Édition du 10 décembre 2024

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Québec

L’éternel retour du remède néolibéral

Vous souvenez-vous des programmes d’ajustement structurel ? Imaginés par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) à la fin des années 1980, ils permettaient à un pays de réduire sa dette à condition de procéder à des réformes qui, disait-on, encourageraient l’investissement étranger et favoriseraient ainsi son « développement ». La Banque mondiale affirma à propos de ces programmes dans son rapport annuel de 1990 : « la réduction de la dette est un moyen et non une fin en soi ».

Dans les faits, la réduction de la dette a servi de prétexte pour faire reculer l’encadrement politique de l’économie à coup de diminution des dépenses publiques, de privatisations, de libéralisation financière et de dérèglementation des marchés. Bref, la dette a été dans les pays du Sud l’instrument de l’application du programme néolibéral, mis également de l’avant à l’époque dans les pays dits « développés » sous la houlette des Thatcher, Reagan, Mulroney et autres fervents défenseurs des vertus du libre-marché.

Usant d’une rhétorique qu’à peu près tous les gouvernements ont exploitée depuis l’adoption de la loi sur l’équilibre budgétaire en 1996, le gouvernement de Philippe Couillard prône à son tour l’austérité budgétaire comme moyen de stimuler la croissance économique. Ceci dit, il semble y avoir méprise sur la signification de cet objectif. D’une part, ce n’est pas dans le but de réduire la taille de l’État que l’on nous promet un meilleur contrôle des dépenses publiques, mais bien de réduire l’État à une seule fonction : celle de garantir les conditions propices à la croissance de l’économie. D’autre part, la croissance dont il est question n’a jamais désigné autre chose que l’accumulation privée de profits.

Cela saute aux yeux lorsqu’on sait que l’évolution des profits des entreprises et des revenus d’investissement en proportion du PIB a affiché une croissance de 16% depuis 1981, tandis que la rémunération des travailleurs et des travailleuses n’a fait que diminuer (-12%), toujours proportionnellement à la croissance de l’économie. L’impression demeure pourtant dans l’opinion publique que le Québec est une contrée hostile aux entreprises privées et que l’interventionnisme de l’État, dont témoignerait l’ampleur de sa dette, est en partie responsable de cette fâcheuse situation.

La réalité contredit néanmoins cette croyance. Par exemple, lorsque l’entreprise Goldcorp a voulu acquérir la québécoise Osisko, le pdg du géant du secteur aurifère s’est montré très enthousiaste à l’idée d’investir dans la belle province. « Nous sommes heureux de proposer un investissement au Québec, un des environnements les plus favorables au monde », a-t-il affirmé en substance. En fait, l’environnement d’affaires est si bon que plusieurs villes canadiennes, dont Montréal et Québec, se retrouvent constamment au sommet du classement international de KPMG en matière de compétitivité des coûts. Il va sans dire que la faiblesse de l’impôt des sociétés au Québec et au Canada contribue grandement à ce résultat. Mais cela n’explique pas pourquoi malgré une croissance de leurs bénéfices nets de l’ordre de 17% en 2013, les entreprises canadiennes n’ont toujours pas l’intention de hausser le niveau de leurs investissements cette année.

Comme plusieurs ne cessent de le répéter (de l’IRIS jusqu’aux économistes du FMI) et comme l’indique le risque actuel de déflation, l’austérité nuit présentement à la vigueur de l’économie en la privant d’investissements productifs. Si la tendance des sept dernières années se maintient, le Québec gardera donc sa bonne note de crédit sans que l’équilibre budgétaire ne puisse être atteint. Cette conjoncture encouragera notre gouvernement, en bon père de famille, à réduire d’autant plus le filet social au profit de la croissance des inégalités.

Margaret Thatcher affirma en 1981 à propos de sa politique économique : « L’économie c’est la méthode ; l’objectif c’est de changer le cœur et l’esprit des gens. » À force de « réingénierie » et de « révolution culturelle », on s’aperçoit que le problème de la dette n’est pas la fin, mais bien le moyen que les gouvernements qui se succèdent à Québec depuis vingt ans emploie pour convaincre tout un chacun d’appuyer une politique qui, pourtant, échoue invariablement à améliorer leurs conditions de vie.

Julia Posca

Doctorante en sociologie à l’UQAM et chercheuse associée à l’IRIS

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