Édition du 9 septembre 2025

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Monde du travail et syndicalisme

États-Unis : Trump est en train d’anéantir les syndicats. Pourquoi sont-ils si silencieux ?

Ce Labor Day est particulièrement malheureux pour le monde du travail. Le mouvement syndical a été constamment mis à l’épreuve ces dernières décennies, mais le président Trump est le président le plus résolument antisyndical depuis avant la Grande Dépression. Si le mouvement ouvrier ne se bat pas plus fort qu’il ne l’a fait depuis que M. Trump a retrouvé la présidence, son avenir sera sombre.

M. Loomis est historien du mouvement ouvrier et écrit régulièrement sur les syndicats, la politique et les travailleurs

3 septembre 2025 | tiré de l’Aut’Journal | Article paru dans le New York Times, du 1er septembre 2025.
https://www.lautjournal.info/20250903/etats-unis-trump-est-en-train-daneantir-les-syndicats-pourquoi-sont-ils-si-silencieux

M. Trump et son administration ont unilatéralement retiré les droits de négociation collective à des centaines de milliers de travailleurs fédéraux. Au sein du Department of Veterans Affairs seul, 400 000 employés, soit 2,8% des travailleurs syndiqués américains, ont perdu leurs droits à la négociation collective à cause d’un décret qui finira par toucher plus d’un million de travailleurs fédéraux.

M. Trump a marqué le début du week-end de Labor Day jeudi en poursuivant son assaut contre les syndicats fédéraux, ajoutant l’Office des brevets, la NASA et le National Weather Service à sa liste d’agences ciblées.

Malgré cette attaque contre leur existence même, on n’a presque rien entendu des syndicats. Où est le mouvement syndical dans la bataille publique pour préserver les emplois syndiqués, empêcher le démantèlement du filet de sécurité et mener le combat pour la démocratie ? À part quelques déclarations et discours enflammés, le mouvement reste muet.

Si le mouvement ouvrier veut survivre, il doit revenir à des tactiques de mobilisation massive, rappelant aux Américains que leurs droits sont le fruit d’un travail collectif — et non du soutien à un président qui prétend aider les travailleurs américains tout en réduisant les normes de sécurité, en soutenant des tarifs qui augmentent le coût des biens de consommation et en privant les travailleurs de leurs droits légaux à des contrats.

Tout cela se produit alors que le soutien des Américains aux syndicats est au plus haut depuis le milieu des années 1960.

On ne saurait trop insister sur l’importance des attaques de M. Trump contre les travailleurs du secteur public. Ce secteur est devenu le bastion du mouvement syndical, permettant au taux de syndicalisation de l’ensemble de la main-d’œuvre de rester autour de 10%, alors que dans le secteur privé, ce taux est inférieur à 6%.

Compte tenu des mesures prises par M. Trump cette année — et en l’absence de réelle opposition publique de la part de Républicains soi-disant favorables aux syndicats comme Josh Hawley et Marco Rubio — il est probable qu’il ne restera plus de travailleurs fédéraux syndiqués en dehors des agences de réglementation d’ici à la fin de son mandat en 2029.

M. Trump a attaqué les travailleurs autrement. Il a affaibli le Department of Labor par des coupes du Department of Government Efficiency. Il revient aussi sur des règles mises en place sous les administrations Obama et Biden qui permettaient aux aides à domicile de toucher des heures supplémentaires et aux ouvriers agricoles de revendiquer de meilleures conditions de travail.

M. Trump a également sérieusement fragilisé le National Labor Relations Board, qui traite des milliers de dossiers syndicaux chaque année, en limogeant son président et en nommant des personnalités proches du patronat pour orienter son action à l’encontre des intérêts des travailleurs.

Le mouvement syndical, malgré ses discours sur la solidarité, reste profondément divisé sur la meilleure façon d’organiser, de s’engager en politique et d’aborder la question Trump. Certains dirigeants, notamment Sean O’Brien, président des Teamsters, ont soutenu Trump et ses Républicains, notamment sur les restrictions à l’immigration. D’autres syndicats dont les membres sont majoritairement blancs et masculins penchent aussi vers les Républicains, mais cela reste une minorité parmi les membres.

En 2024, les travailleurs syndiqués ont constitué l’un des rares groupes démographiques où les Démocrates ont amélioré leur position par rapport à 2020. Cela reflète peut-être les efforts de Joe Biden pour être, comme il le disait, « le président le plus favorable aux syndicats de l’histoire américaine ».

Les syndicats disposent du soutien interne, de la structure et de la capacité d’organisation nécessaires pour lutter contre Donald Trump. Pourtant, personne dans le mouvement syndical n’a pris n’a pris la parole publiquement pour contrer Mr. O’Brien et expliquer clairement à l’opinion publique que la plupart des syndicats sont fortement opposés à Trump.

Cela ne signifie pas que le mouvement ouvrier, qui reste trop lié aux rouages internes du Parti démocrate, doit suivre celui-ci aveuglément. La direction démocrate elle-même est divisée sur la manière de lutter contre Trump, et les syndicats ont besoin d’indépendance tant dans leur politique que dans leurs tactiques pour susciter la confiance publique, afin qu’ils — et non Trump — puissent reconstruire le pouvoir de la classe ouvrière aux États-Unis.

Si certains des plus grands syndicats, dont les enseignants et les travailleurs des services, ont grandi en recrutant de nouveaux membres et en devenant politiquement puissants, beaucoup d’autres résistent depuis longtemps aux grands efforts d’organisation, préférant se concentrer sur la défense de leurs membres actuels. Cela explique en grande partie pourquoi le mouvement syndical peine à intégrer de nouveaux secteurs pour remplacer les usines automobiles, sidérurgiques et autres industries ayant bâti de solides syndicats dans les années 1930.

L’absence de réponse du mouvement syndical face à Trump contraste fortement avec la réponse lors de la crise ayant suivi le licenciement des contrôleurs aériens par Ronald Reagan en 1981. La journée de la solidarité (« Solidarity Day ») avait réuni pas moins de 260 000 membres et alliés syndicaux à Washington en septembre 1981 pour appeler les travailleurs à lutter contre la domination de Reagan sur la classe ouvrière. Cela n’a pas arrêté le déclin du mouvement syndical, mais a permis aux Démocrates d’agrandir nettement leur majorité à la Chambre lors des élections de mi-mandat de 1982.

Pour survivre à l’assaut de Trump, le mouvement syndical doit se montrer à la hauteur du moment. D’abord, il doit transgresser les protocoles syndicaux en dénonçant publiquement les dirigeants comme M. O’Brien. Tant que les syndicalistes ne reprendront pas le contrôle du discours de la résistance, beaucoup dans la grande coalition libérale penseront que les syndicats soutiennent bien plus Trump qu’ils ne le font réellement.

Ensuite, les syndicats doivent impliquer leurs propres membres sur des sujets n’a pris la parole publiquement. Cela suppose une éducation politique beaucoup plus poussée, non seulement sur les candidats lors des élections, mais aussi sur les enjeux du moment. Cela fait des décennies que de nombreux syndicats évitent d’aborder les sujets qui divisent (comme l’immigration) avec leurs membres. Chez certains, cela répond au fait que l’identité syndicale pèse moins lourd que d’autres convictions politiques chez beaucoup de membres. Mais discuter de politique uniquement durant les élections crée un fossé entre le discours et l’action qui fait que beaucoup de membres finissent par décrocher.

Enfin, les syndicats doivent remplir le vide ressenti par des millions d’Américains face à leur vie économique. Le désespoir ressenti sur des questions comme la fermeture d’usines et l’inflation a mené les travailleurs à soutenir Trump. Mais cela a aussi provoqué un brusque regain de popularité des syndicats dans le pays. La plupart des gens pensent que le système est en panne et cherchent un acteur capable de le réparer. Les syndicats peuvent assurer ce rôle de leadership.

Les syndicats aiment rappeler que la véritable force des travailleurs est de pouvoir interrompre leur travail, via la grève. Ils devraient s’en servir pour s’opposer à la guerre menée par le président Trump contre la classe ouvrière.

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