Tiré de Entre les lignes et les mots
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Elle travaille souvent en binôme avec son collègue M. A. Les deux logeant loin du lieu de travail, ils s’échangent leurs numéros de téléphone dans le but d’organiser des covoiturages pour se rendre au travail.
Des propos à caractère sexuel et des images pornographiques
Très vite, les moindres faits et gestes de Mme Z. deviennent des prétextes pour son collègue à tenir des propos à caractère sexuel : Lorsqu’elle se penche pour souder une pièce, il lui dit que « ça lui donne des idées ». Alors qu’elle est enrhumée, il lui propose de boire son sperme en guise de sirop.
Mme Z. ne cesse de manifester ses refus ; lorsqu’il se plaint de sa vie sexuelle, elle lui suggère de consulter des sites spécialisés souhaitant ainsi contourner ses propos, lorsqu’il lui fait des propositions sexuelles en prétendant qu’elle a besoin de se « détendre » et qu’il faut « profiter de la vie », elle lui répond que son travail et ses enfants la comblent déjà de bonheur. Et quand M. A lui envoie des GIFs issus de vidéos pornographiques par sms, montrant des actes de pénétration en gros plan, seulement un mois après son embauche, Mme Z. lui répond par un « émoji en colère » suivi du prénom de son collègue et d’un point d’exclamation, exprimant ainsi sa colère de recevoir de telles images.
Face à ces violences incessantes, le travail de Mme Z. est constamment perturbé. Alors qu’elle est concentrée, enlevant le serre-joint d’une pièce, M. A n’arrête pas de l’asséner de propos à caractère sexuel. Déconcentrée, elle ne remet pas le serre-joint en place et fait tomber sa pièce, se blessant au niveau de la côte.
Le stress engendré par le harcèlement sexuel qu’elle subi déclenche une crispation de sa mâchoire, appelée bruxisme, ce qui abîme ses dents. Mme Z. doit alors porter une gouttière. Quand on est victime de violences sexuelles au travail, on serre les dents, au sens figuré comme au sens propre.
Mme Z. signale les faits au chef de l’atelier. La secrétaire, à qui elle se confie le même jour, l’informe que M. A avait déjà commis des violences à son encontre également et que le chef d’atelier avait dû intervenir afin qu’il cesse. C’était donc, a minima, le deuxième signalement que ce chef d’atelier recevait concernant les agissements de M. A.
Malgré cela, rien ne sera mis en place pour protéger Mme Z.
Face à l’inertie de son employeur, un ami de Mme Z, M. F, rencontre M. A sur le parking de l’entreprise afin de lui demander de cesser ses agissements. Ce dernier propose alors de l’argent pour faire taire Mme Z.
Inquiète du comportement de M. A envers d’autres femmes, Mme Z. se rend au domicile de M. A accompagnée par un proche, M. L, dans le but d’avertir sa conjointe des violences qu’elle subissait. Après quoi M. A déposera une plainte pour violation de domicile et chantage ! L’inversion de culpabilité à son paroxysme !
Elle dépose alors une main courante en décembre 2018, puis en 2022, elle saisit les prud’hommes.
Une défense abjecte
Dans ce dossier, la défense use encore et toujours des mêmes stéréotypes : Mme Z. ne pourrait pas être victime car elle est plus âgée que M. A. C’est bien connu, dès lors que la différence d’âge est en faveur des femmes, elles sont soudainement protégées du patriarcat et il devient tout bonnement impossible de subir des violences sexuelles… De quoi nous donner envie de dérégler nos horloges.
Plus sérieusement, si la différence d’âge entre un agresseur et sa victime nous apporte des éléments de compréhension des rapports de pouvoir qui se jouent lorsque l’agresseur jouit d’une plus grande ancienneté dans l’entreprise et que le plus jeune âge d’une victime la vulnérabilise, l’absence de ce type de rapport de pouvoir lié à l’âge ne permet évidemment pas de faire disparaître tous les autres. En l’occurrence, Mme Z. a un contrat précaire et n’a pas eu la possibilité de développer des relations au travail lui permettant d’avoir du soutien puisqu’elle vient juste d’arriver dans l’entreprise, elle est donc seule, et la façon dont son poste et l’atelier sont organisés accentue cet isolement, propice à la commission de violences à son encontre. De plus, il règne un climat permissif dans l’entreprise, celle-ci ayant déjà eu connaissance de violences similaires commises par M. A sans que cela ne semble la pousser à mettre de quelconques mesures en place, bafouant ainsi ses obligations. Le fait que Mme Z. soit ou non plus âgée que M .A est sans incidence sur la caractérisation du harcèlement sexuel et ces autres facteurs ont bien permis à M. A de tenir ces propos à connotation sexuelle en toute impunité. La défense lui reproche également l’attitude de ses proches, notamment, le fait que M. F, ami de Mme Z., ait cherché à rencontrer M. A sur le parking de l’entreprise. Comme d’habitude, les victimes ont toujours tort ; lorsqu’elles refusent l’aide de leurs proches, on soupçonne que la situation n’est pas « si grave » sinon quoi, elles auraient accepté n’importe quelle aide afin de faire cesser les violences. Lorsqu’elles acceptent l’aide de leurs proches, il pèse sur elles le stéréotype d’une femme vengeresse.
Enfin, la défense va jusqu’à rendre Mme Z. responsable du comportement de son entourage ! Un de ses amis, qui témoigne dans la procédure, avait partagé sur son compte facebook personnel des images à connotation sexuel. La défense a alors estimé que ce témoin n’avait pas de leçon à faire sur le sexisme et que son comportement en ligne était de nature à décrédibiliser son témoignage. En clair, Mme Z. devrait jouer les modératrices de contenu auprès de ses proches pour avoir le droit de produire leurs témoignages.
Il est intéressant aussi de constater que la défense considère bien que des images à caractère sexuel soient offensantes pour les femmes lorsque celles-ci sont publiées sur un réseau social par un ami, mais pas lorsqu’elles sont imposés par un collègue, dans le cadre du travail…
Un jugement à charge contre la victime
Dans son jugement du 18 septembre 2023, le conseil de prud’hommes d’Annecy a non seulement débouté Mme Z. de toutes ses demandes, mais il l’a également condamné à l’article 700 du code de procédure civile, c’est-à-dire, au paiement des frais engagés par la partie adverse. C’est donc une décision que Mme Z peut légitimement ressentir comme une « punition » pour avoir voulu être rétablie dans ses droits.
Le conseil de prud’hommes d’Annecy justifie sa décision par « une attitude de chantage et de menace » envers M. A, faisant référence à la visite de M. F au domicile de M. A.
Mme Z. a simplement fait appel à ses proches pour se défendre et espérer pouvoir reprendre son poste en sécurité. Elle souhaitait faire cesser le harcèlement sexuel commis à son encontre, elle a alors essayé toutes les stratégies possibles, et demander l’aide d’un ami en faisait simplement partie. Cela ne fait d’ailleurs que démontrer l’état de détresse dans lequel elle se trouvait…
Ainsi, le conseil de prud’hommes d’Annecy s’est contenté de croire les allégations de la partie adverse qui prétendait que Mme Z. avait tenté d’extorquer de l’argent à M. A (c’était pourtant lui qui tentait d’acheter son silence !), sans que la défense n’ait à produire aucune preuve de cette « attitude de menace », tout en décidant d’ignorer les preuves du harcèlement sexuel commis par M. A. En effet, en plus d’un grand nombre d’éléments – tels que l’enquête de l’inspection du travail qui caractérise précisément l’existence du harcèlement sexuel à l’encontre de Mme Z. et le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, des éléments médicaux attestant de la dégradation de son état de santé, des témoignages indirects et des captures d’écran des gifs pornographiques envoyés par M. A – ce dernier avait beau contesté une partie des faits, il avait bien reconnu, lors d’un entretien dans les bureaux de la société, l’envoi de photographies à caractère pornographique et avait également reçu un rappel à loi, impliquant donc qu’il avait reconnu les faits, là encore.
La partie adverse prétendait que ces messages avaient été envoyés en dehors du temps et du lieu de travail, sans pour autant, encore une fois, le démontrer, alors que les horaires d’envoi pouvaient correspondre au temps de travail. En outre, elle a sanctionné le harceleur d’un seul avertissement montrant bien que les faits commis relevaient de sa responsabilité. De plus, l’AVFT et Me Mylène HADJI, avocate de Mme Z., avaient présenté avec précision dans leurs écritures plusieurs décisions étendant la responsabilité de l’employeur en dehors du temps et du lieu de travail, dès lors que les protagonistes étaient en lien en raison du travail.
Les justifications du conseil de prud’hommes d’Annecy pour débouter Mme Z. et la condamner au paiement des frais engagés par la partie adverse s’arrêtent là, en seulement quelques paragraphes visant tantôt à rendre Mme Z. responsable des violences subies, tantôt à nier la responsabilité de son employeur.
Quant à l’AVFT, nous avons été déclarée irrecevable pour ne pas avoir soutenu oralement nos conclusions en première instance, en raison d’une impossibilité matérielle exceptionnelle dont nous avions informé le Conseil.
Mme Z. et l’AVFT ont fait appel de cette décision. L’audience s’est déroulée le 22 mai 2025. Mme Z. était représentée par Me Mylène HADJI. L’AVFT n’était plus représentée, la déclaration d’appel ayant été déclarée caduque.
Le délibéré sera rendu le 11 septembre 2025.
Tiffany Coisnard pour l’AVFT
https://www.avft.org/2025/09/03/harcelement-sexuel-dans-une-entreprise-de-metallurgie-la-victime-condamnee-a-payer-les-frais-de-justice-de-son-employeur-par-le-conseil-de-prudhommes-dannecy/
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