Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le Québec pré-électoral de 2012

Au cours des années quatre-vingt-dix, lors d’un congrès de printemps, la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS) de la CSN avait donné à ses militantEs le slogan : « Cet été je réfléchis sur la grève » ! Dans les négociations en cours à l’époque, une grève était anticipée pour la rentrée. Je dirais que cet été, la conjoncture bien tricotée par le premier ministre Charest entre autre, nous oblige à réfléchir aux enjeux de l’élection qui arriveront plus ou moins vite à la rentrée.

Où en est le Québec à cette heure ? Que voulons-nous atteindre en matière de démocratie, d’économie, de travail vs chômage, de lutte à la corruption dans nos administrations publiques, de l’attitude de nos dirigeantEs avec la population, de lutte à la pauvreté, de justice, d’éducation, de la manière dont sont gérées la dispensation et la qualité des soins de santé dont ceux offerts aux personnes âgées, de nos rapports avec les personnes qui immigrent ici, avec les communautés culturelles, avec les AmérindienNEs comme peuples et avec ceux et celles qui vivent dans nos villes, hors « réserves », de la situation et de la place des femmes, des libertés fondamentales, de l’intégration de la protection écologique du territoire dans la marche des choses, de logements décents pour tous et toutes, du travail à faire pour que le Français tienne sa place, de nos rapports avec le gouvernement fédéral, et bien évidemment de l’accès à la souveraineté et surtout de la manière d’y arriver ? Voilà une longue liste, non exhaustive, de préoccupations majeures dont nous écartent les petites batailles politiciennes qui prévalent dans les médias à l’heure actuelle.

En d’autres mots, dans quel Québec voulons-nous vivre ? Quels changements exigeons-nous ? Quelle est la manière d’y arriver ?

Le Québec actuel

C’est presque un cliché mais, l’idéologie et les pratiques néo libérales qui nous sont imposées depuis les années quatre-vingt, nous privent même des moyens pour corriger les graves travers qui nous affectent tous et toutes. Nous ne vivons plus dans une société mais dans une économie, qui fonctionne selon ses propres règles, produit des inégalités encore jamais vues dans l’histoire en pompant toutes les richesses du territoire, y compris l’apport des citoyenNEs.

Cette orientation de la vie est aussi assise sur une arrogance et un mépris inqualifiables. Le dogme doit être imposé et toute personne ou groupe qui propose autre chose rentre dans le camp des ennemis et est traité comme tel. La démocratie se résumerait presque aux élections aux quatre ans si ce n’était de la place que l’on concède encore à l’assemblée nationale. (À Ottawa, le parlement est traité comme un accessoire embêtant). De la participation citoyenne, il ne reste que celle prédéterminée qui sert de fioriture dans les documents officiels.

Ce tableau est répandu sur la planète et s’est imposé ici au cours des années, quel que soit le parti au pouvoir. Il est toujours allé en se renforçant, l’apogée ayant été atteinte ce printemps face au « printemps érable ».

Le Québec est aussi fait de sa population qui s’indigne de la priorité quasi absolue accordée aux « citoyens corporatifs ». Ne pas leur accorder la totalité de leurs exigences nous mènerait à la ruine comme si le faire n’arrivait pas à un pire résultat au bout du compte. Les participants d’« Occupons Montréal », Québec et bien d’autres villes à l’automne dernier ont ouvert la marche de la protestation et ont commencé à souligner à gros traits les travers profonds de notre société. La lutte contre la hausse des droits de scolarités, qui a réuni les étudiantEs et une bonne partie de la population, toutes générations et tendances confondues, a permis de mettre en lumière les aspirations populaires profondes. La grande marche conjointe du Jour de la terre a montré une unité dans le rejet des pires aspects des politiques actuelles et une certaine profondeur dans les aspirations communes.

L’opposition est donc bien vivante contre les tenantEs de la poursuite des affaires telles qu’elles le sont en ce moment. Ce ne sont pas quelques changements à la marge, qui feront une réelle différence. Le pouvoir prétend en venir à bout grâce aux élections. Elles devraient avoir lieu de toute façon ; il est au bout légal de son parcours. Mais cet animal politique est rusé jusqu’à la perversité et veut, encore une fois ( ?) écrire et diriger la partition.

La bataille électorale

Nous allons être confrontéEs à de basses manœuvres, à de vilaines guerres mesquines et parfois même destructrices de personnalités publiques. Les élections, en cette époque où le pouvoir semble avoir un attrait bien éloigné du service à la population, deviennent un champ de bataille où l’arrogance, la suffisance et le dénigrement sont des armes de première main.
C’est d’ailleurs commencé et nous ne savons toujours pas vraiment s’il y aura des élections et si oui, quand. Nous spéculons. Comme jadis les femmes spéculaient sur la future demande en mariage en préparant leur trousseau.

Il ne sera pas facile, pour tous ceux et celles qui accordent un sens réel au processus électoral de s’éloigner de ces facéties. Pourtant elles ne sont que des moyens de camoufler les enjeux bien réels et extrêmement importants pour la population.

Par exemple, les rapports avec le gouvernement fédéral. D’ici à ce que nous réalisions la souveraineté, nous y sommes liés et il détient un pouvoir important sur une grande partie de notre bien-être et de notre liberté. Or, au nom des fameux impératifs économiques, le gouvernement Harper est en train de démolir de grands pans des programmes qui représentent des sommes importantes dans le budget québécois. Coupes dans le programme d’assurance chômage, allongement de l’âge réglementaire pour percevoir la pension de la sécurité de la vieillesse, entre autre, font passer une partie de la population du support fédéral au budget de l’aide sociale provinciale. Fin des conventions d’exploitation du logement social par lesquelles le fédéral contribuait financièrement à l’entretient de ce parc de logement, fin de l’aide médicale aux réfugiéEs non choisiEs par l’État dans les camps de réfugiéEs dans le monde ; deux autres décisions qui obligent Québec, comme les autres provinces, à prendre éventuellement la relève à même son budget. Et ce ne sont là que des exemples très partiels.

Et, en plus, il mine nos libertés au passage : durcissement des peines pour les mineurEs délinquantEs, peines plancher pour bien des délits et crimes, absence de services consulaires pour ceux et celles en difficulté à l’étranger, renvoi dans leur pays d’origine des personnes détentrices de la citoyenneté depuis dix ans et moins si elles sont condamnées devant un tribunal. Et bien d’autres mesures du genre.

Quelles politiques les partis candidats au pouvoir offrent-ils vraiment quant à nos rapports avec le gouvernement fédéral ? Avons-nous entendu une seule condamnation de ces politiques si ce n’est à la pièce ?

Quel est le bilan de l’actuel gouvernement sur la lutte à la pauvreté ? Sur la protection de la langue ? Et je ne parle pas de l’écologie ; nous savons à quoi nous en tenir. Etc. Etc. Quels sont ses plans pour intervenir sur ces situations au cours du prochain mandat ? Existe-t-il des plans crédibles ? On peut en douter étant donné la logique qui est aux commandes. Comme on peut douter que la compréhension de la démocratie puisse changer ; elle est trop liée aux besoins de l’oligarchie dominante. Quand la possibilité de porter les revendications dans la rue en toute légalité nous sera-t-elle redonnée ? Le prétendant au pouvoir se présente toujours avec un peu plus de circonspections sur ces enjeux pour finalement appliquer, grosso modo, les mêmes recettes.

Il ne faut donc pas, dès maintenant, nous laisser accaparer par les détails scabreux ou insignifiants. C’est l’objectif qu’il faut avoir en mire. Et la prise en compte des attentes de la population avec qui nos liens se renforcent.
Une élection ne permettra pas de renverser la vapeur mais elle est un moment privilégié pour donner un certain coup de barre sur lequel s’appuyer pour poursuivre ce travail de renversement. Le modèle de société dont les contours ont été dessinés ce printemps doit commencer à se construire ; l’élection actuelle peut en être le point de départ. Ce seront toujours les luttes populaires qui le définiront au fur et à mesure mais son expression doit absolument entrer à l’Assemblée nationale.

La trop lourde et trop efficace machine à dévorer notre richesse et nos modes de vie doit être arrêtée à terme. Nous avons, collectivement subi assez de pertes économiques, sociales et politiques. Nous avons déjà donné plus que ce que nous possédons en ce moment et nous refusons de dilapider l’avenir des prochaines générations.

Cette élection doit porter sur un choix de société percutant, pas sur l’accessoire.

Alexandra Cyr

Retraitée. Ex-intervenante sociale principalement en milieu hospitalier et psychiatrie. Ex-militante syndicale, (CSN). Ex militante M.L. Actuellement : membre de Q.S., des Amis du Monde diplomatique (groupe de Montréal), animatrice avec Lire et faire lire, participante à l’établissement d’une coop. d’habitation inter-générationnelle dans Rosemont-Petite-Patrie à Montréal. Membre de la Banque d’échange communautaire de services (BECS) à Montréal.

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