Édition du 23 avril 2024

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Europe

Le mouvement ouvrier européen : dangers et défis

(Première partie)

Avec l’arrivée de la crise économique mondiale, le mouvement ouvrier européen est entré dans une nouvelle phase, pleine de dangers et de défis. Il est important de souligner que nous sommes en fait dans une situation nouvelle, et non pas dans la simple continuation de la période précédente.

Murray Smith est membre du parti Dei Lenk (La gauche) à Lexmbourg
Traduction : David Mandel

Ce n’est pas nouveau que la classe ouvrière européenne soit sous attaque et sur la défensive. Il a y eu depuis les années 1980 une offensive systématique, de plus en plus coordonnée par l’Union européenne (UE), visant à imposer des politiques néolibérales à l’Europe. Les objectifs ont été de réduire les coûts du travail (salaires, avantages sociaux, programmes sociaux), d’enlever les contraintes sur le capital, et d’ouvrir de nouveaux secteurs de l’économie au capital privé. Ainsi nous avons assisté à la déréglementation de l’économie, et du secteur des finances en particulier, à la « flexibilisation » du travail, à l’extension du travail précaire, à des privatisations, et la « réforme » de l’ « état-providence » qui vise à miner le droits universel à une pension, à l’assurance chômage, à la gratuité des soins, et à d’autres programmes. Les conventions collectives sont identifiées comme un problème structurel, et l’affaiblissement des syndicats défini comme un objectif (voir l’éditorial du Financial Times, 10/05/2010). Un tel affaiblissement a eu lieu dans certains pays, mais pas dans tous. La vitesse et l’ampleur des attaques ont varié selon le pays, mais la direction est claire. Les effets cumulatifs ont miné, mais pas détruit, l’ « état-providence » qui s’est développé au cours du boom économique de l’après-guerre.

Maintenant, les classes dirigeantes intensifient leurs attaques. Pour recourir à une analogie militaire, elles abandonnent la guerre d’usure en faveur d’une guerre de mouvement, une attaque frontale aux salaires, aux conditions de travail, au secteur public et aux programmes sociaux.

Un assaut frontal

Il ne fait aucun doute que les classes dirigeantes de l’Europe, agissant par l’intermédiaire des gouvernements nationaux et des institutions européennes, et soutenues par le FMI et l’OCDE, exploitent tout à fait consciemment la crise et les déficits pour imposer une série de mesures. Ils ont le problème immédiat de réduire les déficits, qui sont la conséquence des programmes de sauvetage gouvernementaux des banques ainsi que de la récession. Cela a laissé plusieurs économies de la périphérie de la zone euro (Grèce, Espagne, Irlande, Portugal) en difficulté à emprunter de l’argent, menaçant le remboursement de leurs dettes, ce qui aurait de graves répercussions sur les banques européennes. À l’époque du sauvetage en Grèce, Martin Wolf a reconnu dans le Financial Times (05.05.2010) qu’ « Il est manifestement une opération de sauvetage de la Grèce, mais sans l’avouer c’est le sauvetage des banques. » Cela est vrai non seulement en Grèce. Les banques et les institutions financières des trois grands de l’UE - la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne – possèdent plus que la moitié de la dette grecque et aussi plus de la moitié de la dette irlandaise, espagnole, portugaise et italienne. À la fin de 2009, tout cela équivalait à $2 trillions (chiffres de la Banque des règlements internationaux).

Le coût social des opérations de sauvetage en Grèce et en Irlande a été l’imposition de programmes d’austérité drastique. Au printemps de 2010, c’était la crise grecque qui a donné le signal à un renouveau de l’offensive par les gouvernements de l’UE. Les conditions qui ont ensuite été imposées au peuple grec étaient draconiennes : réduction des salaires de 10 à 15 pour cent, cela dans un pays où le salaire mensuel moyen est de1200 euros ; réduction drastique des effectifs dans le secteur public – le remplacement de seulement un sur cinq qui prennent leur retraite ; mesures visant à faciliter les licenciements dans le secteur privé ; coupures dans les budgets de la santé et l’éducation ; de nouvelles privatisations ; augmentation de la taxe sur la consommation de 19% à 23%, une augmentation qui frappe le plus durement les plus pauvres ; réduction de pensions ; augmentation de l’âge de la retraite à 67 ans. Avec des variations mineures, ces mesures ont également été imposées ou adoptées par l’Irlande, le Portugal et l’Espagne.

L’objectif est en fait d’exploiter la crise pour imposer des mesures plus sévères sur les récalcitrants. Le but n’est pas uniquement de réduire les déficits et de rassurer les marchés. Il est également d’accélérer une offensive qui vise à rendre l’Europe plus compétitive dans le nouveau contexte international. Cela est fondamental. L’état social, même affaibli et attaqué au cours des dernières trente années, a survécu parce que l’Europe pouvait se le permettre et parce qu’il a aidé à pacifier les travailleurs et les travailleuses. Maintenant, le jeu est fini. La modification du rapport de force économique, l’émergence de nouvelles économies non-européennes, soulignent le fait que le niveau de vie et le niveau de protection sociale qui ont caractérisé l’Europe occidentale depuis 1945 ne sont plus viables - du point de vue de la classe dirigeante.

Dans sa forme la plus radicale à l’heure actuelle, l’offensive touche les économies dites périphériques de la zone euro, ainsi que plusieurs pays de l’Europe de l’Est. Mais c’est une offensive à l’échelle de toute l’Europe. Nous assistons à des mesures d’austérité et à une attaque de grande envergure contre les syndicats en Italie (centrée sur les usines FIAT) ; en France nous avons vu l’année dernière la contre-réforme des pensions.

Un cas qui se distingue est celui de la Grande-Bretagne, où le nouveau gouvernement de coalition conservateur-libéral-démocrate (« ConDem »), arrivé au pouvoir en mai 2010, a lancé une offensive d’une ampleur stupéfiante. Prenant comme prétexte la nécessité de réduire le déficit, il a imposé des coupures drastiques des dépenses publiques - dépenses directes du gouvernement national, mais aussi réduction des fonds alloués aux autorités locales. Cela a forcé ces dernières à fermer des services publics, réduire les subventions aux groupes de bénévoles et mettre à pied des dizaines de milliers de travailleurs et de travailleuses des administrations locales. L’augmentation massive des frais de scolarité a provoqué des protestations tout aussi massives. La taxe sur la consommation a été augmentée de 17 à 20 pour cent. Dans un mouvement parallèle, le gouvernement a commencé à réformer en profondeur les services de santé, ce qui se traduit en pratique par la privatisation généralisée des services, entraînant des suppressions d’emplois à grande échelle.

Politique de gauche en Europe

Face à cette offensive, quelle a été la réaction du mouvement ouvrier européen ? En premier lieu, la résistance a été axée sur les syndicats plutôt que sur les partis politiques. Cela n’est pas surprenant, quand on considère la situation de la gauche politique. Sans exception, les partis sociaux-démocrates se sont ralliés au discours néolibéral dominant, parfois avec enthousiasme, parfois avec honte, avec une vitesse variable et plus ou moins de conflit interne. Cela est vrai non seulement, même pas en particulier, pour la théorie. C’est surtout vrai pour la pratique de ses partis au pouvoir. Et ils continuent sur la même voie aujourd’hui.

Trois des quatre pays « périphériques » - Grèce, Espagne, Portugal - sont présidés par des gouvernements sociaux-démocrates. Si l’on regarde un peu plus loin dans le passé, nous voyons le rôle des gouvernements sociaux-démocrates en Allemagne entre 1997 et 2005, au Royaume-Uni, en France et ailleurs. Il y a certains signes d’un repositionnement à la gauche au sein du Parti socialiste français, du Parti travailliste britannique et du SPD allemand. Cependant, ces initiatives restent très timides, et il faut toujours examiner d’un œil très critique la rhétorique de gauche de partis sociaux-démocrates quand ils sont dans l’opposition – elle a tendance à fondre rapidement sous la pression du pouvoir. N’oublions pas que le PASOK a remporté les élections grecques à l’automne 2009 avec un discours de gauche, qui contrastait non seulement avec le gouvernement précédent de droite mais aussi avec les gouvernements PASOK d’avant. Maintenant, le gouvernement PASOK fait ce que l’UE et le FMI lui disent de faire. Seulement trois de ses députés ont refusé de voter pour le programme d’austérité l’an dernier. (Ils se sont abstenus et ils ont été rapidement expulsés du groupe parlementaire du PASOK). Cela n’épuise pas nécessairement la question de ces partis. Sous pression de la crise et de l’ampleur des attaques contre la classe ouvrière, des fissures peuvent apparaître. Mais cela risque d’être un processus lent et incertain.

Qu’en est-il des forces qui se trouvent à la gauche de la social-démocratie ? Tout d’abord, il y a les partis communistes. Certains, tout en adoptant une position d’opposition au néo-libéralisme, se comportent de manière sectaire. C’est surtout le cas du Parti communiste de la Grèce. Ensuite, il y a les partis communistes (en France et en Espagne, notamment) qui font partie de coalitions / fronts avec d’autres forces de la gauche radicale. Troisièmement, il existe des organisations traditionnelles de l’extrême gauche, qui à certains égards se comportent de manière sectaire comme les PC, tandis que d’autres participent de manière sérieuse à de nouvelles coalitions et à de nouveaux partis. Enfin, il y a les nouveaux partis, composés de forces venant d’horizons différents (comme au Portugal et en Allemagne). Dans certains pays, la gauche radicale, plus ou moins unie ou divisée, a beaucoup de poids (Portugal, Allemagne, Grèce, et France en particulier). Mais nulle part elle n’a réussi à supplanter la social-démocratie comme principale force sur la gauche.

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