Édition du 23 avril 2024

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Politique québécoise

Le PQ, Marois et moi

J’ai grandi avec le PQ. Mon père et ma mère, séparément, m’amenaient dans des assemblées publiques, des bureaux de pointage et autres activités des militantes et militants "de la base". Dans mon enfance, l’indépendance était une évidence. René Lévesque était un héros. La soirée du 15 novembre m’a sans doute donné ma première émotion politique : cette fierté dont Lévesque parlait avec sa subtile éloquence. J’avais 10 ans.

En 1981-1982, quand la récession a frappé et que le gouvernement Lévesque a décidé d’en faire payer le prix par les travailleuses et travailleurs du secteur public, mon père et ma mère, syndiqués de l’enseignement, se sont retrouvés de l’autre côté d’une matraque législative brandie par ceux et celles qui prétendaient avoir un "préjugé favorable aux travailleurs".

C’est contre ce même gouvernement que je me suis éveillé à l’action sociale et politique. En 1982, un projet de réforme du régime pédagogique au secondaire a mobilisé des milliers d’adolescents. Les médias en ont fait une caricature. (Premier apprentissage : ne pas se fier aux médias.) Nous n’aurions été qu’une bande de paresseux en révolte contre la hausse de la note de passage de 50 à 60%. En fait, nous en avions surtout contre l’uniformisation du cheminement scolaire, au non du "virage technologique". Le décrochage a monté en flèche suite à l’application de cette réforme et n’est jamais redescendu au niveau du début des années 1980.

Mon député, Pierre De Bellefeuille, un esprit indépendant et indépendantiste, est venu en coulisse de notre première assemblée générale. Il me connaissait parce que mon père m’avait amené à une ou deux activités assez intimes, chez lui, où les adultes parlaient politique avec passion. Il a tenté de me faire changer d’idée au sujet de la réforme et de notre idée de grève en espérant que je pourrais convaincre les autres. Il a échoué. J’avais 15 ans. Deuxième apprentissage : les députés, même les meilleurs, servent d’abord leur parti et leur gouvernement.

Pour ma génération, le PQ est aussi le parti de l’aide sociale à 160$ par mois pour les moins de 30 ans. Devant cette iniquité flagrante, qui condamnait des milliers de jeunes à la plus abjecte pauvreté en pleine récession, toute une génération de jeunes adultes a appris à détester le PQ. La ministre responsable du dossier à l’époque était une certaine Pauline Marois.

C’est aussi le PQ de Lévesque qui nous a donné un gouvernement conservateur au fédéral pour huit ans, au nom du "beau risque", puis de leur appui au "libre-échange". Le PQ des années 1980 était tout sauf un parti de travailleuses et des travailleurs, ou un parti indépendantiste.

Au début de la vingtaine, j’étais indépendantiste et socialiste et je me cherchais des amis. J’ai trouvé Gauche socialiste, un groupe trotskyste qui militait pour l’unité de la gauche et l’indépendance politique du mouvement ouvrier, encore dominé par le PQ. Vinqt-cinq ans plus tard, mes vieux amis de GS étaient avec moi, après un long détour, à la fondation de Québec solidaire.

Quand la vague souverainiste a monté autour de 1989-1990 avec le jugement de la Cour suprême sur l’affichage et l’échec de Meech, j’étais bien content. Mais jamais je n’ai pensé à voter pour le PQ, et encore moins à en devenir membre. C’était un parti de patrons, de gestionnaires du capitalisme en voie de mondialisation.

J’ai voté OUI au référendum de 1995, et ce , même si le projet signé par Parizeau, Bouchard et Dumont avait tout pour m’enlever des raisons de le faire. On pourrait résumer l’entente sur laquelle portait la question référendaire (ainsi que la campagne du OUI) par une idée toute simple : votez OUI et rien de va changer... Alors j’ai voté OUI pour l’honneur, parce que le Canada avait rejeté les demandes minimales des Québécois fédéralistes.

Parce que j’aimais mieux un "pays comme les autres" que le pays des autres. Peut-on s’étonner de cette défaite ? Est-il le moindrement utile de chercher des boucs émissaires du côté de "l’argent" ou des "votes ethniques" ? Ce sont les dirigeants du mouvement souverainiste qui ont perdu cette bataille, la plus belle occasion de faire le pays de toute notre histoire. Qu’ils l’assument !

Puis, comme si ce n’était pas assez, le PQ, sous la gouverne de l’ancien ministre conservateur et avocat patronal Lucien Bouchard, nous a donné le déficit zéro, le virage ambulatoire et toute une série de compressions dans nos services publics les plus essentiels. À cette époque, j’étais un vétéran du mouvement étudiant à l’emploi d’associations étudiantes. J’ai fait tout mon possible pour encourager la nouvelle génération à reprendre la belle tradition de grève générale qui m’avait été transmise par l’ANEEQ.

Nous avions fondé le Mouvement pour le droit à l’éducation (MDE) pour unir ce qui restait du mouvement étudiant combatif, ces quelques association qui n’avaient pas été complètement dégriffées par l’opportunisme des jeunes péquistes qui s’en servaient pour mousser leur carrière pendant que le PQ cassait du syndicat et éviscérait la Cause. Le MDE a été à l’initiative de la grève étudiante de 1996, contre la ministre de l’éducation de l’époque, une certaine Pauline Marois.

Tout ça pour vous expliquer que quand je vois le PQ se déployer comme un accident de train au ralenti, je n’éprouve aucune pitié, aucune gène, et même un certain plaisir. Il y a tout un pan de mon cerveau qui se dit : "Qu’ils crèvent !" En même temps, une autre partie de ma matière rose a le goût de pleurer. Tant de rêves arnachés par ce bateau ivre. Tant de temps perdu à tenter d’atteindre un nouveau continent en prenant le métro. Puis, il y a la colère face à ce parti qui, dans sa chute, entraîne avec lui l’idée même du pays dans les bas fonds du désespoir.

Finalement, il y a la détermination. Il faut construire autre chose, un parti qui veut faire advenir cet autre Québec possible, un parti qui veut mettre un nouveau pays au monde pour changer le monde, un parti qui veut changer la nature même du pouvoir, par seulement le prendre. J’aime mon parti. Je pleure celui de mes parents et de leur génération.

Adieu PQ ! Charest et Legault, on s’en charge. L’opposition est dans la rue, Québec solidaire aussi.

Cet article est tiré du blogue de l’auteur

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