Édition du 20 mai 2025

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États-Unis

Entrevue avec Antonia Juhasz sur le nouvel accord États-Unis–Ukraine

L’accord sur les minéraux de Trump est-il une extorsion au profit des énergies fossiles ?

L’administration Trump a signé un accord avec l’Ukraine accordant aux États-Unis une participation à long terme dans les ressources pétrolières, gazières, charbonnières et minérales du pays, dans le cadre d’un fonds d’investissement commun avec Kyiv. Le président Trump a présenté cet accord comme une forme de remboursement de l’aide militaire américaine fournie à l’Ukraine depuis le début de l’invasion russe en février 2022. Nous nous entretenons avec la journaliste d’investigation Antonia Juhasz, qui qualifie cet accord de « prise » de ressources « sans précédent », permettant à Trump de rouvrir l’accès des États-Unis au pétrole et au gaz russes, lesquels peuvent transiter par les infrastructures énergétiques ukrainiennes.

1er mai 2025 | tiré du site de Democracy now !
https://www.democracynow.org/2025/5/1/ukraine_minerals_trump_zelensky

AMY GOODMAN : Vous écoutez Democracy Now !, democracynow.org, le Journal de la guerre et de la paix. Je suis Amy Goodman, avec Nermeen Shaikh.

NERMEEN SHAIKH : Des responsables américains et ukrainiens ont signé un accord octroyant aux États-Unis une participation dans les réserves de minerais de l’Ukraine, dans le cadre d’un fonds d’investissement conjoint avec Kyiv. Les détails de l’accord n’ont pas encore été rendus publics, mais, selon le Financial Times, il ne comprend pas de garanties de sécurité explicites de la part des États-Unis. Trump a tenté de présenter cet accord comme un remboursement de l’aide militaire américaine depuis l’invasion russe de février 2022. Le Parlement ukrainien devra encore ratifier l’accord. Le secrétaire au Trésor, Scott Bessent, s’est exprimé après la signature.

SCOTT BESSENT, SECRÉTAIRE AU TRÉSOR : L’accord d’aujourd’hui envoie un message clair à la direction russe : l’administration Trump est engagée dans un processus de paix centré sur une Ukraine libre, souveraine et prospère à long terme. Il est temps que cette guerre cruelle et insensée prenne fin.

AMY GOODMAN : Nous sommes rejoints par Antonia Juhasz, journaliste d’investigation qui a reçcu de nombreux prix pour ses recherches, spécialisée depuis longtemps dans le domaine du pétrole et de l’énergie. En mars, Antonia a publié un article dans Rolling Stone intitulé : « L’accord minier de Trump est-il une extorsion fossile ? » Elle a également couvert le démantèlement par l’administration Trump des réglementations environnementales et climatiques. Elle nous rejoint depuis Washington D.C. Antonia, bienvenue à nouveau sur Democracy Now !

ANTONIA JUHASZ  : Merci de m’accueillir. Bonjour.

AMY GOODMAN : Pouvez-vous nous parler de cet accord signé hier entre les responsables ukrainiens et américains ? Cet accord sur les minerais dits « rares » ? Que contient-il, et que représente-t-il selon vous ?

ANTONIA JUHASZ : Bien sûr, et encore merci de m’avoir invitée. Bonjour.

Il s’agit en fait d’un fonds d’investissement pour la reconstruction mis en place entre les États-Unis et l’Ukraine. On le surnomme depuis un moment l’« accord sur les minerais », ce qui est un peu un abus de langage. L’idée originale de l’accord remonte à plusieurs années, après la première invasion russe, lorsque Zelensky cherchait à convaincre le Congrès républicain de continuer à financer l’aide militaire à l’Ukraine sous l’administration Biden, en leur proposant, en gros : « Si vous continuez à nous soutenir, nous vous donnerons une part de l’économie ukrainienne. »

Sous l’administration Trump, cela s’est transformé en une véritable prise de contrôle des ressources naturelles ukrainiennes — certaines pourraient inclure des terres rares, mais l’intérêt principal concerne surtout le pétrole, le gaz, le charbon, donc les énergies fossiles, avec une ouverture à l’investissement américain, mais aussi, selon moi, au contrôle russe. L’objectif principal de Poutine est la levée des sanctions, pour rouvrir la Russie aux compagnies pétrolières américaines.

L’accord signé hier a été modifié depuis la version initiale présentée fin février. C’était d’ailleurs l’objet de la visite de Zelensky à la Maison-Blanche. Cette rencontre, mise en scène par JD Vance et Trump, visait à humilier Zelensky, à lui montrer que Trump avait pris parti pour la Russie et qu’il devrait se soumettre s’il voulait obtenir quoi que ce soit. L’accord devait être signé ce jour-là. Ce ne fut pas le cas. Depuis, des négociations ont eu lieu. L’accord présenté hier est, je dirais, meilleur que celui de février, mais reste problématique à plusieurs égards.

NERMEEN SHAIKH : Pouvez-vous expliquer certains de ces problèmes ? Lors de la rencontre très publique et tendue de février, Zelensky avait déclaré que le projet d’accord revenait à, je cite, « vendre son pays ». Quels étaient alors les obstacles, et qu’est-ce qui a été modifié dans la version actuelle — qui doit encore être ratifiée par le Parlement ukrainien ?

ANTONIA JUHASZ : Oui. D’abord, clarifions bien les choses. On parle d’un « accord minier », mais l’Ukraine ne possède pas nécessairement beaucoup de minerais. Elle produit du titane et du graphite. Elle pourrait avoir du lithium, et peut-être d’autres terres rares — douze métaux essentiels à l’énergie renouvelable. Il y a un intérêt à développer cette filière, d’autant plus que cela permettrait de réduire la dépendance aux énergies fossiles russes.

Mais l’accord inclut toutes les ressources naturelles de l’Ukraine — pétrole, gaz, charbon — et aussi ses infrastructures : les gazoducs qui traversent le pays, les ports, les installations de stockage, les raffineries, les centrales nucléaires. L’accord crée un fonds dans lequel iraient tous les futurs profits de ces ressources. Les États-Unis y contribueraient aussi, mais sans précision sur les montants. L’accord initial laissait entendre que les États-Unis auraient un contrôle majoritaire sur l’utilisation de ces ressources et des fonds, sans réellement injecter de l’argent — un « remboursement » pour l’aide militaire passée, selon Trump.

Aujourd’hui, on parle d’un partage 50/50 dans les décisions, et non plus d’un remboursement de l’aide militaire passée, mais d’un apport basé sur les aides futures. Cela reste problématique, car ce type d’accord n’a aucun précédent. Les États-Unis financent généralement la reconstruction via des dons ou prêts, ou investissent par des contrats. Il est inédit de lier une telle prise de contrôle aux ressources d’un pays en échange d’une poursuite de l’aide militaire. Même lors de l’occupation américaine de l’Irak, il n’y avait pas de disposition aussi explicite.

L’autre problème, c’est que Trump présente cet accord comme un échange : la paix en Ukraine contre la perte de la Crimée et des territoires occupés depuis 2014 et 2022, qui contiennent justement les plus riches réserves de pétrole, gaz et charbon de l’Ukraine, notamment dans le Donbass. Si Trump lève les sanctions, les compagnies américaines pourraient revenir en Russie.

AMY GOODMAN : Dix secondes, Antonia.

ANTONIA JUHASZ : Oui, pardon. Si Trump supprime les sanctions, tout le marché russe du pétrole et du gaz redevient accessible aux entreprises américaines.

AMY GOODMAN : Merci beaucoup, Antonia Juhasz, journaliste d’investigation primée, spécialiste de l’énergie. Nous mettrons en lien votre article pour Rolling Stone, « L’accord minier de Trump est-il une extorsion fossile ? » et vous inviterons à nouveau pour parler du bilan environnemental de Trump.

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