Édition du 23 avril 2024

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Afrique

Le Mali est en plein chaos, entre rébellion touareg et milices islamistes

La légendaire Tombouctou, la ville aux 333 saints, est-elle plongée dans le chaos des milices ? La situation de la perle du désert est à l’image de la confusion qui règne depuis plusieurs jours dans les grandes villes du Nord-Mali, avec Gao et Kidal, conquises de manière fulgurante par les rebelles touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) et par les fondamentalistes d’Ansar Eddine (les défenseurs de la foi). Qui contrôle aujourd’hui l’un des joyaux du Mali ? Bien malin celui qui pourrait répondre.

13 avril 2012 | tiré du site mediapart.fr

Le flou le plus total règne sur le contrôle de la cité millénaire comme sur la présence et la puissance des milices islamistes. Les plus en vue, certaines brigades d’Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), dont celle de l’émir algérien Belmokhtar, auraient pris position à Tombouctou. Pas pour le tourisme et la beauté des lieux, mais pour prendre langue avec les autorités religieuses locales, et asseoir leur réseau tissé depuis de nombreux mois déjà.

AQMI à Tombouctou ? S’il n’y avait que les ravisseurs des six otages français dans la région… Mais c’est sans compter sur les Boko Aram, responsables d’attentats sanglants au Nigeria, arrivés en renfort à Gao, ou sur des hommes d’Ansar Eddine accusés d’après plusieurs sources d’avoir égorgé un coupeur de route et qui accentueraient leur contrôle sur certains territoires. Et il y a encore le MUJAO (le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest), un groupe dissident d’AQMI qui a pris en otages la semaine dernière sept diplomates algériens. Enfin, d’autres milices arabes, en désaccord avec le MNLA et Ansar Eddine, se sont signalées.

Bref, de multiples groupuscules sont impliqués dans un conflit mouvant, dont les paramètres ne cessent de changer. Les rumeurs les plus folles circulent sur des exactions commises par des groupes salafistes sans qu’elles puissent être recoupées, les journalistes étrangers, les “Blancs” surtout, étant des cibles, dont les têtes sont mises à prix pour plusieurs millions de dollars.

À défaut d’être sur place, plusieurs sources jointes par Mediapart mettent en évidence les rivalités sous-jacentes depuis des semaines, et qui éclatent désormais au grand jour, au risque de dégénérer en affrontements sanglants et fratricides. En somme, un scénario explosif se dessine dans le Nord du Mali alors que le Sud retrouve un semblant de normalité constitutionnelle après la démission du président renversé, Amadou Toumani Touré, dit ATT. Son successeur, son fidèle compagnon, Dioncounda Traoré, le président par intérim, hérite d’un bourbier, plus grave encore que la situation prévalant il y a deux semaines, qui a pourtant entraîné la chute de son prédécesseur ATT.

Le MNLA, cheval de Troie des groupes salafistes ?

En à peine une semaine, une myriade de groupes armés ont donc réussi à occulter les victoires sans précédent des Touaregs du MNLA sur un territoire grand comme la France et la Belgique. Décidément tout va trop vite dans cette région désertique. Ce que les rebelles touaregs ont conquis après un demi-siècle de luttes contre le pouvoir central, est aujourd’hui menacé d’être “confisqué” par cette floraison de mouvements. À peine proclamée – vendredi dernier précisément –, la déclaration d’indépendance de l’Azawad par le MNLA, qui a surpris tout le monde, a été aussitôt reléguée au second plan. Car depuis quelques jours, la menace djihadiste a pris le dessus.

Un groupe salafiste, le MUJOA, auteur notamment d’un attentat à Tamanrasset, semble avoir parfaitement instrumentalisé une équipe d’Al Jazeera à des fins de propagande, comme raconté ici ou vu là, lors de la capture de sept diplomates algériens, dont le consul à Gao que l’on voit à l’écran.

Plus généralement, manipulations et guerres de communiqués sont à l’œuvre dans un Nord-Mali gagné par une instabilité grandissante. Et l’annonce de la proclamation d’indépendance du MNLA témoigne de cette situation mouvante qui échappe aux rebelles touaregs, soucieux de reprendre la main face aux fondamentalistes d’Ansar Eddine emmenés par Iyad Ag Ghali. Ancienne figure respectée de la rébellion au début des années 1990, devenu un temps vice-consul malien à Jeddah en Arabie saoudite, Ag Ghali est devenu un “pacificateur” au mitan des années 2000 avant de jouer le rôle de négociateur dans les prises d’otages. Ce personnage complexe a opéré un retour aux sources de l’islam, il y a près de vingt ans, sans se départir de sa réputation sulfureuse nourrie de ses fréquentations avec AQMI et de ses contacts répétés avec l’État malien.

En raison de ces préventions entourant le personnage, les rebelles touaregs font bande à part. Au-delà du soutien de ses propres hommes, Ag Ghali peut néanmoins se prévaloir d’une influence certaine car il est issu de la noblesse des Ifoghas, cœur historique de la rébellion. L’Ansar Eddine est donc revenu sur le devant de la scène pendant l’offensive, et menace maintenant pleinement les intérêts du MNLA.

Car, non content d’avancer ses pions à Tombouctou, Gao et Kidal, Ansar Eddine ne poursuit pas les mêmes objectifs que les rebelles de l’Azawad. « En fait dès le début de l’offensive, nous avions abouti au constat que nous ne partagions pas les mêmes objectifs, concède l’un des responsables de communication du MNLA, Mossa Ag Attaher. Iyad Ag Ghali et son mouvement Ansar Eddine nous ont dit que l’indépendance de l’Azawad n’était pas leur but. Pour eux, il s’agit de revenir aux fondamentaux de l’islam, de mettre en place la charia, et d’assainir les institutions étatiques du Mali par la réintroduction de l’islam. Il nous fallait donc réagir. »

D’où la célérité de cette déclaration d’indépendance prenant de court un grand nombre d’interlocuteurs joints au téléphone. Clairement opposés sur leurs buts respectifs – indépendance pour les uns, réislamisation de l’État pour les autres (le mot “charia” reste trop générique ; pour rappel, la colonisation française s’accommodait parfaitement des tribunaux islamiques au Mali – ndlr), l’avancée spectaculaire de l’Ansar Eddine a fini d’exaspérer le MNLA. Mises en sourdine pendant les opérations militaires, les rivalités entre les deux groupes menacent aujourd’hui de dégénérer en conflit ouvert.

Les hérauts de l’Azawad assurent que des « patrouilles sécurisent les villes et les frontières », et devraient « annoncer tout prochainement la formation d’un gouvernement ayant pour capitale Gao, et l’envoi de représentants à l’étranger », mais aussi « rétablir la sécurité pour permettre aux humanitaires de porter assistance à des populations menacées par une grave crise alimentaire ».

Ces mesures sont peu crédibles, la zone territoriale étant un point de rendez-vous de l’internationale djihadiste d’une bonne partie de l’Afrique de l’Ouest. Plusieurs fois sacrifiées dans le passé sur l’autel des promesses non tenues du développement dans le Nord-Mali, les rébellions touaregs tiennent mordicus à la sécession, sans convaincre de leur réelle capacité à endiguer des mouvements disparates, armés, disposant de moyens financiers, élargissant leurs soutiens.

Le MNLA a-t-il une carte à jouer dans la transition politique à Bamako ?

Si la situation est explosive dans le Nord, à Bamako, les apparences sont de nouveau sauves. Les putschistes viennent de s’engager à rendre le pouvoir aux civils. Les mutins de la ville-garnison de Katy avaient fait tomber le président Amadou Toumani Touré, après un coup d’État éclair, le 22 mars. Sorti de sa cachette le week-end dernier, le “soldat de la démocratie”, qui s’était fait lui-même connaître des Maliens, il y a tout juste vingt ans, par un coup d’État contre le sanguinaire Moussa Traoré, est fugacement réapparu pour signer officiellement l’acte de son départ, garantie que les militaires putschistes réclamaient avant de rendre le pouvoir.

Il aura donc fallu dix-huit jours de pressions diplomatiques, de sanctions économiques de la Cédéao – la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest –, d’une efficacité mémorable, pour arracher un accord entre la junte et le président déchu. C’est le président de l’Assemblée nationale, l’un des lieutenants d’ATT, qui va dorénavant assurer l’intérim comme le prévoit la constitution.

Alors que Dioncounda Traoré était candidat à la présidentielle qui devait se dérouler à la fin du mois – avant que ne survienne le coup d’État –, il doit être investi ce jeudi. Très vite, un premier ministre « apolitique, neutre, certainement un technocrate », comme le soulignent plusieurs observateurs à Bamako, va être désigné. Il disposera « des pleins pouvoirs » que prévoit l’accord-cadre signé entre le médiateur de la Cédéao et le capitaine Sanogo, le chef des putschistes. Dans la foulée, les discussions vont débuter en vue de constituer un gouvernement d’union nationale. Et la partie est loin d’être gagnée tant le défi est grand d’une « pacification du Nord » où la « guerre » prévaut.

On en oublierait presque de parler des élections – en théorie dans 40 jours – également évoquées mais remises aux calendes grecques en raison du conflit. Même si la voie est incertaine, tout le monde se frotte les mains de ce retour à l’ordre constitutionnel, d’après l’expression consacrée en pareille occasion. Mais que vaut un gouvernement de transition dans un pays coupé en deux, dont la moitié nord est revendiquée par des rebelles touaregs et où pullulent de milices armées, sans parler d’AQMI qui essaie de s’étendre ? Les nouvelles autorités de Bamako vont-elles tendre la main au Nord comme promis ?

Politiquement, la donne n’a pas réellement changé à Bamako. ATT est définitivement mis sur la touche. Le MNLA se pose comme interlocuteur privilégié, mais le Sud est farouchement opposé aux velléités du Nord, les tensions traditionnelles s’étant accentuées depuis la débâcle historique de l’armée dans le Nord. Le MNLA, ennemi d’hier et d’aujourd’hui, peut-il devenir l’allié de demain dans la lutte contre Al Qaïda et les groupes salafistes, quitte à poser en échange la question d’une autonomie élargie du Nord ? Plusieurs chancelleries envisagent cette piste, même si le MNLA pose comme préalable l’indépendance.

Les Touaregs peuplent le Mali, le Niger, la Libye, l’Algérie, la Mauritanie et le Burkina Faso

Une nouvelle opération malienne et/ou une intervention étrangère sont-elles envisageables ? La junte des militaires putchistes va chapeauter l’application de l’accord-cadre à la faveur d’un joli flou du texte : elle garde un droit de regard sur la poursuite des opérations militaires dans le Nord (article 7) tout en s’assurant l’immunité. Humiliée par une série de revers militaires pendant les deux mois précédant le coup d’Etat puis par l’avancée sans précédent des groupes rebelles, l’armée pourrait donc être tentée de laver son honneur.

Les militaires pourraient-ils bénéficier d’un appui extérieur ? L’ancienne puissance coloniale, la France, le laisse entendre avec un « appui logistique et de la formation » apporté à Bamako ou via l’armée de la Cédéao. Mais Paris est face à un dilemme. Alain Juppé s’oppose à l’envoi de troupes sur le sol malien car la vie des six otages français en détention serait clairement mise en danger par une intervention de l’armée française. Mais ne pas agir face à l’urgence de la menace serait s’exposer à voir AQMI et “ses petits” grandir.

Aussi bien les puissances étrangères que l’armée malienne ou le MNLA se rendent comptent de la difficulté de la mission. « Chasser Aqmi reste très compliqué, admet Mossa Ag Attaher, l’un des responsables de l’Azawad. Nous n’arriverons pas à faire en quelques semaines ce que les Etats-Unis, la France, ou encore la Mauritanie ont échoué à faire depuis cinq ans. Aucune opération d’envergure n’a jamais été mise en place. Je ne vois donc pas comment on peut réaliser cet exploit en quelques semaines même si les attentes de la communauté internationale sont grandes. »

« Le scénario d’une intervention étrangère n’est pas à l’ordre du jour même si la menace de l’envoi de 3 000 soldats africains de la Cédéao plane toujours, explique un observateur averti du Nord-Mali. Mais si le feu vert est donné, ce serait une catastrophe, et la porte ouverte à une guerre civile, car d’ores et déjà des rebelles touaregs du Niger menacent de venir soutenir leurs frères maliens. Il ne faut pas oublier que les allégeances tamasheq, touaregs, sont beaucoup plus larges que l’appartenance à un Etat, et les Touaregs peuplent le Mali, le Niger, la Libye, l’Algérie, la Mauritanie et le Burkina Faso, autant vous dire que l’on court tout droit à la guerre civile si un tel scénario se réalise. »

Cette hypothèse cauchemardesque alimenterait un flot de réfugiés. Depuis mi-janvier, près de 300 000 personnes, essentiellement des Touaregs d’après le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés, ont déjà pris la fuite devant les violences. Depuis, les villes du Nord se vident progressivement de leurs habitants d’après plusieurs témoins. Ceux qui restent sont pour la plupart livrés à eux-mêmes.

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