Édition du 12 mars 2024

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États-Unis

Le blogue de Donald Cuccioletta : « La Gauche américaine en 2020 - Stratégies et perspectives »

Vingt ans après Seattle

Hé oui ! Vingt ans se sont passés depuis les grands affrontements contre la politique de mondialisation mise de l’avant et défendue par l’Organisation mondiale de commerce (OMC) à Seattle. La société civile, composée par la présence de divers groupes communautaires, syndicats, groupes féministes, organisations LGBT, la gauche libérale, et la gauche radicale, s’est donnée rendez-vous à Seattle pour engager, du 29 novembre au 3 décembre la résistance contre les ténors du capitalisme et leurs discours qui déguisent la pauvreté, la misère et la destruction écologique de notre planète.

Blogue # 8

Une armée de policiers, relevant tant des départements locaux que fédérale et d’État, ont utilisé les bombes lacrymogènes, poivre vaporisateur, des balles en caoutchouc, en bois et en plastique, des grenades à commotion et des véhicules blindés.1 Le Gouverneur démocrate Gary Locke, en fonction de 1997 à 2005, a envoyé la 81E de la Brigade de l’infanterie, un bataillon blindé, et le 898e bataillon d’Ingénieurs combattants, tous issus de La Garde nationale de l’État de Washington, qui ont patrouillé la ville, arme aux poings.2 Pendent cinq jours, la ville de Seattle était un camp armé.

En dépit de 600 arrestations, d’une déclaration d’« état d’urgence » et de la suspension des droits civiques dans le centre-ville de Seattle, la résistance s’est maintenue et s’est même amplifiée. Les travailleurs et travailleuses des ports ont fermé toute la côte ouest, de l’Alaska à Los Angeles. La majorité des conducteurs de taxi ont fait la grève. Des milliers de travailleurs et travailleuses, étudiants et étudiantes ont quitté leur lieu de travail et les écoles. La solidarité s’est étendue à travers la planète. Le chef de police de Seattle Norm Stumper questionné par le Seattle Times sur les évènements a répondu, « Il y avait certaines personnes qui nous disaient que les manifestants fermeraient le centre-ville de Seattle, et ils l’ont réussi aujourd’hui »3.

Pendant que les manifestants contrevenaient à la loi Marshall, des milliers ont pris la rue aux Philippines, au Portugal, en Turquie, à travers l’Europe, l’Amérique du Nord, et l’Amérique du Sud. Le mouvement antimondialisation, comme il était nommé en 1999, venait de prendre naissance. La résistance n’était pas uniquement limitée à la politique, mais se manifestait aussi dans l’art, la culture, et le théâtre de rue.

Dans les années qui ont suivi Seattle, la lutte antimondialisation est devenue une lutte d’altermondialisation. En somme la résistance à Seattle, avait fait comprendre aux combattants et combattantes qu’il y avait aussi une alternative à cette mondialisation capitaliste. C’est ainsi que nous avons vu naître le mouvement des Forums Sociaux Mondiaux.

La lutte contre le capitalisme devait aussi trouver son propre réseau, pour combattre les réseaux du capitalisme. Un réseau s’est composé à partir de la société civile, incluant des militants et militantes progressistes, pour la justice sociale et la démocratie. La gauche libérale, et la gauche socialiste radicale se sont senties interpellées en voyant ce rassemblement massif de gens qui luttaient contre un nouveau courant du capitalisme, la mondialisation. La lutte prenait une nouvelle direction, mais avec le même ennemi et la même cible.

La crise financière de 2007-2008 aux États et dans le monde est devenue la preuve qu’il ne fallait plus croire aux discours capitalistes, en s’organisant plutôt sur une base radicale. Ainsi la DSA (Democratic Socialist of America) issue du courant socialiste de Michael Harrington, a repris le flambeau de la lutte des classes. Malgré des débuts incertains avec peu de membres, l’organisation a affermi sa volonté après Seattle, l’objectif étant de remettre l’idée du socialisme sur l’échiquier politique de la société états-unienne.

Une crise économique et une crise politique ont traversé les États-Unis. Cette renaissance des luttes attribuées aux évènements de Seattle, c’est manifestée à Thompkins Square Park, un premier lieu de rencontre contre la Crise à New York. Thompkins Square a toujours été un important lieu de rassemblement new-yorkais pour les luttes syndicales, politiques, etc.

Ce mouvement de lutte s’est très vite dirigé vers le symbole iconique du capitalisme états-unien, soit Wall Street. Ainsi est apparu spontanément le Mouvement Occupy à Wall Street qui s’est vite développé dans deux cents villes états-uniennes. L’occupation de Zuccotti Park à New York est rapidement devenue un symbole de la lutte anticapitaliste. Les séminaires dans le parc sur Gramsci et la lutte des classes ont alors fleuri. L’étincelle pour un mouvement sociopolitique prenait naissance. À Zuccotti Park, l’esprit de communauté s’est vite transformé en cuisines communautaires, et en une ‘tent city’, en plein cœur de New York, ce qui évoquait les Hoovervilles qui se sont formées après la Grande Dépression de 1929 dans plusieurs centres urbains aux États-Unis. Les gens se sont regroupés spontanément pour se sentir en communauté. Les personnes qui ont occupé Zuccotti Park ont ainsi développé un esprit de communauté basé sur une conscience idéologique et sociale.

Cette crise et la réaction à cette crise ont aussi éveillé l’esprit de lutte organisé de la communauté afro-américaine. Le retour de l’esprit de contestation, comme nous avons vu durant la période des droits civiques, est apparu dans la nouvelle culture noire du rap et hip-hop, notamment avec des groupes comme Public Enemy et Dead Prez. La fierté d’être afro-américain.e, qui a surgi dans le passé avec le slogan Black Power de Stokely Carmichael, est revenue. Mais la réaction raciste est aussi revenue, tandis que le racisme systémique s’est renforcé. « Black Lives Matter » est apparu en réaction aux violences policières dont la communauté afro-américaine est la cible. La colère s’est transformée en émeutes à Baltimore, ce qui nous rappelait les émeutes de Watts, Détroit et Newark. Black Lives Matter est devenue, et est encore aujourd’hui, l’organisation la plus importante pour la communauté afro-américaine.

Seattle a aussi lancé les luttes culturelles, comme les identités sexuelles et ceci a encouragé la floraison de plusieurs mouvements qui luttent pour leurs identités sexuelles. Le mouvement féministe présent à Seattle est devenu un mouvement populaire avec le mouvement #MeToo. Le féminisme intellectualiste a rejoint le mouvement des femmes.

Alors arrive l’élection présidentielle de 2016 où Bernie Sanders interpelle la population américaine avec son programme de « Révolution politique » et, contre toute attente de la classe capitaliste, se lance dans course à la présidence. Battu par les manigances des Clintons, Sanders a néanmoins éveillé, par son discours prônant le socialisme démocratique, une nouvelle génération convaincue de l’importance de s’engager politiquement pour changer profondément les États-Unis. La DSA, qui était alors encore faible avec peu de membres, se voit propulsée par les discours de Sanders, et devient l’organisation que nous connaissons aujourd’hui. Le mot « socialisme » commence, avec vigueur, à prendre sa place dans le lexique politique et idéologique américain.

Seattle était l’étincelle. Seattle a mis en place les bases qui ébranlent aujourd’hui l’imaginaire des travailleurs et travailleuses aux États-Unis. Vive l’esprit de Seattle.

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