Édition du 6 mai 2025

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États-Unis

Le mouvement ouvrier est atteint du syndrome politique de Stockholm : des raisons pour lesquelles les syndicats devraient cesser de soutenir des Démocrates comme Mme Clinton

Andrew Tillett-Saks, counterpunch.org, 29 juillet 2016,
Traduction, Alexandra Cyr,

Syndrome de Stockholm : sentiments de confiance ou d’affection que ressentent parfois des captifs-ves envers leurs geôliers.

Au cours des primaires de 2016 les syndicats américains ont appuyé très fortement Mme Clinton et on investit des millions pour assurer sa nomination. Il y a eut peu de questionnement malgré son lourd dossier et sa plateforme pour ce qui concerne les travailleurs-euses. Pourquoi ? L’appui des organisations syndicales pour ses ennemis-es politiques et ceux des travailleurs-euses est si habituel qu’on s’y attend. Le mouvement ouvrier organisé souffre du syndrome de Stockholm, il s’attache aux politiciens-nes qui l’attaquent. Soutenir Mme Clinton, qui est ouvertement contre les revendications que soutiennent ces syndicats, est de l’ordre des bas fonds (de la logique). Une intervention est nécessaire. Les syndicats vont subir d’énormes pressions pour endiguer leur déclin actuel ; ils devront se débarrasser de ce syndrome et adopter d’autres stratégies politiques.

Les syndicats ont l’habitude, aux États-Unis, de soutenir des politiciens-nes qui sont loin d’être leurs amis-es. Mais l’ampleur de l’appui à Hilary Clinton est absurde. Elle est, en plus du caractère anti classe ouvrière des ses politiques, opposée aux principales campagnes que mènent certains des syndicats qui la soutiennent.
Par exemple, qu’elle a été la réaction de l’Union internationale des employés-es de services (SEIU) quand elle a refusé d’appuyer leur campagne pour le salaire minimum à 15$, cause pour laquelle le syndicat à dépensé des millions ? Il l’a soutenue avec enthousiasme, a investit des millions dans sa campagne électorale et mobilisé vigoureusement ses membres pour qu’ils et elles votent pour elle et travaillent bénévolement à son élection. Ce syndicat a déjà donné 2 millions à Mme Clinton.
De la même manière, la United Food and Commercial Workers, qui a dépensé des millions pour syndiquer les travailleurs-euses de Wall-Mart, à réagit aux 7 années où Mme Clinton a été membre du Conseil d’administration de l’entreprise, sans dire un mot de sa honteuse position anti syndicale ; il lui a accordé son appui avec enthousiasme.

L’histoire des rapports de Mme Clinton avec la classe ouvrière ne dit rien de bon. Tous ces appuis, venant aussi de syndicats qui ne sont peut-être pas si directement dans l’affrontement avec elle, démontre un certain niveau d’autodestruction, de peu de respect de soi-même. L’appui des syndicats d’enseignants-es à cette candidate qui prône l’expansion des écoles « à chartre » est assez confondant. Ces appuis à une candidate qui s’oppose aux revendications de base de ces syndicats, leur raison d’être actuelle, montre le degré de crise dans laquelle se trouvent les stratégies ouvrières. C’est un peu comme si une coalition Latino-musulmane faisait campagne pour Donald Trump.

Pourtant, ils sont loin d’être anormaux. Soutenir des conservateurs-trices Démocrates modérés-es avec des histoires d’anti syndicalisme est devenu la norme dans le monde syndical. Mais il y a des esprits plus éclairés dans ce monde qui ne croient pas que Mme Clinton et ses semblables soient pro-travailleurs-euses. En général, ceux et celles qui appuient la candidate et à d’autres laquais des entreprises, avancent deux explications. Premièrement, on invoque le fait, qu’élire des candidats-es véritablement pro-travailleurs-euses dans le contexte politique actuel, est impossible. Alors, autant se replier sur les modérés-es, prier pour des réciprocités plutôt qu’être sans aucun appui devant des ennemis-es si féroces et puissants-es que les modérés-es ne seraient pas élus-es ; il faut être pratique. Deuxièmement, les dirigeants-es négocient souvent des concessions en faveur de leurs syndicats lors des échanges autour de ces appuis. C’est leur petite victoire qui leur permet de clamer une stratégie de réal politique dans ces transactions. Les deux positions sont des erreurs.

Plusieurs syndicats ont adopté la première explication et appuyé Mme Clinton sur la base que B. Sanders ne pouvait être élu. À l’examen, cela ressemble à une prophétie auto réalisatrice ; le mouvement ouvrier à lui seul aurait pu faire gagner M. Sanders.
La primaire du Nevada était d’une extrême importance nationalement. Les syndicats ont largement décidé son résultat. Les observateurs-trices et les candidats-e considéraient avec raison, qu’elle jouait un rôle déterminant dans la course. Le gagnant ou la gagnante en sortait avec un poids politique qui dépassait de loin les gains de délégués-es acquis dans cet État. La course était si serrée qu’il était impossible d’en prédire le résultat. Le SEIU a lourdement investit en faveur de Mme Clinton et a ainsi renversé le courant en faveur de l’opposante au salaire minimum à 15$ de l’heure.

Le syndicat a émis ce communiqué : « (Les employés-es et les membres du SEIU) ont travaillé pour que les résidents-es du Nevada comprennent le mode de fonctionnement du caucus et viennent y participer en faveur d’Hilary Clinton. Ce furent des semaines passées à faire des appels téléphoniques et à frapper aux portes. Nous avons ainsi rejoint 37,000 adresses, fait enregistrer 10,000 personnes sur la liste électorale et identifié 62 personnes de nouvelles circonscriptions électorales qui se sont engagées à soutenir la candidate ».

En plus, du lourd investissement du SEIU, la très influente Culinary Workers Union, qui représente les travailleurs de la gigantesque industrie des casinos, n’a pas publiquement annoncé son appui mais a travaillé en coulisse au cours de la nuit pour faire la promotion de Mme Clinton. Après la primaire, le USA Today rapportait : « Notre information concerne le Culinary Workers Union….qui a contribué à paver la route de l’État en faveur de Mme Clinton ». Elle a gagné par une faible marge et coupé l’herbe sous les pieds de B. Sanders. Une victoire dans le Nevada l’aurait propulsé à des hauteurs qu’on ose imaginer. Avec une telle influence du monde du travail dans cet État et les résultats ultra serrés qui en sont sortis on ne peut faire autrement qu’attribuer la victoire de Mme Clinton au mouvement ouvrier. Il n’y a aucun doute sur les comportements auto destructeurs dans l’État ; le SEIU a été vu distribuant des dépliants trompeurs pour ses membres. On y prétendait que Mme Clinton soutenait la revendication du salaire minimum à 15$ de l’heure tout en dissimulant les politiques contre les travailleurs-euses de la candidate qui se prépare à battre cette proposition.

On répète facilement que M. Sanders aurait pu gagner la primaire du Nevada s’il avait été soutenu par le mouvement ouvrier ; des données à l’échelle du pays démontre la même chose. Même si les travailleurs-euses qui ont soutenu Mme Clinton disent le contraire, il est tout-à-fait possible que les syndicats aient pu faire la différence pour M. Sanders. Si seulement, 8% du votre ouvrier avait changé de camp dans les dix États les plus syndiqués, là où les syndicats ont le plus de membres et peuvent le plus facilement influencer le vote, B. Sanders aurait battu Mme Clinton pour ce qui concerne les délégués-es acquis par le vote. Avec le soutient du mouvement ouvrier, Mme Clinton a gagné dans 8 de ces 10 États. Si 8% du vote avait changé de camp, M. Sanders aurait gagné dans 7 de ces États et il aurait pris la tête nationalement du nombre de délégués-es acquis par élection. Considérant l’ampleur du nombre de syndiqués-es, on peut penser que 8% est une variable de changement d’allégeance acceptable. Par exemple, dans l’État de New-York, les syndiqués-es y sont environ 2 millions. Le mouvement n’aurait eut à mobiliser, ou simplement convaincre un petit 8% du total de ses membres soit, moins d’un-e membre sur douze, de voter pour M. Sanders et ainsi lui donner la victoire dans l’État. Si les millions de dollars et les centaines d’heures de travail en faveur de Mme Clinton avaient été en faveur de B. Sanders, l’objectif aurait certainement été assuré . Les syndicats ont donné plus de 6,2 millions de dollars et un nombre incalculable d’heures de travail bénévole à Mme Clinton avant la convention du Parti démocrate. En fin de compte, il devient difficile d’imaginer que le mouvement ouvrier n’aurait pas pu faire élire M. Sanders s’il s’était vraiment engagé en ce sens. Voilà que tout-à-coup, l’impossible semble possible et la partie du mouvement accrochée à Mme Clinton parait bien cynique.

Le deuxième raisonnement utilisé pour endosser les candidats-es anti travailleurs-euses comme Mme Clinton, repose sur une conception étroite des négociations : les syndicats arrivent à une entente avec des candidats-es pour des concessions qui les avantagent directement en échange de leur appui. L’exemple extrême se trouve au Wiskonsin avec les syndicats des policiers-ères et pompiers-ères. Ils ont soutenu la candidature de Scott Walker au poste de gouverneur en 2010. Ils ont été récompensés-es par une loi de l’État qui a pratiquement détruit les syndicats. Des exemples plus communs sont du côté des syndicats du secteur de la construction décrochant des Projects Labor Agreement qui garantissent que les travaux publics de construction ne seront attribués qu’à des entreprises syndiquées. Ou encore, dans le secteur des services l’obtention de garanties quant à la neutralité politique dans l’organisation de la main d’œuvre. Également, les syndicats du secteur public obtiennent des concessions dans leurs négociations.

Cette manière de voir à courte vue est exemplaire de ce qui a hanté les syndicats américains depuis plus d’un siècle. Leur incapacité à penser en tant que classe, à promouvoir les intérêts des travailleurs-euses en général et leur fixation sur les intérêts immédiats de leurs membres sert de mauvaise stratégie qui les a constamment affaiblis ; ils en sont au seuil de la mort. Quand ils ne se battent que pour leurs membres les plus qualifiés-es et après avoir laissé au bord de la route les sans qualifications particulières depuis le début du 20ième siècle ils permettent aux patrons d’exploiter cette partie de la main d’œuvre misérable dans les manufactures et à pratiquement mettre à mort les syndicats du secteur manufacturier membres de l’AFL. En fait ils n’ont survécu que grâce à l’explosion du nombre de membres non qualifiés-es de la CIO au cours des années 1930. Quand les syndicats ont défendu les « bons emplois américains » en luttant contre l’embauche d’immigrants-es durant la deuxième moitié du 20ième siècle, ils ont permis au patronat de les embaucher sans aucune protection, à des salaires inhumains et d’ainsi diminuer le pouvoir syndical. Quand ils ont refusé d’affecter des ressources pour tenter de syndiquer des travailleurs-euses sans organisation en disant qu’ils devaient d’abord « prendre soin de leurs propres membres » et donc donner la priorité aux services aux membres en règle, la proportion des travailleurs-euses non syndiqués-es a explosé et les attaques patronales sont devenues de plus en plus violentes même physiquement.

Cette stratégie politique étroite de négociations ciblées qui laisse tout le reste de la classe ouvrière à la merci du patronat au nom de la protection des membres en règle, n’a jamais donné de résultats positifs et elle n’en donnera jamais. De manière bien contradictoire, quand les syndicats prétendent s’occuper d’abord et avant tout de leurs membres, ils les livrent à d’éventuels tueurs. En travaillant à l’amélioration des conditions de leurs seuls-es membres, ils s’enfoncent dans la vague de pauvreté et d’impuissance des non syndiqués-es. Des politiciens-nes comme H. Clinton brutalisent la classe ouvrière et ses installations : coupures du financement de l’éducation publique, abolition des programmes d’aide sociale, redistribution de la richesse vers le haut en combattant la hausse des salaires et en augmentant les subventions aux entreprises, privatisation des services publics, criminalisation des Noirs et des Latinos, etc. Quand les travailleurs-euses souffrent et se désespèrent dans cette conjoncture il est impossible pour les syndicats de justifier leur politique de concentration de leur pouvoir sur l’amélioration des conditions de vie de leurs seuls-es membres. Ainsi, aider à faire élire des politiciens-nes qui s’attaquent aux ouvriers-ères en contre partie de petits gains immédiats pour leurs membres et leur organisation est une stratégie perdante. Ils sont comme l’alcoolique qui, à l’article de la mort, boit encore pour atténuer les douleurs de son foie. C’est une médecine auto destructrice. Le mouvement ouvrier organisé souffre des conséquences de décennies d’une telle vision étroite et à courte vue. Difficile de dire jusqu’à quel point la situation devra se détériorer pour qu’une prise de conscience de la vacuité de cette stratégie soit prise en compte. Espérons qu’il ne faudra pas attendre la veille de la mort pour que le changement advienne.

Il ne s’agit pas de croire que Bernie Sanders ou d’autres Démocrates de gauche représentent la panacée pour le mouvement ouvrier. Mais des stratégies alternatives à celle qui existe en ce moment, sont à la fois nécessaires et viables. Pas question ici de défendre l’une ou l’autre. Il en existe beaucoup qui mériteraient l’attention du monde ouvrier comme, former un parti ouvrier, soutenir les candidats-es démocrates de gauche du type Sanders, l’abstention envers les politiciens-nes de la bourgeoisie dans leur ensemble. Le débat doit avoir lieu. Ce qui est sûr, c’est que si le mouvement ouvrier veut renverser la vapeur, il doit chercher quelque chose de différent. Le mouvement ouvrier américain méritera son titre de « coupé de la réalité » s’il persiste à répéter les mêmes stratégies.

Mais ce n’est pas encore le cas. Très bientôt, les syndicats locaux jusqu’aux organisations internationales et à L’AFL-CIO devront décider de leur stratégie. Désespérés-es, les dirigeants-es pourraient encore une fois, soutenir les Démocrates liés-es aux entreprises. Ou, peut-être, se convaincre, encore une fois, de leur sens pratique, de leur sens de la stratégie ou d’être sophistiqués-es politiquement. La tentation de choisir le chemin le plus facile sera grande, c’est celui des petites luttes et donc du moindre risque. C’est l’habituel appui aux candidats-es démocrates les plus susceptibles de gagner la course. Il faudrait que le mouvement ouvrier rassemble son courage et son bon sens et choisisse une autre perspective. Après tout, considérant tous les culs-de-sacs au programme il n’a rien à perdre et tout à gagner.


A. Tillet-Saks est organisateur syndical basé à New-York.
Écoles privées dont l’existence vient de contrat avec l’administration publique.
En Français dans le texte.

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