Édition du 23 avril 2024

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Politique canadienne

L’héritage de Jack Layton et la course à la direction du NPD (deuxième partie)

L’héritage de Layton prépare le terrain pour l’actuelle course à la tête du NPD. Le nouveau rôle du NPD comme opposition officielle et son nouveau soutien dans la province de Québec changent certainement la dynamique de la compétition à la tête du parti. Par ailleurs, pour la première fois le chef du NPD fédéral sera aussi choisi par un pur système Un Membre - Un Vote (One Member One Vote - OMOV). Bien qu’il y ait eu une récente confusion dans les médias, le NPD a retiré depuis 2006 les moyens aux syndicats affiliés d’obtenir une certaine proportion des votes lors des élections pour les candidats.

L’héritage de Layton a des conséquences évidentes. La percée au Québec signifie que le bilinguisme est un pré requis comparé à autrefois et il y aura certainement dans la course la présence d’un candidat majeur du Québec. Au minimum, il y aura une pression pour trouver un candidat qui pourra avoir une position gagnante au Québec. En revanche, pour que le NPD puisse gagner les élections fédérales, il lui faudra pouvoir générer une « vague orange » en dehors du Québec. En 2011, le NPD n’a gagné que 8 sièges en dehors de la province du Québec comparé aux résultats de 2008. En Ontario, le NPD a obtenu à peine plus de votes que les Libéraux et ils étaient tous deux bien loin derrière les conservateurs. En Colombie-Britannique, en Saskatchewan et au Manitoba, les résultats du NPD furent meilleurs que durant les périodes électorales difficiles des années 1990 ; mais ceux-ci n’ont pas été à la hauteur de ceux obtenus durant les années 1960, 1970 et 1980. La consolidation d’une base électorale sur le plan pancanadien demeure un défi de taille. La problématique régionale est d’autant plus compliquée que NPD a une base électorale faible au Québec malgré la domination d’élus québécois au sein du caucus parlementaire si ce n’est pas une hausse des membres du NPD au Québec, la voix du Québec restera faible à cause du système OMOV.

La nouvelle prédominance du NPD signifie que les candidats dans cette course à la direction seront confrontés à une plus grande attention des médias et à plus de décorticage que d’habitude. La direction est plus que jamais une position convoitée. Pour une fois, la course à la direction du NPD implique également de choisir un chef du parti de l’opposition officielle et non seulement un chef d’un parti quelconque.

La course à la tête du parti qui se rapproche le plus de celle-ci est celle de 1989, lorsque le parti a dû choisir un successeur à Broadbent. Cela a attiré plus de sept candidats dont cinq étaient des députés et dont un était un ancien chef du gouvernement de la Colombie-Britannique : Dave Barett. Même à ce moment-là, toute l’attention était portée sur des membres importants parmi les néo-démocrates qui avaient renoncé à se présenter ( Stephen Lewis, Bob Rae et Bob White). Tout comme en 1989, il est possible que des parlementaires prennent part à cette course. La relative désirabilité de la fonction de chef de parti pourrait attirer plusieurs candidat-e-s et plusieurs députés sont en train de réfléchir à ce qu’ils feront. En 1995, au contraire, seulement trois candidats s’étaient lancés dans la course à la chefferie du NPD en 1995.

Une barrière toutefois se pose qui pourrait être celle des moyens financiers. Les campagnes OMOV sont onéreuses. Plutôt que d’organiser des réunions de sélection de délégations, de faire campagne parmi elles et de suivre ces quelques 2000 délégués, la course à la tête du parti selon le système OMOV doit atteindre plusieurs dizaines de milliers d’adhérant-e-s. Ce n’est pas une coïncidence si la compétition entre de multiples candidats, lors des courses électorales au sein des partis majeurs canadiens utilisant le système OMOV, soit devenue rare.

La course à la chefferie du NPD sera la première course d’un leader qui se déroule dans un parti politique important soumis aux règles sur le financement des partis politiques ( le sacre du Libéral Michael Igniateff compte à peine). Depuis 2007, un individu peut donner un maximum de 1100$ par campagne électorale et à un seul candidat ou alors cette somme est divisée entre tous les candidats. Les syndicats et les entreprises ne sont pas autorisés à faire des dons. Un candidat sérieux devra être capable de lever des fonds en s’appuyant sur nombre conséquent de petites contributions atteignant chacune au maximum 11 000 $.

Les lois électorales fédérales n’imposent aucune limite de dépenses durant les primaires des partis, qui ont la liberté de réguler eux-mêmes ces dépensent s’ils le souhaitent. Le Conseil du NPD fédéral a décidé de fixer la limite des dépenses pour les candidats au même niveau que précédemment, soit 500 000$. Toutefois, les frais non remboursables d’entrée dans la course sont de 15 000$, ce qui est le double de la dernière fois. Bien que ces chiffres puissent faire se retourner JS Woodworthdans sa tombe, ce n’est que de la petite monnaie comparée aux récentes expériences canadiennes : Ignatieff a dépensé près de 850 000$ quand il a gagné les élections chez les Libéraux en 2009 et plus de 2.3 millions lors de son échec à l’investiture du parti en 2006. Harper quant à lui a dépensé près de 2 millions de dollars pour gagner l’investiture du parti conservateur en 2004.

Sur le terrain : peu de place à l’optimisme.

Avec un terrain peu préparé, une analyse complète des candidats devra attendre. Pour l’instant, nous ne pouvons faire que quelques petites observations. Les seuls candidats déclarés à ce stade-ci sont Brian Topp et Romeo Saganash. Ce dernier était l’ancien directeur de campagne pour les élections du NPD fédéral et ancien directeur adjoint du cabinet du premier ministre Roy Romanow dans les années 1990. Topp dispose d’un très bon réseau au sein du parti, mais n’a jamais occupé un poste d’élu. Saganash, un chef Cree important a été élu comme député durant les élections de 2011. On prévoit la participation de Thomas Muclair qui est un élu d’Outremont et un ancien ministre de l’Environnement dans le cabinet libéral de Jean Charest.

Les noms de nombreux parlementaires ont circulé comme candidat-e-s potentiels, y compris celui de Libby Davies, Paul Dewar, Peter Julian, Peggy Nash, Nathan Cullen, Megan Leslie, Robert Chisholm et Niki Ashton. Pat Martin a suggéré que le parti aurait besoin d’un candidat qui se lancerait sous la bannière d’une coopération avec les Libéraux et qu’il le ferait si personne d’autre ne se proposait de le faire. Françoise Boivin a été considérée comme une candidate potentielle jusqu’à son ralliement à Topp. Certains parlementaires ont déjà assuré qu’ils ne se lanceraient pas dans la course, notamment Olivia Chow, Charlie Angus, Joe Comartin et Peter Stoffer.

Le chef du parti ne doit pas nécessairement faire partie du parlement. Les deux derniers chefs du NPD, Layton et McDonough n’avaient pas encore été députés avant d’être choisis à la tête du parti. Layton a échoué dans ses deux tentatives précédentes d’obtenir un siège au Parlement. Il a également perdu la course à l’élection à la fonction de maire de la ville de Toronto en 1991. McDonough a échoué deux fois avant d’être élue à la Chambre des Communes en 1979 et en 1980. Néanmoins, cette première a occupé le poste de chef du NPD dans la province de Nouvelle-Écosse ainsi qu’un poste au sein de l’Assemblée législative pendant plus de 14 ans. Avec Brian Topp, il pourrait y avoir d’autres candidats à l’investiture du parti qui n’ont jamais occupé de fonctions dans les caucus fédéraux. Toutefois, Gary Doers et David Miller ont fait savoir qu’ils ne déposeraient pas leurs candidatures. Il est à noter que les candidat-e-s ont jusqu’au 24 janvier pour se lancer dans la course à l’investiture et ceux qui ont refusé au début seraient sans doute amener à changer d’idée à l’avenir.

Il n’y a pas de candidats de gauche à proprement parler. Dans le passé, il y avait toujours la présence d’un candidat de l’aile gauche du parti : de James Laxer ( du mouvement pour un Canada socialiste indépendant) en 1971, à Rosemary Brown ( 1975), Svend Robinson (1995), jusqu’à Joe Comartin ( 2003). Libby Davie, l’élue de Vancouver Est, a été la voix constante de la Gauche au sein du NPD et son nom a souvent été mentionné comme candidate potentielle. Toutefois, elle se retrouve handicapée par la pauvreté de son français.

Lors de la dernière course, le Caucus socialiste a présenté un candidat : Bey Meslo. Est-ce que le Caucus socialiste sera en mesure de présenter un candidat alors que les frais d’entrée sont de 15 000 $ ? Les poids lourds du NPD espèrent bien que non. Le chef du Caucus Socialist, Barry Weisler a récemment vu sa candidature pour les élections provinciales en Ontario rejetée après qu’il ait gagné l’investiture dans la circonscription de Thornhill. Tout en continuant d’être une épine dans le pied pour l’establishment du parti, la fraction de gauche demeure plutôt une force marginale au sein du NPD. Meslo, par exemple a fini le dernier dans la course de 2003. Il n’apparaît pas non plus qu’il y a un candidat radical qui puisse remporter la course à l’investiture. Au mieux, un candidat de gauche, si un devait émerger, pourrait tout au plus soulever certaines problématiques et pousser les débats politiques et la rhétorique vers la gauche.

Qu’est-ce qui attend le NPD

En plus du remplacement de Layton, il y a beaucoup de discussions entourant le choix du candidat qui pourrait battre Harper et devenir premier ministre. De la perspective du NPD, le but à atteindre, serait peut-être de conserver la position du NPD en tant que parti de l’opposition officielle. L’ascension du NPD à la fonction de parti de l’opposition officielle a plus été le fait de la faiblesse continuelle et des bévues du parti libéral. De plus, le fait d’ignorer qui sera le chef des Libéraux dans un futur proche ou de ne pas savoir si les Libéraux seront en mesure de se réinventer ajoute des éléments d’incertitude dans cette lutte à la chefferie du NPD. (...)

L’avenir électoral du NPD est impossible à prévoir. Il est certain, cependant, que le NPD a choisi son orientation. Les dés sont jetés. Il va continue à développer son orientation modérée d’un parti électoraliste de centre gauche pour essayer de prendre la place des Libéraux. Ceux qui sont à la gauche du NPD feront face au même défi de reconnaître le NPD pour ce qu’il est, travaillant avec ce dernier et le soutenant quand cela sera profitable, tout en construisant des mouvements alternatifs avec des programmes radicaux par un militantisme de base.


Murray Cooke est a membre du Syndicat canadien de la Fonction publique, local 3909, membre du Greater Toronto Workers’Assembly et du Nouvement Parti Démocratique

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