Édition du 16 avril 2024

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Libre-échange

L’accord commercial entre l’Union Européenne et le Canada serait un pas en arrière

Nous — un Européen français et une Canadienne — collaborons de longue date, sans accord de libre-échange. En 2001, nous avons été aspergés de gaz lacrymogène ensemble au Sommet des Amériques, à Québec. Grâce aux efforts du mouvement, un groupe international de militants a réussi à faire échec à la Zone de libre-échange des Amériques.

José Bové est député européen et Maude Barlow est présidente du Conseil des Canadiens.

Source : Mediapart.

Ses défenseurs l’ont qualifié de « référence absolue », affirmant que la ratification de l’accord serait une sinécure. Malgré les efforts louables des doreurs d’image pour dépeindre le CETA sous un jour favorable, les gens sont de plus en plus nombreux à voir le vernis craquer.

Le directeur général de la Fédération du lait Alain Bourbeau a dit que pour les agriculteurs, le CETA et le PTP (Partenariat Trans-Pacifique) se traduiraient par des pertes pouvant atteindre 30 000 $ pour chaque ferme. D’après une récente étude indépendante du Global Development and Environment Institute de l’Université Tufts, l’AECG fera perdre 23 000 emplois dans l’ensemble du Canada.

Il n’est donc guère étonnant que le ministre allemand des Affaires économiques se soit rendu à Montréal récemment pour tenter de redorer l’image du CETA, après que plus d’un demi-million de personnes sont descendues dans les rues d’Europe en septembre pour rejeter l’Accord. Les manifestations devraient d’ailleurs s’intensifier au cours des prochaines semaines, dont une manifestation prévue en France le 15 octobre prochain. 

Le CETA se heurte à une forte opposition des deux côtés de l’Atlantique. Cet accord de libre-échange accorde des pouvoirs exceptionnels aux sociétés transnationales et menace de nombreux secteurs de politique publique, y compris la souveraineté alimentaire, la qualité des services publics, les emplois décents, l’accès aux médicaments, le développement de l’économie locale, et la prise de mesures concrètes de lutte contre les changements climatiques.

Pour certains, les accords de libre-échange internationaux sont synonymes de coopération mondiale. L’opposition au CETA est perçue comme un rejet des liens forts qu’entretiennent les Européens et les Canadiens, des valeurs partagées et des racines communes.

Nous pourrions discourir longtemps de l’amitié transatlantique ; nous sommes amis et collègues depuis plusieurs décennies. Nous — un Européen français et une Canadienne — collaborons de longue date, sans accord de libre-échange. En 2001, nous avons été aspergés de gaz lacrymogène ensemble au Sommet des Amériques, à Québec. Grâce aux efforts du mouvement, un groupe international de militants a réussi à faire échec à la Zone de libre-échange des Amériques.

Nous sommes tous pour les accords et le libre-échange des idées. 

Mais le CETA n’est pas ce genre d’accord. Le CETA est conçu de manière à donner aux multinationales de nouveaux outils pour s’enrichir aux dépens des citoyens en leur permettant de contester la réglementation gouvernementale qu’elles n’aiment pas. 

À titre d’exemple, la compagnie Lone Pine Resources a poursuivi le gouvernement du Canada aux termes de l’ALENA à cause d’un moratoire québécois sur l’exploitation des gaz de schiste par fracturation hydraulique dans la vallée du fleuve Saint-Laurent. La pétrolière canadienne se sert de sa filiale américaine pour contester la loi. Ce n’est qu’un aperçu de ce qui nous attend avec le CETA. Le gouvernement du Canada a accepté d’établir un tribunal spécial pour permettre aux multinationales de poursuivre les gouvernements aux termes du CETA. 

Depuis l’adoption de l’ALENA, le Canada a été poursuivi pas moins de 39 fois par des sociétés américaines et contraint de payer plus de 198 millions de dollars en pénalités. Le Canada est actuellement la cible de poursuites totalisant 2,57 milliards de dollars, dont les deux tiers touchent des politiques environnementales. Il s’agit notamment de poursuites pour des moratoires sur les forages, les pesticides utilisés pour les pelouses, et l’exportation transfrontalière de PCB. Le CETA fera en sorte de favoriser ce genre d’abus par les multinationales.

Le CETA renferme une disposition obligatoire sur la coopération en matière de réglementation afin d’harmoniser les normes entre l’Amérique du Nord et l’Europe dans des domaines aussi divers que les pipelines, les services financiers, les lois du travail et les produits chimiques dans les aliments. Le CETA renferme également une disposition sur le règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE), un mécanisme qui permet à une société étrangère d’un pays de poursuivre le gouvernement d’un autre pays pour obtenir une compensation financière lorsqu’un règlement ou une loi viole le droit de l’investisseur à faire des profits. 

Si quelqu’un vous dit que le « tribunal multilatéral sur l’investissement » qui remplace la disposition d’origine sur le RDIE est une réforme ou une amélioration, ne les croyez surtout pas. La création d’un « tribunal spécial » à l’usage exclusif des sociétés étrangères, excluant de facto les sociétés, les associations et les organisations nationales, demeure profondément antidémocratique et dangereuse. Un rapport récent a établi que le tribunal multilatéral sur l’investissement autoriserait les contestations les plus controversées lancées aux termes de la disposition de l’ALENA sur le RDIE. 

Nous avons plus que jamais besoin d’accords internationaux, mais pas du CETA. Nous avons besoin d’accords qui améliorent nos normes. Pourquoi ne pas conclure un accord transatlantique pour circonscrire l’évasion fiscale ? À l’heure actuelle, les sociétés utilisent chaque échappatoire possible pour éviter de payer des impôts sur leurs profits. Dotons-nous d’un accord Canada-Union européenne pour réglementer les mouvements de capitaux, améliorer les droits des travailleurs et empêcher la privatisation de biens communs comme l’eau. 

La forme actuelle de mondialisation économique caractérisée et protégée par des accords favorables aux entreprises comme le CETA est profondément erronée. Les gagnants sont trop peu nombreux ; les dommages infligés au monde naturel sont beaucoup trop vastes. 

Nous devons rejeter le CETA. Nous devons aller encore plus loin et repenser un système économique constamment au service du un pour cent. Le moment est venu d’inscrire les principes de coopération et de communauté au cœur d’une vision de développement social juste, équitable et durable.

S’il n’y a jamais eu, dans notre histoire, un moment où l’on doit faire preuve de courage et de vision pour un système de production alimentaire, de production d’énergie et d’échanges commerciaux transnationaux, c’est bien maintenant. Tout dépend en grande partie de ce que nous ferons maintenant.

Maude Barlow

Présidente nationale du Conseil des Canadiens

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