Édition du 12 mars 2024

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Planète

Les zoonoses, entre humains et animaux

Le Covid-19 a remis sur le devant de la scène les zoonoses, ces maladies qui nous viennent des animaux. Elles sont nombreuses et certaines sont anciennes. Toutes elles interrogent notre rapport à un écosystème dont nous ne cessons d’altérer la biodiversité.

tiré de La vie des idées | 1er mai
https://laviedesidees.fr/Les-zoonoses-entre-humains-et-animaux.html

Curieusement, l’entrée « zoonose » est absente dans le septième et dernier volume du Nouveau Larousse illustré – Dictionnaire universel encyclopédique, publié sous la direction de Claude Augé au tout début du XXe siècle (1904). Ce serait pourtant une belle erreur de penser que les maladies correspondantes n’existaient pas alors ! La médecine et la microbiologie commençaient à consolider leurs bases et à enrichir leurs concepts, mais l’épidémiologie était encore balbutiante à l’époque. Dans le même temps, les sciences de la vie comme l’écologie et l’évolution se construisaient, en dehors de la démarche médicale et réciproquement. Pourtant, aujourd’hui, l’étude et la compréhension des maladies ne peuvent que nous inciter à élargir et enrichir notre regard en rapprochant ces disciplines.

Les zoonoses représentent un groupe particulier de maladies infectieuses et transmissibles, ainsi que de maladies parasitaires. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) en donne la définition suivante : « On appelle zoonose toute maladie ou infection qui est transmissible naturellement depuis les animaux vertébrés vers l’espèce humaine et vice-versa ». Le terme « naturellement » s’oppose à « expérimentalement » et à « exceptionnellement ». D’un point de vue biologique, soit un microorganisme est spécifique d’un hôte donné, soit il ne l’est pas. Que l’un de ses hôtes de prédilection soit l’espèce humaine représente un détail à l’échelle du monde vivant, même si les conséquences en termes de santé humaine et de santé publique peuvent être sévères. Le monde vivant n’est pas anthropocentré.

La vie en réseau

Récemment, le regard des biologistes sur l’origine de la vie et sur ses développements, jusque dans le domaine de la santé, a considérablement évolué. L’unité fondamentale du vivant est représentée par la cellule. Il existe des êtres vivants unicellulaires, mais les plantes et les animaux que nous voyons sont pluricellulaires. Les premières cellules devaient être des procaryotes, comme les bactéries d’aujourd’hui. Leur chromosome flotte dans leur cytoplasme. La cellule eucaryote, dotée d’un noyau hébergeant ses chromosomes, pourrait être née de la fusion de deux cellules procaryotes, une bactérie et une archée par exemple, l’une devenant le noyau de l’ensemble. On imagine alors l’importance des échanges entre toutes les nombreuses formes du vivant au cours des temps géologiques. Comme seules les plantes dotées de chloroplastes (anciennes bactéries devenues symbiotes, indispensables aux plantes, elles-mêmes incapables de vivre sans, dans une association gagnant-gagnant) sont autotrophes, c’est-à-dire capables de générer leur propre matière organique, le reste du vivant, hétérotrophe, doit consommer un autre vivant, végétal ou animal, tout en essayant de ne pas devenir proie soi-même. La prédation et l’alimentation ne représentent pas la seule voie de transmission de germes entre espèces, mais elles illustrent une des plus pratiquées car imposant le rapprochement d’individus d’espèces différentes. On peut remarquer que le système immunitaire adaptatif apparaît avec les vertébrés à mâchoires (Gnathostomes). Le reste du règne animal ne dispose que du système immunitaire inné. Il est tentant de faire le lien avec le risque de contamination par voie orale...

Le fait est que la vie fonctionne en réseaux, en interrelations, qu’il s’agisse de symbioses, de parasitisme, de relations de type proies-prédateurs, etc... Chaque individu est lui-même une symbiose. Un humain ne peut vivre sans les bactéries et les virus de son microbiote, les mitochondries (bactéries symbiotiques) de ses cellules ou les séquences virales intégrées à son génome. Il existe donc un lien entre biodiversité au sens le plus large et santé, des individus, des populations, des espèces, des écosystèmes. Cette association permet l’évolution et l’adaptation de chaque niveau d’organisation du vivant face aux changements quels qu’ils soient, géologiques, climatiques, pollutions, destructions ou rencontres avec de nouveaux microorganismes, espèces, écosystèmes.

L’espèce humaine est une parmi de nombreuses autres (518 espèces de Primates, 6.495 espèces de Mammifères au dernier recensement de 2018, des dizaines de milliers de vertébrés, des millions d’espèces animales). Elle-même est issue du monde animal et procède des mêmes phénomènes. C’est ainsi que son microbiote et ses parasites doivent être compris et visités en pensant à ses proies, à ses prédateurs, mais aussi au reste du vivant croisé dans les différents écosystèmes habités tout au long de son histoire. Il faut alors distinguer les germes responsables des zoonoses proprement dites, au sens de l’OMS (cf. supra), et les maladies humaines dues à des microorganismes issus du monde animal non humain, secondairement adaptés à notre espèce, « humanisés ». Dans tous les cas ces maladies sont la conséquence d’un certain partage de l’espace et à replacer dans le temps. Autrefois, l’espace propice aux rencontres se limitait aux terrains de chasse parcourus à pied ; maintenant c’est la planète tout entière, avec les élevages, les marchés, les mégalopoles, les animaux de compagnie, tous reliés par les échanges commerciaux dont les volumes et la rapidité échappent à trop de contrôles sanitaires. Tout cela peut conduire à des expositions et à des contaminations.

L’évolution de la démographie humaine doit être mise en parallèle, sachant qu’Homo sapiens aurait environ 300.000 ans. Le premier milliard d’humains aurait été atteint vers l’an 1800 et le 8e est attendu pour 2024. La période de deux siècles conduisant de 1 à 8 milliards d’êtres humains est presque insignifiante, comparée à la durée d’existence d’Homo sapiens. Nous avons aujourd’hui le sentiment que les maladies émergentes sont de plus en plus nombreuses. Mais est-ce vraiment le cas, ou est-ce simplement parce que la population mondiale s’est accrue de manière spectaculaire ? Parallèlement la biodiversité s’effondre. La biomasse de tous les mammifères sauvages terrestres représente moins de 5 % du total de la biomasse mammifères domestiques et humais réunis. Comme la diversité génétique est essentiellement localisée au niveau des microorganismes présents dans tous les milieux de la planète et encore inconnus pour leur grande majorité, les surprises sanitaires devraient se poursuivre.

Les voies de transmission

Les quelques exemples de risques zoonotiques et de maladies d’origine animale proposés ici sont regroupés par voies de contamination ou par causes favorisantes selon trois grands schémas : (i) par contact et voisinage, (ii) par voie orale et alimentation, (iii) via les vecteurs hématophages. Cette catégorisation est en partie artificielle, car la vie est inventive et ne se laisse pas cataloguer trop facilement. Les microbes remettent en question le regard traditionnel sur le vivant qui a tendance à isoler chaque espèce dans une case étanche par rapport aux autres, tout particulièrement quand il s’agit d’Homo sapiens. Or certaines activités humaines, pas toujours adaptées ni responsables, sont susceptibles d’accroître les risques d’exposition. Enfin, il n’y a évidemment aucun souci d’exhaustivité dans les exemples ici proposés. Même si quelques grandes tendances se dessinent, chaque situation possède des caractéristiques propres qui la singularisent, selon le microorganisme, le lieu, les espèces concernées et le moment.

Pour chaque exemple, essayer de repérer le début de cette relation, quand le passage du germe d’une espèce à l’autre a eu lieu, ne peut qu’éclairer nos histoires communes. L’émergence (l’apparition d’un nouveau microbe par évolution, mutation, recombinaison d’un précédent) peut être vraie ou ne correspondre qu’à la découverte d’un phénomène bien plus ancien, mais soit ignoré, soit confondu avec un autre, soit non compris. Avant Pasteur et Koch, comment comprendre la rage ou la tuberculose sans les notions de virus, bactéries, exposition, contamination, infection, contagion, transmission, incubation, immunité, autant de termes encore parfois bien mal utilisés en 2020 ? En 2020, peut-on prétendre ne plus ignorer aucun concept ?

Contact et voisinage

On admet aujourd’hui que le virus responsable de la rougeole (Morbillivirus de la famille des Paramyxoviridés) est l’adaptation à l’espèce humaine du virus de la peste bovine. Ce virus des bovins provient peut-être de l’aurochs (Bos primigenius), disparu au XVIIe siècle, ancêtre de toutes les « vaches ». L’aurochs a été domestiqué il y a environ huit millénaires, donnant alors les bovins domestiques (Bos taurus), les races sans bosse au Proche-Orient et les races à bosse ou zébus dans la vallée de l’Indus. Le virus bovin s’est adapté aux humains en devenant l’agent responsable d’une nouvelle maladie, la rougeole, perdant son caractère zoonotique. L’expérience des deux derniers siècles de lutte contre la peste bovine, source de lourdes pertes en élevage bovin, permet de l’affirmer. Les conditions du passage interspécifique ancien ne se sont sans doute pas renouvelées, mais confirment bien que l’espèce humaine échange des microorganismes depuis longtemps avec son entourage animal non humain. La domestication a eu de nombreux avantages pour les civilisations anciennes qui l’ont pratiquée, associés à un lourd impact sanitaire. La peste bovine a été officiellement éradiquée de la planète en 2011. Il ne s’agit que de la deuxième éradication volontaire après celle de la variole à la fin des années 1970. Inversement, la rougeole humaine semble revenir. Dans certains pays, il semble plus facile de vacciner les bovins que les enfants. La rougeole tue toujours, y compris en Europe au début du XXIe siècle.

L’histoire de la tuberculose, vieille maladie toujours actuelle, est également très riche, mais assez complexe dans ses relations avec de nombreuses espèces de mammifères dont l’espèce humaine. En fait, il faut plutôt parler du complexe bactérien Mycobacterium tuberculosis regroupant plusieurs « espèces » qui semblent remonter à une autre bactérie, Mycobacterium africanum, probablement associée à la lignée humaine avant même sa sortie d’Afrique. Une branche se serait diversifiée sur place en s’adaptant à d’autres espèces de mammifères et une autre serait sortie d’Afrique avec les humains. Aujourd’hui la tuberculose bovine à Mycobacterium bovis est comprise comme une adaptation de la bactérie humaine aux bovins lors de leur domestication, dans un mouvement inverse de celui expliquant l’origine de la rougeole. La leçon associée suggère que les passages entre espèces sont plus liés aux proximités de vie, comme la domestication, qu’aux proximités phylogénétiques.

Pour terminer avec les mycobactéries il faut encore citer la lèpre, causée par deux espèces du même genre (Mycobacterium leprae et Mycobacterium lepromatosis), maladie bien présente en Europe jusqu’au Moyen-Âge et malheureusement encore active dans d’autres régions du monde. La découverte d’écureuils roux (Sciurus vulgaris) britanniques infectés par l’une et l’autre a été une surprise. Les animaux peuvent porter des lésions ou sembler sains.

La rage est l’exemple type d’une zoonose au sens strict du terme, avec transmission par contact, morsure. Il n’y a pas de cas humain sans une exposition à un animal porteur d’un virus du genre Lyssavirus (famille des Rhabdoviridés). Les quelques transmissions entre humains par greffes d’organes sont tout à fait particulières. Dans pratiquement tous les cas, l’animal est un chien domestique. Sans soin, sans prise en charge des individus contaminés, l’évolution de la maladie est la même, quelle que soit l’espèce de mammifère, et conduit à la mort du patient. Des textes très anciens encore accessibles décrivent une maladie liée aux chiens qui ressemble beaucoup à la rage. Le chien (Canis familiaris), forme domestique du loup (Canis lupus), présent auprès des humains depuis au moins 15.000 ans est responsable de peut-être 50.000 décès de rage par an, chiffre mal connu et seulement estimé. De nombreuses espèces de carnivores sauvages peuvent héberger ce virus mais leurs contacts avec les humains restent exceptionnels. Durant tous ces millénaires, il n’y a jamais eu d’adaptation d’un Lyssavirus à Homo sapiens, alors que des souches du virus rabique se sont adaptées aux chiens, aux renards roux (Vulpes vulpes), aux ratons laveurs (Procyon lotor) ou à diverses espèces de mangoustes, parfois assez récemment semble-t-il. Les chauves-souris sont à considérer à part, car elles hébergent la plus grande diversité connue de Lyssavirus avec des cycles épidémiologiques uniques, mais pratiquement sans impact en santé publique. Les chauves-souris semblent capables de résister à l’infection rabique.

Si les chiens et les bovins représentent deux modèles anciens d’animaux domestiques, certaines autres espèces sont entrées plus récemment sous nos toits. Les rongeurs de compagnie proposent des schémas épidémiologiques intéressants, en particulier quand les virus en cause sont proches de celui de la variole humaine.

Début 2010, plusieurs cas de lésions cutanées à cowpox, infection causée par un virus du genre Orthopoxvirus (famille des Poxviridés), ont été signalés chez des propriétaires de rats de compagnie (Rattus norvegicus) issus du même élevage situé en Europe centrale et distribués dans diverses animaleries d’Europe occidentale. Les lésions étaient localisées sur les joues ou sur le cou des patients, les personnes portant volontiers leur animal sur l’épaule, au contact de la peau.

Quelques années auparavant, en 2003, un épisode assez sérieux avait eu lieu aux États-Unis à la suite de l’importation au Texas de 800 rongeurs sauvages africains, plusieurs espèces, tous issus du Ghana et destinés au commerce des animaux de compagnie. Le virus identifié était le monkeypox, autre Orthopoxvirus (Poxviridés), probablement plus à craindre que le cowpox. Ces animaux étaient entrés aux USA légalement, mais sans contrôle sanitaire. La voie de transmission du virus des rongeurs africains aux humains est originale. Le virus est passé par des chiens de prairie (écureuils terrestres, Cynomys spp.) nord-américains, assez populaires comme animaux de compagnie, en vente dans les mêmes animaleries. Ils ont été contaminés au contact des rongeurs africains d’une cage à l’autre. Le virus a circulé dans les points de vente proposant au public les deux groupes de rongeurs. Les chiens de prairie ont développé la maladie et en sont morts, ce qui a permis d’identifier le virus alors qu’il n’a jamais été possible de l’isoler à partir des rongeurs africains examinés a posteriori. Les lésions observées chez les personnes touchées étaient cutanées et liées à la manipulation de leurs animaux. Le virus ne s’est pas adapté aux humains, bien qu’il y ait eu au moins un passage entre humains. Depuis la disparition de la variole humaine, le virus responsable du monkeypox est surveillé par l’OMS en Afrique, car ces deux virus sont assez proches. Les générations humaines actuelles les plus jeunes, non vaccinées contre la variole, pourraient s’avérer réceptives et sensibles à d’autres Poxviridés de rongeurs ou de primates non humains. À ce jour, les cas restent heureusement sporadiques. Les animaleries pour animaux exotiques de compagnie permettent la mise en contact d’espèces de continents différents et offrent à leurs microorganismes et parasites des possibilités d’échanges et de recombinaisons impensables dans les conditions naturelles.

Comment anticiper toutes les conséquences possibles d’échanges commerciaux discutables ? Dans le cas des poxvirus, faut-il craindre l’arrivée d’un succédané de la variole à partir d’un réservoir animal ou du commerce international et non maîtrisé des animaux exotiques de compagnie ? Tous ces virus sont anciens. Ce sont nos comportements actuels qui les rapprochent des humains.

Le virus Ebola (famille des Filoviridés) fait bien trop parler de lui depuis le début du XXIe siècle en Afrique tropicale, seule région du monde où il est connu. Le schéma épidémiologique proposé associe des émergences répétées à des épidémies qui s’auto-entretiennent au sein des populations humaines avant de disparaitre, jusqu’à l’émergence suivante. Le virus n’est connu que depuis les années 1970, mais existait certainement avant. Le réservoir serait certaines espèces de chauves-souris frugivores africaines (ptéropodidés) mais il semble y avoir eu peu de passages directs entre chiroptères et humains. D’autres espèces chassées (grands singes, antilopes forestières) semblent jouer le rôle de vecteurs. Le virus se transmet par contact direct avec un animal virulent chassé ou trouvé mort. Tous les fluides d’un malade sont virulents, jusqu’à 48h après sa mort. Le risque doit être moindre lors de la consommation de viande de faune sauvage, la « viande de brousse », quand elle a subi différents traitements tels que fumage (« boucanage ») ou cuisson. Le virus n’est pas si résistant. S’il est toujours délicat de tracer le véritable cas primaire de chaque épidémie, son évolution s’explique ensuite par de nombreux contacts entre humains, entre parents, avec du personnel soignant. Le retour vers le réservoir sauvage ne semble pas vraiment nécessaire pour entretenir une épidémie. L’importance de l’épisode de 2014-2015 en Afrique de l’Ouest (Guinée, Libéria, Sierre Leone) s’explique beaucoup plus par des problèmes de logistique, d’organisation, de mauvaises structures locales que par des difficultés liées au virus ou à son épidémiologie. Dans le cas du virus Ebola aujourd’hui, faut-il craindre le réservoir sauvage, quel qu’il soit, le commerce et la consommation de viande de brousse, ou les guerres civiles qui détruisent le tissu social et les administrations, la corruption, la perte de confiance intra-humaine de régions entières ? L’épidémie en cours dans l’est de la République Démocratique du Congo illustre toutes ces questions.

L’histoire de l’émergence des lentivirus responsables du syndrome de l’immunodéficience acquise (SIDA) chez l’homme commence à être mieux cernée. Divers virus sont décrits peu à peu, les SIVs, et associés à quelques espèces de primates non-humains africains. Les virus humains VIH-1 et VIH-2 s’avèrent clairement issus de ces lentivirus simiens, globalement bien supportés par les espèces de singes infectées, ce qui n’est pas le cas des VIHs chez l’homme. Ainsi, les virus VIH-1 des groupes M (responsable de la pandémie actuelle de SIDA) et N (quelques rares cas connus) seraient issus de SIVs de chimpanzés, ceux des groupes O (épidémique) et P (rarissime) de SIVs de gorilles (eux-mêmes issus de SIVs de chimpanzés), et VIH-2 de virus SIV de mangabey. Le contexte de ces passages inter-espèces, avec adaptation à l’espèce humaine, fait encore l’objet de nombreuses études. On pense évidemment à des actions de chasse et à une contamination sanguine entre les singes et les chasseurs, qui aurait eu lieu au début du XXe siècle. Mais pourquoi une diffusion de la maladie à ce moment-là ? Ces questions restent en suspens. Aujourd’hui, le SIDA est une maladie humaine qui s’entretient sans repasser par le réservoir animal.
Voie orale et alimentation

La diversité et la complexité des cycles parasitaires commencent à être assez bien connues. Des nématodes (vers parasites) comme les trichines (Trichinella spp.) ont poussé leur spécialisation assez loin en ne cyclant qu’entre mammifères et sans phase libre dans l’environnement. Aujourd’hui, le risque est maîtrisé en élevage mais subsiste dans la faune sauvage, qu’il s’agisse du sanglier (Sus scrofa) ou des carnivores sauvages. Pour la santé humaine, le contrôle associé correspond à des pratiques culinaires adaptées en aval lorsque de la viande de sanglier est consommée, fraîche ou après congélation. En Europe, le plus simple serait de ne pas manger de viande de carnivores sauvages. Bien que cela ne soit pas fréquent, le renard est parfois consommé. Les derniers cas publiés de contamination humaine en France liés à de la viande de carnivore correspondent à une importation illégale, puis à une consommation de viande d’ours noir américain (Ursus americanus) chassé légalement au Canada. Chez les humains, ce n’est pas seulement pour faire baisser le risque de contamination que les aliments sont cuits, mais c’est une raison parmi d’autres. Omnivore, l’espèce humaine s’est exposée depuis longtemps à des parasites de prédateurs et d’herbivores. L’étude fine de certains cycles parasitaires aboutit à considérer Homo sapiens comme la source de contamination de certaines espèces animales après les avoir domestiquées, et non le contraire. Ce serait le cas des cestodes humains du genre Taenia retrouvés sous forme larvaire chez les bovins et les porcins

L’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), plus connue sous le nom de maladie de la vache folle, présente une forme épidémiologique particulière. Dans tous les cas, les animaux se sont contaminés par voie alimentaire à partir d’un aliment commun, les farines de viande et d’os (FVO), jusqu’à leur interdiction définitive en 2000. On parle d’une anazootie dans ce cas de figure, soit la contamination des bovins à partir d’une même source alimentaire sans transmission horizontale de vache malade à vache saine. Le schéma est donc différent de celui d’une épidémie. Les cas humains ont été consécutifs à la consommation de divers organes issus de bovins contaminés et infectieux. On peut alors parler d’anadémie dans ce cas. L’anazootie et l’anadémie correspondantes, originaires du Royaume-Uni, auront duré une vingtaine d’années et provoqué une profonde crise de confiance entre les consommateurs, les producteurs de viande et les pouvoirs publics. Les conséquences en termes de biologie sont également importantes. L’agent infectieux incriminé, appelé prion, pour « protéine infectieuse », pose quelques questions fondamentales encore actuellement débattues. Comme on n’a pas trouvé d’acide nucléique à son niveau, le prion pourrait transmettre des informations par d’autres mécanismes. On pense que le prion bovin préexistait à un taux très faible sans jamais avoir été identifié. Le recyclage des cadavres bovins dans les FVO, à l’occasion d’une modification des conditions techniques de fabrication dans les années 1980, aurait permis de démarrer l’anazootie, terminée aujourd’hui.

Un autre cas assez démonstratif a émergé avec l’épisode du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), dû au coronavirus SARS-CoV-1 fin 2002 et début 2003 dans le sud de la Chine. La voie de contamination comme les facteurs facilitants restent délicats à bien cerner. On pense que les premières contaminations humaines ont eu lieu à partir de civettes palmistes masquées (Paguma larvata), petits mammifères carnivores de la famille des Viverridés consommés en Chine du Sud. Les premières personnes contaminées n’ont pas été des éleveurs, des chasseurs, des marchands, ni même des consommateurs, mais les cuisiniers de restaurants les proposant sur leurs menus. Mais quel mode de contamination était en cause : voie orale, inhalation, contact ? La contamination interhumaine a pris le relais avec un nombre important de transmissions nosocomiales des personnels soignants dans les divers hôpitaux locaux. Il ne semble pas que le nombre de patients directement contaminés et infectés par des civettes parmi les 8000 cas recensés dans le monde soit très élevé. On est très vite passé de la situation « zoonose » à une situation « maladie humaine d’origine animale ». Tous les virus identifiés chez des animaux étaient des « SRAS-like », différents du virus pathogène pour les humains.

Les études ultérieures ont montré que l’ancêtre probable du virus du SRAS était présent chez quelques espèces de chauves-souris locales chez lesquelles on n’avait jamais recherché de coronavirus auparavant, ni en Asie, ni ailleurs. L’analyse de l’épidémie permet d’exclure une contamination directe à partir du réservoir chiroptères et indique que les civettes ont probablement joué le rôle de vecteur vers l’espèce humaine. Encore aujourd’hui, il n’est pas possible de savoir quand le passage chauve-souris - civette a eu lieu, ni où le passage d’une forme non ou très faiblement pathogène du virus vers une forme hautement pathogène pour les humains s’est effectué. La notion de réservoir se complique puisque le « vrai » virus du SRAS n’a été retrouvé que chez des malades humains. Les chiroptères hébergent des ancêtres potentiels de formes pathogènes et les civettes une forme plus proche du virus pathogène humain mais néanmoins distincte. Fallait-il craindre les virus hébergés par les chiroptères ou l’élevage et la consommation de civettes ?

Relire l’histoire du SARS-CoV-1 au moment où le SARS-CoV-2 entraîne le confinement de la moitié de l’humanité est assez troublant. Il est trop tôt pour comprendre l’émergence du nouveau virus, où cela eu lieu, par quels mécanismes commerciaux, épidémiologiques, viraux et moléculaires. Il faut surtout se prémunir des fausses informations en espérant connaître un jour la réalité.

Contamination par vecteur hématophage

L’exemple de la fièvre jaune illustre à la fois le cas général et une exception. Naturellement présent en Afrique tropicale, l’agent de cette maladie, virus du genre Flavivirus (famille des Flaviridés), est hébergé par différentes espèces de primates non humains depuis certainement très longtemps. Quelques espèces de moustiques font le lien avec l’espèce humaine. Les singes africains, réceptifs mais non sensibles, représentent bien le réservoir.

Le virus a malheureusement été introduit en Amérique lors de la colonisation du Nouveau Monde par les européens via l’intermédiaire du sinistre commerce triangulaire (Europe-Afrique-Amérique). La fièvre jaune est donc endémique en Afrique et a émergé en Amérique du fait des activités humaines. Les singes sud-américains, qui ont évolué indépendamment des singes africains depuis au moins le milieu de l’ère tertiaire, se sont avérés réceptifs et sensibles au virus. Ils meurent de la maladie. Les mortalités constatées chez eux représentent un signal d’alerte pour les populations humaines proches. Les zones forestières touchées ne doivent plus être visitées ou seulement par des personnes correctement vaccinées. Dans le cas américain, on considère que les moustiques font partie du réservoir.

L’exemple du paludisme peut illustrer à la fois la diversité des situations rencontrées ainsi que les évolutions possibles à l’échelle du temps long. Classiquement, quatre espèces de parasites du genre Plasmodium sont associées à l’espèce humaine : P. falciparum, P. malariae, P. ovale, P. vivax. Cependant, la réalité pourrait être plus complexe car dans certaines régions d’Asie du Sud-Est, les diagnostics effectués sur frottis ne permettaient pas de distinguer certaines espèces de parasites issus des primates non humains d’avec ceux des humains. C’est ainsi que Plasmodium knowlesi est régulièrement confondu avec P. malariae et le paludisme zoonotique associé probablement bien sous-estimé. Le développement des outils de biologie moléculaire dans les laboratoires d’analyse devrait réduire les erreurs diagnostiques. Il semble que pour l’instant, il n’existe pas de transmission d’homme à homme de P. knowlesi via les anophèles, parasite qui reste bien strictement zoonotique avec un réservoir constitué de plusieurs espèces de primates asiatiques. Il en est de même avec P. cynomolgi des singes asiatiques qui a pu être confondu en microscopie chez l’homme avec P. vivax. Par ailleurs, les deux espèces de plasmodium qui existent chez les singes américains, P. simium et P. brasilianum, seraient des descendants de P. vivax, installé dans le Nouveau Monde après l’arrivée des européens et des esclaves africains en Amérique tropicale. Dans ce cas, ce sont les humains qui ont été à l’origine de la contamination des singes par l’intermédiaire des moustiques locaux. Enfin, de récentes études de phylogénie parasitaire ont conclu que P. falciparum serait le descendant d’un plasmodium de gorille qui se serait « humanisé ». Dans ce cas-là, le parasite du gorille n’est plus un agent de zoonose aujourd’hui, mais il est à l’origine de l’espèce strictement humaine qu’est devenu P. falciparum

Conclusion

Les questions posées par les zoonoses et les maladies d’origine animale sont de deux ordres. (i) Quelle est la probabilité qu’un « microbe » quitte le réservoir animal vers l’espèce humaine en réussissant son passage ? Cette probabilité n’est jamais nulle, mais paraît faible au vu des événements passés. (ii) Quelles sont les conséquences d’un tel passage vers l’espèce humaine ? Elles sont peu prévisibles a priori, mais l’influence de facteurs anthropiques peut modifier les paramètres épidémiologiques. Les impacts sanitaires, économiques, sociaux, sociétaux en dépendent. Or les comportements humains sont encore plus délicats à anticiper et à modéliser que les paramètres épidémiologiques classiques. Faut-il insister sur la probabilité, jamais nulle, de l’échappement d’une souche microbienne depuis le réservoir vertébré, ou doit-on chercher à mieux maîtriser les conséquences sanitaires évidentes de la démographie humaine, des avancées technologiques, des inégalités, de la pauvreté, des instabilités politiques et de la mondialisation ? Faut-il considérer l’espèce humaine seulement comme une victime, ou faut-il la considérer comme un acteur majeur des cycles épidémiologiques qui la concernent ?

Et si le véritable enjeu était d’apprendre, enfin, à vivre ensemble ? Dans l’épidémiologie des zoonoses, les vertébrés permettent le maintien d’une large population microbienne et parasitaire, capable d’évoluer eux-mêmes et de faire évoluer leurs hôtes en réaction, face aux divers bouleversements rencontrés dans les écosystèmes habités. Seuls certains germes peuvent poser problème. Les vertébrés n’entretiennent pas ces microorganismes et ces parasites pour les transmettre à l’espèce humaine ! Doit-on considérer biodiversité et santé comme amies ou comme ennemies ?

La diversité des « microbes » ne peut se comprendre qu’au sein d’une biodiversité tout aussi vaste d’hôtes vertébrés, mais également invertébrés, champignons, végétaux, espèces et individus. Une notion intéressante et débattue est celle du « rôle » possible de cette double biodiversité, parasites et hôtes, dans la « dilution » des souches pathogènes, ce qui se traduirait par un effet positif de cette biodiversité sur la santé à l’échelle de la planète. Un écosystème peu modifié est riche d’une grande diversité d’espèces, contrairement à une culture ou à un élevage où une seule espèce est élevée et dont les individus sont le plus homogène possible. L’arrivée d’un virus, d’une bactérie ou d’un parasite pathogène pour un individu de la culture ou de l’élevage se traduira probablement par l’envahissement de tous les autres et cela donnera une épidémie. Dans une prairie naturelle, une savane arborée, une forêt tropicale, un marais, une mangrove, chaque plante, chaque animal est entouré de nombreux individus de nombreuses autres espèces. Dans ce contexte, l’agent pathogène propre à une espèce a plus de difficulté pour passer d’hôte en hôte et se « perdrait » dans la biodiversité locale. Cette notion est débattue car, selon les études, les données confirment ou infirment. Pourtant, d’une part, le rythme actuel d’érosion de la biodiversité est tel que si jamais l’hypothèse avait un certain fondement, elle ne pourrait être démontrée qu’a contrario, ce qui représenterait une bien maigre consolation. D’autre part, imaginer que l’espèce humaine serait extérieure aux écosystèmes qu’elle habite au point de ne pas agir sur les cycles épidémiologiques qu’elle y croise serait irresponsable.

On ne peut pas répondre à ces questions par oui ou par non. Raison de plus pour chercher des éléments nuancés, responsables, durables et communs entre les diverses médecines humaines et animales, entre toutes les communautés.

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