Édition du 23 avril 2024

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Arts culture et société

Le monde selon Amazon d’Adrien Pinonet Thomas Lafarge

Une entreprise particulièrement menaçante

Les succès commerciaux phénoménaux qu’a remportés la compagnie Amazon au cours des vingt dernières années ont fait de son président et actionnaire majoritaire, Jeff Bezos, un des hommes les plus riches et une des personnalités les plus influentes, du monde occidental.

De Paul Beaucage

. Pour ce qui est de sa réputée entreprise virtuelle, elle s’impose incontestablement comme une de celles qui sont les plus rentables au sein de l’univers boursier, dans le contexte actuel. Or, comme Bezos a lui-même lancé la compagnie précitée, avec des moyens modestes, il y a cinq lustres, cet homme apparaît aujourd’hui comme un modèle de réussite commerciale et entrepreneuriale dans le milieu des affaires nord-américain. Assurément, attendu que de nombreux adeptes du capitalisme ont tendance à valoriser, de manière démesurée, les succès connus par des entreprises privées, les milieux financiers et une certaine presse occidentaux ont loué le soi-disant génie de Jeff Bezos, parce qu’il s’est affirmé comme le grand responsable de l’éclatante prospérité économique d’Amazon. Cependant, ce concert d’éloges était-il mérité ? Doit-on considérer que la multinationale de Bezos a réellement permis à l’Amérique du Nord, voire à l’ensemble du monde de progresser ? À notre humble avis, rien ne nous permet de répondre de façon affirmative à ces deux interrogations.

La démarche cinématographique spécifique de Pinon et Lafarge

Pour leur part, Adrien Pinon et Thomas Lafarge ont uni leurs efforts afin de réaliser un long métrage qui pose un regard critique sur la multinationale de Jeff Bezos : ils ont intitulé cette oeuvre, avec une certaine ironie, Le monde selon Amazon (2019). À travers ce documentaire sociopolitique, le tandem de cinéastes tente de synthétiser la nature des activités de l’entreprise concernée et de définir le rôle économique qu’elle joue actuellement à l’échelle mondiale. Précisons qu’il s’agit là du premier film que les deux hommes ont exécuté ensemble. En outre, ce documentaire constitue le deuxième volet d’un diptyque portant sur le thème du commerce. Auparavant, Adrien Pinon a créé, en collaboration avec Élisabeth Bonnet, une œuvre qui a pour titre : Centres commerciaux : La grande illusion (2015). Ce film s’inscrit dans le cadre de la série documentaire Le monde en face. De son côté, Thomas Lafarge a coréalisé, avec Xavier Harel, dans les mêmes conditions de production que Pinon, un documentaire qui s’intitule : BNP Paribas, dans les eaux troubles de la plus grande banque européenne (2018). En vertu des longs métrages qu’ils avaient coréalisés auparavant, Pinon et Lafarge paraissaient aptes à traiter d’une problématique touchant à Amazon, à travers une nouvelle œuvre de la série à laquelle nous nous sommes référés.

Les activités d’Amazon en Inde

Thématiquement parlant, Le monde selon Amazon nous propose une analyse éclairante portant sur le rôle commercial que joue la multinationale de Bezos dans l’ensemble du monde. En termes économico-politiques, il faut souligner que Bezos est un libertarien, favorable au libre-échange commercial intégral à travers le monde. Dans cette perspective, le long métrage de Pinon et Lafarge nous montre comment son entreprise profite d’un avantage indu lorsqu’elle effectue du commerce aux États-Unis ou ailleurs dans le monde. En effet, quand elle cherche à conquérir une nouvelle clientèle, une entreprise de la taille d’Amazon peut vendre des produits commerciaux à perte pendant quelque temps, alors que la plupart de ses concurrents ne peuvent se permettre de l’imiter. Afin de jauger convenablement l’ensemble des activités auxquelles se livre la compagnie de Jeff Bezos, Adrien Pinon et Thomas Lafarge se penchent sur ses démarches récentes en Inde, où elle a investi des sommes d’argent considérables. Dans ce cas, le duo de documentaristes nous révèle qu’Amazon, ainsi que deux autres compagnies étrangères majeures, fait une concurrence déloyale à des marchands indiens, lesquels ne disposent pas de ressources financières suffisantes pour pouvoir rivaliser avec leurs adversaires. Par conséquent, ces commerçants tentent de faire pression sur le gouvernement singulièrement conservateur de Narendra Modi afin qu’il restreigne le champ d’action dans lequel les grandes compagnies étrangères pourraient concurrencer les entreprises indiennes. Cependant, compte tenu de l’opportunisme politique qui caractérise ce gouvernement, rien n’indique que la démarche des commerçants indiens pourrait s’avérer fructueuse pour eux. Selon nous, Pinon et Lafarge commettent l’erreur de surestimer, par moments, le nationalisme économique du premier ministre indien : en vérité, celui-ci se livre constamment à un numéro d’équilibriste afin de ménager les grandes entreprises étrangères, dont il convoite les capitaux, sans pour autant tourner le dos aux commerçants de l’Inde, qui constituent une partie appréciable de sa clientèle électorale.

Un employeur en conflit avec de nombreux employés

Ayant effectué une recherche soutenue au sujet des relations que Jeff Bezos entretenait avec les employés (ées) d’Amazon, Pinon et Lafarge nous soulignent que, malgré ses airs avant-gardistes, voire progressistes, Jeff Bezos est un employeur particulièrement conservateur et réactionnaire. En d’autres termes, comme le souligne son ancien associé, l’informaticien Paul Davis, Bezos n’a cure du bien-être des employés (ées) de sa multinationale. Dans ces circonstances, il ne s’avère pas surprenant que des salariés (ées) des entrepôts allemands de l’entreprise aient décidé de faire une grande manifestation, alors que le président d’Amazon était reçu en grande pompe par des représentants (tes) du patronat germanique, à Berlin. Il importe ici de signaler que des ouvriers (ères) venus (es) d’autres pays européens (La France, l’Italie et la Pologne) se sont joints aux manifestants (tes) de l’Allemagne, afin de dénoncer les conditions de travail défavorables auxquelles ils (elles) sont confrontés (ées), dans les succursales d’Amazon de leurs nations respectives. De son côté, Jeff Bezos balaie du revers de la main les critiques qu’on lui adresse en se plaignant d’être incompris par ses détracteurs (trices). En l’occurrence, Adrien Pinon et Thomas Lafarge utilisent, avec brio, un montage expressif pour mettre en opposition le discours que tiennent les ouvriers (ères) de l’entreprise avec les propos que prononce le grand patron de celle-ci. Indubitablement, le spectateur (ou la spectatrice) impartial (e) remarquera que les salariés (ées) décrivent, avec précision, leurs conditions de travail inadéquates, alors que Jeff Bezos se contente de faire allusion au présumé manque d’ouverture d’esprit de ses opposants (tes). En somme, on ne saurait nier que les employés (ées) de la multinationale mettent en lumière des revendications légitimes, tandis que les commentaires de Bezos ne sont pas du tout convaincants.

La présence funeste d’Amazon à Seattle

Dans la dernière partie de leur film, Adrien Pinon et Thomas Lafarge nous dévoilent jusqu’à quel point les activités de la multinationale de Jeff Bezos peuvent s’avérer pernicieuses dans l’ensemble d’une grande ville. En effet, le siège social d’Amazon se trouve à Seattle, dans l’État de Washington. Or, en raison de la présence de cette opulente entité dans la métropole du Nord-Ouest des États-Unis, les logements y sont devenus inabordables pour les citoyens (ennes) ordinaires. Souhaitant remédier quelque peu à cette problématique révoltante, une courageuse conseillère municipale, Teresa Mosqueda, nous apprend que les représentants politiques de la ville ont récemment proposé à Jeff Bezos que l’on impose une taxe municipale bénigne à Amazon afin de créer un fonds spécial, destiné à permettre à des sans-logis de trouver des appartements à Seattle. Cependant, après que Jeff Bezos ait donné son consentement à cette initiative, il a brusquement fait volte-face et s’est prononcé contre l’imposition d’une taxe sur l’emploi touchant à sa compagnie. Qui plus est, le multimilliardaire a exhorté ses sympathisants à manifester bruyamment dans les rues de Seattle pour pousser les conseillers municipaux (ou les conseillères municipales) à se rétracter. Sans surprise, les ardents (es) partisans (es) de l’entreprise ont accédé à la demande de Bezos. Dès lors, craignant de mécontenter une partie importante de la population, le conseil municipal de Seattle a finalement décidé de faire marche arrière et d’annuler le vote qu’il avait tenu auparavant au sujet de l’application du mode de taxation concerné. En d’autres termes, une forte majorité de conseillers municipaux (ou conseillères municipales) a choisi de renoncer à l’adoption d’un règlement permettant de taxer la compagnie Amazon, afin de financer modestement des logements sociaux (seuls Mosqueda et un de ses collègues ont réitéré leur appui à ladite taxe).

Un portrait sans complaisance d’Amazon, la multinationale de Jeff Bezos

Certains (es) commentateurs (trices) n’ont pas manqué de reprocher à Adrien Pinon et Thomas Lafarge d’avoir fait de leur documentaire un film à thèse parce qu’il dénonce l’essentiel des pratiques commerciales auxquelles a recours Amazon pour s’affirmer à travers le monde. Pourtant, à notre sens, une telle récrimination se révèle dénuée de fondement puisque Le monde selon Amazon ne propose point une vision réductrice de la réalité dans laquelle nous vivons. En vérité, ce long métrage démystifie, avec rigueur, les activités commerciales d’une multinationale dont le principal dirigeant, Jeff Bezos, a pour objectifs essentiels l’accroissement des profits de celle-ci et l’embellissement de son image de marque. Évidemment, il faut reconnaître que les partisans (es) inconditionnels (elles) de Bezos et de son entreprise ne seront jamais réceptifs (tives) à des arguments rationnels, comme ceux qu’utilise le tandem Pinon-Lafarge, à travers son film. Soit ! Cependant, il faut espérer que cette œuvre réussira à éveiller les consciences de gens qui ne soupçonnaient pas que les activités commerciales d’Amazon pouvaient se révéler nuisibles pour les nations dans lesquelles la grande compagnie s’imposait. Dès lors, souhaitons que ceux-là profitent d’un visionnage du film de Pinon et Lafarge pour remettre en question certaines de leurs habitudes de consommation. Parce qu’en dépit de l’individualisme que peut manifester un (e) citoyen (enne), à travers son rôle de consommateur (matrice), il (elle) peut transcender ce statut afin de tenter de protéger les valeurs démocratiques auxquelles il (elle) croit.

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