Édition du 3 décembre 2024

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Arts culture et société

Gaslighting, traumatisme racial, whitesplaining... Estelle Depris explique le racisme aux Blancs

La Belgo-Congolaise propose des analyses et des conseils antiracistes dans un livre publié cet été, ainsi que sur son compte Instagram « Sans blanc de rien », qui réunit plus de 100 000 abonnés.

Tiré de l’Humanité

Publié le 17 novembre 2024

Estelle Depris vient de sortir Mécanique du privilège blanc. Sur son compte Instagram, Sans blanc de rien, elle s’adresse aux personnes blanches et leur explique le racisme.

Il n’y a pas assez de bancs et de tabourets, alors les lecteurs s’assoient sur les escaliers de la librairie Folies d’encre, à Montreuil. Ce sont surtout des jeunes qui sont venus rencontrer Estelle Depris, tout juste arrivée de la capitale belge pour une séance de dédicaces.

Sous la pluie francilienne, la Bruxelloise n’est pas dépaysée. « Ma communauté comporte plus de Français que de Belges », fait-elle remarquer. Devant son public ou sur Instagram, où son compte Sans blanc de rien réunit plus de 103 000 followers, la jeune femme est intarissable.

«  J’ai toujours été intéressée par les questions sociales, mais je n’ai appris l’histoire coloniale de la Belgique qu’à environ 18 ans, de manière très violente », avec les images des massacres au Congo, raconte-t-elle. Le sombre passé du Plat Pays est effacé des manuels scolaires, un oubli volontaire qui constitue un terreau fertile pour la xénophobie : « Ce qui m’a frustrée, c’est ce manque d’accès aux connaissances. »

À la fin de son master, Estelle et deux de ses camarades imaginent alors un « mémoire médiatique » sous la forme d’un podcast dans lequel une jeune femme blanche découvre le racisme systémique.

Lutter contre les oppressions qu’on ne subit pas soi-même

«  C’est l’ignorance blanche dont parle Charles W. Mills (philosophe jamaïcain – NDLR), reprend-elle. Il y a un véritable déni chez des personnes qui ne se sentent pas concernées par le problème, d’où l’expression “faire semblant de rien”. » Sur son compte, la jeune femme s’adresse donc directement aux personnes blanches.

Mais, plus qu’un travail de vulgarisation d’auteurs tels qu’Arun Kundnani, Toni Morrison ou Frantz Fanon, elle adapte leurs concepts et leurs analyses à l’actualité française et belge. Ainsi défilent les notions de gaslighting (manipulation visant à faire douter une personne d’elle-même – NDLR), de traumatisme racial ou de whitesplaining (explication sur le ton paternaliste donnée à des personnes subissant le racisme sur ce qui devrait être ou non tenu pour raciste – NDLR), pour lesquelles « il y a une vraie demande », affirme-t-elle.

Dans la librairie, nombreuses sont les personnes à l’interroger sur des situations personnelles, ces micro-agressions du quotidien. « La véritable solidarité politique, c’est de lutter contre les oppressions qu’on ne subit pas soi-même, leur répond Estelle Depris. Il ne s’agit pas de culpabiliser, puisque le racisme systémique biaise nos interactions et nous entrave tous, à différents niveaux. » Et comme les voix blanches sont plus écoutées que les autres, autant qu’elles servent : « Prendre la parole est un risque tout à fait minime comparé à ce qu’encourent les personnes racisées lorsqu’elles parlent.  »

Pour cette fois, l’auditoire joue son rôle. C’est cette communauté « investie et hyperengagée » qui a permis à Estelle Depris de publier un premier ouvrage, un manuel intitulé Mécanique du privilège blanc. De quoi coucher ses nombreux posts Instagram sur papier.

« J’ai décidé de le faire après la mort de George Floyd (cet Africain-Américain assassiné par la police de Minneapolis le 25 mai 2020 – NDLR), se remémore-t-elle. C’était un moment très difficile pour nous tous. Quand la vidéo est sortie, mon téléphone n’arrêtait pas de vibrer. Environ 20 000 personnes se sont abonnées en une journée, beaucoup étaient blanches et se demandaient ce qu’elles pouvaient faire face au racisme et à leurs privilèges. »

«  Personne n’est parfait sur les questions racistes »

La militante se sent obligée de répondre à l’appel. Elle travaille d’arrache-pied à l’écriture de son manuscrit et finance sa publication avec les précommandes de sa communauté. Cette dernière reçoit enfin son dû, l’été dernier. « Personne n’est parfait sur les questions racistes », affirme celle qui a eu la chance de grandir aux côtés d’une « vraie alliée », sa mère.

Jeune, celle-ci voit ses amies noires subir des agressions, elle fait donc tout pour protéger sa fille métisse. « Elle était en photo dans la presse parce que, en manif, elle levait un panneau ”Le racisme anti-Blancs n’existe pas », s’amuse Estelle, fière. Elle fait vraiment le taf ! »

Parler aux privilégiés pour que tous se saisissent du combat, tel est l’objectif d’Estelle

Depris. L’exploitation de classe n’efface pas les dominations racistes, « elles se superposent. Il faut qu’on arrive à décloisonner les luttes, à ne pas les hiérarchiser », argumente-t-elle, invoquant l’exemple du Nord-Kivu, en RDC. «  Toutes et tous sont victimes du capitalisme, mais le viol des femmes est une arme de guerre, c’est un aspect féministe ; l’exploitation des mines, elle, soulève des problèmes environnementaux. Dans notre société, c’est pareil, on ne peut pas mener la lutte sociale sans en considérer tous les pans. »

Au risque de prolonger cette atmosphère « morose » en Belgique et en Europe, où les nationalismes percent dangereusement. «  La frustration socio-économique d’une grande partie de la population a freiné les luttes progressistes, qu’il s’agisse de MeToo ou d’antiracisme, analyse la jeune femme. Beaucoup de privilégiés pensent que l’égalité leur fera perdre quelque chose. Mais personne ne perd rien ! On est tous au même niveau pour construire une société plus respectueuse, humaine et digne. »

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