Édition du 17 juin 2025

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États-Unis

États-Unis. Projet de loi budgétaire et guerre sociale

Si un satiriste avait tenté de parodier une loi visant à voler les salarié·e·s pour enrichir les riches, il n’aurait pas pu faire mieux que le « grand et beau projet de loi » que la Chambre des représentants des Etats-Unis a adopté à une voix près le 22 mai [215 pour, 214 contre, dont deux républicains].

2 juin 2025 - tiré du site alencontre.org - Photo : Donald Trump et le président républicain de la Chambre des représentants Mike Johnson s’adressant à la presse à propos du « One Big Beautiful Bill Act », 20 mai 2025.

Trump a baptisé de ce nom ridicule de « grande et belle loi » ce projet massif de 1100 pages qui augmente le déficit budgétaire des Etats-Unis de 4000 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie [1]. Il intègre tous les plans du Parti républicain visant à réduire les impôts des plus riches, tout en augmentant les dépenses et en mettant en péril la santé et l’éducation de millions de membres des classes laborieuses.

Dans le même temps, il prévoit pour la première fois un budget militaire supérieur à 1000 milliards de dollars par an et une expansion considérable de l’appareil de déportation de migrant·e·s (U.S. Immigration and Customs Enforcement’s-ICE) qui est au cœur du programme de Trump.

Dans quelle mesure cette « grande et belle loi » favorise-t-elle les riches ? Le Congressional Budget Office (en date du 20 mai), un organisme non partisan, a montré que ce projet de loi réduirait les revenus des ménages les plus pauvres (les 10% les plus pauvres) jusqu’à 4% par an, tout en augmentant les revenus des plus riches (les 10% les plus riches) jusqu’à 4% par an. Si l’on examine ces transferts en dollars, on constate que les 40% les plus pauvres de la population perdent de l’argent, tandis que les 0,1% les plus riches gagnent environ 390 000 dollars !

Ces changements sont le résultat cumulé de réductions d’impôts qui favorisent les revenus les plus élevés et de coupes drastiques dans le programme Medicaid (l’assurance maladie publique pour les personnes pauvres et handicapées) et le programme SNAP (Supplemental Nutrition Assistance Program – aide alimentaire pour les personnes à faibles revenus). Les coupes dans ces deux programmes essentiels s’élèvent à plus de 1200 milliards de dollars sur dix ans. Le journaliste spécialisé dans les statistiques G. Elliott Morris a résumé la situation ainsi : « Les républicains veulent que vous payiez plus pour avoir moins. » (Strengh In Numberts, 23 mai 2025)

Une autre conséquence moins connue sera la réduction obligatoire de 500 milliards de dollars du budget de Medicare, le programme d’assurance maladie publique pour les personnes âgées. Avec les prestations de sécurité sociale versées aux personnes âgées et handicapées, Medicare est si populaire qu’il est généralement considéré comme « à l’abri » des coupes budgétaires. A l’origine formelle de cette mesure d’austérité se trouve la loi « Pay As You Go Act » – adoptée par le Congrès démocrate en 2010, dirigé par la présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi et le président Barack Obama – qui impose des coupes obligatoires dans ces programmes si le déficit budgétaire fédéral dépasse certains niveaux.

Les conséquences de ces coupes seront dévastatrices dans un pays où 4 personnes sur 10 ne peuvent pas réunir 400 dollars en cas de nécessité urgente et où près de 80% des habitants déclarent vivre « au jour le jour » (Forbes, 2 avril 2024). Les analystes prévoient que jusqu’à 15 millions de personnes perdront leur couverture santé, car le gouvernement fédéral impose des restrictions plus strictes sur les personnes pouvant bénéficier des prestations sociales et les Etats ne sont pas en mesure de combler les lacunes.

Medicaid n’est pas seulement un programme destiné aux Américains les plus pauvres. Grâce à la loi de 1997 sur l’assurance maladie pour les enfants (Children’s Health Insurance Act) et à la loi de 2010 sur les soins abordables (Affordable Care Act), Medicaid fournit désormais une aide à l’assurance maladie à près de 80 millions d’Américains. En fait, il compte plus d’adhérents que Medicare.

Ainsi, à bien des égards qui ne sont pas tout à fait évidents, Medicaid est un soutien essentiel pour des millions d’Américains de la classe laborieuse. Il est le principal bailleur de fonds des maisons de retraite et des soins à domicile pour les personnes âgées et handicapées. Dans de nombreuses régions urbaines et rurales des Etats-Unis, il soutient les infrastructures de santé publique. Une enquête de la Kaiser Family Foundation a révélé que 65% des personnes interrogées ont bénéficié de Medicaid, soit elles-mêmes, soit un membre de leur famille ou un ami proche.

Ces coupes budgétaires ne sont pas populaires. Dans aucune des 435 circonscriptions électorales, il y a plus de 15% des électeurs et électrices qui soutiennent les coupes dans le programme d’aide alimentaire SNAP. Même Steve Bannon, le conseiller d’extrême droite de Trump, a mis en garde les républicains contre les coupes dans Medicaid. Mais ils l’ont fait quand même. Et même les républicains de la Chambre des représentants qui avaient juré de ne pas soutenir un projet de loi réduisant Medicaid ont voté en sa faveur. Ils vont maintenant passer des mois à jouer sur les mots pour essayer d’expliquer que leur vote n’était pas en faveur d’une « réduction », mais pour autre chose.

Dans une autre attaque contre les classes populaires, le projet de loi réduit également les bourses d’études qui aident les étudiants à faibles revenus à financer leurs études universitaires. Jusqu’à 4 millions d’étudiants seront touchés. Et de nouvelles dispositions applicables aux prêts étudiants augmenteront les remboursements et allongeront la durée de la dette pour la plupart des bénéficiaires.

Ce compte rendu ne s’est concentré que sur les coupes dans les soins médicaux, l’aide alimentaire et le soutien à l’éducation. L’idée que Trump et les républicains soient désormais en quelque sorte un « parti de la classe ouvrière » est donc risible.

Mais le reste du projet de loi est une liste de souhaits trumpistes, qui prévoit notamment : une multiplication par 13 du budget du système carcéral de l’ICE ; la possibilité pour l’administration de supprimer le statut d’exonération fiscale de toute organisation à but non lucratif qu’elle juge politiquement inacceptable ; l’interdiction pour les Etats de réglementer les technologies d’intelligence artificielle ; et même la limitation de la capacité des plaignants à demander des injonctions judiciaires pour bloquer les mesures prises par l’administration.

Le projet de loi est désormais entre les mains du Sénat, où certains républicains ont promis de ne pas le soutenir et ont appelé à des modifications importantes, etc. Ne les croyez pas. La plupart des détracteurs estiment que ce projet de loi ne va pas assez loin dans la réduction des dépenses. L’appel du sénateur Josh Hawley (républicain du Missouri) à « ne pas réduire Medicaid » dans une tribune publiée dans le New York Times du 12 mai relève davantage du spectacle politique que de la conviction.

En fin de compte, ce projet de loi représente l’intégralité du programme de politique intérieure de Trump et des républicains. Et même si le Sénat peut y apporter quelques modifications mineures, il sera adopté par le Congrès dans son intégralité. Au Sénat, où le Parti républicain détient une majorité de 53 sièges contre 47, trois républicains peuvent voter contre et le projet de loi sera tout de même adopté grâce à la voix décisive du vice-président JD Vance.

D’ici l’automne, la classe laborieuse des Etats-Unis commencera à subir la plus grave attaque législative dont elle ait été victime depuis plus d’un demi-siècle. (Article reçu le 31 mai ; traduction rédaction A l’Encontre)


[1] Donald Trump, sur sa plateforme Truth Social, a réagi ainsi à l’adoption du budget : « La grande et belle loi a été adoptée à la Chambre des représentants ! C’est sans doute le texte législatif le plus important qui sera signé dans l’histoire de notre pays. »

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