleurs être renforcée dès la fin de l’année au niveau européen : trois néonicotinoïdes (thiaméthoxame, clothianidine et imidaclopride) vont être proscrits en plein champ dans toute l’Union. Les utilisateurs de ces produits se sont quant à eux unanimement insurgés contre cette interdiction. « Alors que le président de la République et le gouvernement s’étaient engagés à “ne laisser aucun producteur sans solution”, un très grand nombre d’entre eux se retrouvent désormais dans une impasse technique dramatique », estiment dans un communiqué commun les syndicats des producteurs de blé (AGBP), maïs (AGPM), betterave (CGB), fruits (FNPF), colza (FOP) et le syndicat agricole majoritaire, la FNSEA.

Des protestations d’autant plus virulentes que la porte n’est pas tout à fait fermée aux néonicotinoïdes. La loi Biodiversité prévoit des dérogations jusqu’au 1er juillet 2020. « Cette interdiction est grave de conséquences pour nous, avertit Éric Lainé, président de la Confédération générale des planteurs de betterave. Nous n’avons pas de traitement alternatif contre le puceron vert, qui transmet un virus aux betteraves, ce qui entraîne des chutes de rendement. » Ils ont plaidé pour une dérogation auprès du ministère, sans succès pour l’instant. D’après les informations transmises par le syndicat des fabricants de pesticides (UIPP, Union des industries pour la protection des plantes), une dérogation pour le maïs aurait également été refusée.

Sortis par la porte, les néonicotinoïdes pourraient revenir par la fenêtre « Des dérogations pour certains produits sur certaines cultures pourraient être accordées au fil des mois », nous informe Henri Clément. « Ils vont commencer par remettre un ministre de l’Écologie. » La bataille n’est donc pas tout à fait terminée. Ce d’autant plus que, sortis par la porte, les néonicotinoïdes pourraient revenir par la fenêtre. Deux nouvelles molécules ont récemment été homologuées en Europe, le flupyradifurone et le sulfoxaflor. Leurs fabricants (Bayer et Dow Agroscience) assurent que ce ne sont pas des néonicotinoïdes… Mais l’essentiel est préservé : ils ont le même mode d’action. En France, deux pesticides à base de sulfoxaflor ont déjà été autorisés, puis suspendus. La parade pourrait être incluse dans la future loi Agriculture et Alimentation, qui doit être définitivement adoptée en ce mois de septembre : un article prévoit que les pesticides ayant les mêmes modes d’action que les néonicotinoïdes soient aussi interdits. Reste à ce que le texte soit voté en l’état. Puis, quand bien même l’interdiction totale serait obtenue, sans doute faudra-t-il être patient pour en observer les effets. « Les néonicotinoïdes ont une rémanence de 2 à 3 ans dans les sols et ils migrent dans l’eau et les plantes sauvages voisines des plantes cultivées », indique Anne Furet. « Par ailleurs, la consommation de pesticides globale augmente en France… Mais on espère que, comme en Italie quand ils ont interdit les néonicotinoïdes sur le maïs, on observera une baisse des mortalités. »

SE PASSER DES NÉONICOTINOÏDES, UNE QUESTION D’ÉCONOMIE ?

Les défenseurs des néonicotinoïdes dénoncent à l’envi les conséquences économiques de cette interdiction : baisse des rendements, augmentation des coûts de production… « Encore une fois, ces décisions, non assorties de propositions de substitution, vont accentuer les distorsions de concurrence avec les producteurs européens et non européens. La France veut-elle sacrifier des productions qui créent de la valeur, tiennent nos territoires et génèrent de très nombreux emplois, au profit des importations ? » interrogent les organisations de producteurs dans leur communiqué commun. Les paysans qui ont dit non aux néonicotinoïdes ne leur donneraient pas tort. Mais ils y voient justement une nécessité de revoir le modèle économique de l’agriculture conventionnelle. Cultivateur n’ayant que 50 petits hectares en Beauce, Gilles Menou a renoncé aux néonicotinoïdes il y a longtemps. « C’est un outil pour ceux qui veulent s’agrandir, estime cet adhérent du syndicat agricole alternatif, la Confédération paysanne. Si vous avez 200 hectares et que vous êtes seul, il faut avoir une organisation du travail pointue pour survivre. Quand on sème les céréales d’hiver en octobre, on a peu de temps. Les semences enrobées de pesticides, même si elles coûtent plus cher, vous évitent deux ou trois jours de boulot pour traiter ensuite. C’est une assurance tous risques, mais le contraire de l’agronomie. » Lui a choisi un autre mode de fonctionnement : « Avec moins d’hectares, j’essaye le plus possible de limiter mes intrants. J’observe les parcelles et je n’interviens que si c’est absolument utile. »

« Il n’y a pas d’impasse technique face aux néonicotinoïdes, mais il y a, en revanche, un mur économique », confirme Emmanuel Aze, son collègue à la Confédération paysanne. Ce producteur de fruits vante notamment les techniques de biocontrôle pour éloigner les insectes de ses arbres. « Mais c’est très coûteux comparé aux néonicotinoïdes, note-t-il. Cela fait augmenter les coûts de production alors que 30 % des arboriculteurs ont disparu en six ans. » La concurrence espagnole, en particulier, a fait très mal. « Sans des outils de protection, comme un prix minimum d’entrée sur le marché national, on ne s’en sortira pas. Si on ne règle pas les problèmes de distorsion de concurrence, on n’arrivera pas à régler le problème des pesticides », estime ce syndicaliste.

Notes

[1] Ces chiffres sont tirés du rapport de l’Anses sur les néonicotinoïdes de mars 2018

[2] Toujours selon les chiffres du rapport de l’Anses

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