Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Question nationale

Le souverainisme de province, une chronique de la démission des élites nationalistes

Simon-Pierre Savard-Tremblay vient de publier chez Boréal un livre intitulé « Le souverainisme de province » qui va sans doute marquer les débats au sein du mouvement indépendantiste. Il y fait une critique informée de l’histoire des rapports du PQ à l’indépendance et montre que la rupture de ce parti avec une stratégie indépendantiste conséquente date de plusieurs décennies déjà. L’auteur raconte l’histoire du basculement du souverainisme péquiste vers une logique provincialiste. Il fait remonter ce basculement au virage du PQ vers l’étapisme et la stratégie référendaire qui a mis en place un nouveau paradigme : le souverainisme provincial. Mais il ne fournit aucune explication des fondements de cette évolution.

La souveraineté-association : une rupture avec le mouvement indépendantiste des années 60

Son retour historique sur l’indépendance fait quelques rappels essentiels : la naissance du RIN et sa présence dans la scène électorale, les rapports de ces indépendantistes avec les luttes sociales et syndicales, leur discours inspiré des luttes anticoloniales.

Le souverainisme péquiste va d’emblée s’inscrire sur une voie parallèle à l’indépendantisme militant des années 60. René Lévesque voulait fonder un parti souverainiste « crédible » qui pourrait se porter candidat au pouvoir. L’auteur n’analyse pas les fondements sociaux de cette rupture qu’a signifiée la naissance du PQ par rapport à ce qu’avait été le mouvement indépendantiste depuis le début des années 60. Il ne questionne pas le fait que la souveraineté-association proposée par René Lévesque posait la nécessité de maintenir un lien avec l’État canadien. Cette association, sa nécessité et sa nature, sera l’objet de débats incessants durant toute l’histoire du Parti québécois.

Alors que le mouvement indépendantiste des années 60 trouvait sa base dans les couches populaires et petites-bourgeoises, le PQ sera dirigé d’emblée par des personnalités en rupture avec le Parti libéral du Québec qui avaient joué un rôle de ministres ou de grands commis de l’État québécois. La naissance du PQ a signifié d’emblée un recentrage du mouvement indépendantiste. Cette volonté de recentrage explique que la fondation du PQ résulte de la fusion du Mouvement Souveraineté Association et du Ralliement national (parti indépendantiste conservateur) et que la direction du MSA a rejeté fermement toute fusion avec le Rassemblement pour l’Indépendance nationale de Pierre Bourgault qui lui apparaissait beaucoup trop radical.

En 1970, à son premier test électoral, le Parti québécois recueille 23% des votes et il réussit à faire élire 7 candidats. Il est désormais une formation politique incontournable. Il reste qu’avant le grand virage étapiste, le PQ est d’abord pour l’auteur un véhicule voué à la réalisation de l’indépendance. L’absence de toute analyse de classe ne permet pas de comprendre que le bloc social que va constituer le Parti québécois est un bloc sous l’hégémonie des secteurs nationalistes de la bourgeoisie et des couches supérieures de la petite bourgeoisie québécoise. Les classes dominées font effectivement partie du bloc péquiste, mais dans une position subordonnée. La gauche péquiste liée au mouvement syndical sera rapidement appelée à ne jouer qu’un rôle subalterne.

Le grand virage des années 1973-1976

La thèse centrale du livre est résumée ainsi : « La campagne électorale de 1973 fut la dernière que le PQ a consacrée à la mise en de l’avant d’un programme d’action souverainiste, campagne durant laquelle il a formulé des engagements clairs en faveur de l’indépendance. » [1] dans son programme intitulé “Un gouvernement du Parti québécois s’engage”, le PQ affirme vouloir créer une république, mettre en place un mode de scrutin représentatif, défendre un processus d’accès à l’indépendance dès son accession au pouvoir, faire définir une constitution par une assemblée constituante. Durant cette campagne électorale, le Parti québécois présentait le “Budget de l’an 1 pour un Québec indépendant ”, pas un cadre financier pour un gouvernement provincial. L’adoption d’une monnaie québécoise en cas d’impasse dans les négociations avec le fédéral était même envisagée.

Un peu à la manière de Pierre Dubuc, dans son livre [2], l’auteur attribue aux initiatives de Claude Morin le tournant vers l’étapisme. Pourtant, ce tournant s’amorce, nous rappelle-t-il, durant cette même élection avec la publication d’une carte de rappel distribuée dans les foyers du Québec. Cette carte de rappel, écrite à l’initiative de Guy Joron, affirmait : « Aujourd’hui, je vote pour la seule équipe prête à former un vrai gouvernement. En 1975, par référendum, je déciderai de l’avenir du Québec. Une chose à la fois. » [3] C’était là l’aveu que le PQ voulait d’abord prendre le pouvoir pour gouverner la province de Québec.

Le PQ passait, nous dit l’auteur, d’une perspective où il n’était nullement question de séparer l’exercice du pouvoir de la construction effective du pays québécois à un étapisme où cette séparation entre la lutte pour un bon gouvernement et la lutte pour la souveraineté était clairement revendiquée. Mais l’histoire du PQ, les rapports de force en son sein et ses dynamiques d’évolution ne peuvent pas être ramenés à des initiatives individuelles ou de petits groupes. Les choix faits et les gestes posés reflétaient des rapports de force qui étaient déjà en place qui permettaient que ces initiatives puissent se concrétiser.

Il faut bien dire que les résultats de l’élection de 1973, où le Parti québécois obtint six députés (un de moins qu’en 70) malgré ses 30,22% des votes accéléra cette évolution. Pour une partie des dirigeants, particulièrement pour ceux qui avaient connu les hauteurs de l’appareil d’État (ici Parizeau est, encore une fois, une exception) il fallait dédramatiser le sens du vote en faveur du Parti québécois. Il fallait que la population du Québec puisse voter pour le PQ sans que soient posées la perspective de la rupture avec l’État canadien et la mise en route d’un processus devant mener à l’indépendance du Québec. L’adoption de la perspective référendaire en 1974 a permis de concrétiser le glissement vers un souverainisme de province. Après 1974, le pouvoir provincial devient l’objectif central et un moyen pour ouvrir la voie à la mise en place d’un bon gouvernement.

Après la victoire de 1976, l’associationnisme devient inconditionnel et la démarche étapiste s’approfondit. Dans un discours prononcé le 10 octobre 1978 à l’Assemblée nationale, René Lévesque indique que le trait d’union entre souveraineté et association est obligatoire à ses yeux. “Nous ne voulons pas, déclare-t-il, briser, mais bien transformer notre union avec le reste du Canada.” L’association est présentée comme une assurance contre la rupture et les turbulences.

La formulation ed la question du référendum de 80 est négociée par une équipe restreinte autour de René Lévesque. La proposition d’un deuxième référendum sur le résultat des négociations est introduite dans la question. Parizeau lui-même comme l’ensemble des députéEs du Parti québécois apprend cela au moment de la lecture de la question par le premier ministre à l’Assemblée nationale. Avec la question du référendum de 1980, nous rappelle S-P Savard-Tremblay, l’étapisme se décline désormais en 4 étapes : 1. élection du Parti québécois ; 2. premier référendum ; 3. la réélection ; 4 second et dernier référendums. Durant la campagne référendaire de 80, le marketing politique a supplanté la mobilisation politique des souverainistes. La défaite est importante et amère.

En octobre de la même année, la souveraineté est mise en veilleuse. Trudeau profite de la défaite référendaire pour frapper un grand coup. La constitution est rapatriée sans l’accord du Québec en 1982. Les défaites s’enchaînant, le Parti québécois continue à glisser vers une adaptation au fédéralisme canadien. La direction Lévesque appuie l’appel de Mulroney (rédigé par le conservateur Lucien Bouchard) à réintégrer le Québec dans la constitution canadienne dans « l’honneur et la dignité ». René Lévesque appuie la démarche de Mulroney. C’est le choix du beau risque qui débouchera sur la réduction de la souveraineté à une police d’assurance et qui provoquera une scission importante du PQ en novembre 84 qui touchera particulièrement le Conseil des ministres. Après la démission de René Lévesque, Pierre-Marc Jonhson prend la direction du PQ qui définit son objectif stratégique pour la période comme le renforcement de l’affirmation nationale. C’est un PQ qui a accumulé des défaites sur le terrain national et qui s’est attaqué à ses alliés syndicaux qui perd le pouvoir en 1985 aux mains de Robert Bourassa. Le PQ avait alors assumé une posture autonomiste et s’était avancé comme jamais dans la voie de l’administration provincialisante, selon la logique programmée dès 1974.

1980 et ses suites.

Le cadre du souverainisme provincialiste semble bel et bien installé. L’action gouvernementale du Parti québécois restera séparée de sa raison d’être. Une logique dialogique et bonne ententiste fondée sur l’idée qu’Ottawa serait prêt à négocier les termes d’une nouvelle association se développera malgré les démentis constants du réel. En effet, Ottawa n’en finit plus de renforcer une orientation centralisatrice et de chercher avec arrogance à écraser les aspirations nationales du Québec. Que l’auteur arrête là son histoire avec l’affirmation nationale et la défaite de 85, l’empêche de jauger les 30 ans qui ont suivi à la lumière de sa thèse sur le souverainisme provincial.

L’auteur ne revient pas réellement sur l’épisode de la reprise en mains du Parti québécois par Jacques Parizeau et la victoire de 94. La reprise en main du Parti québécois par Jacques Parizeau et la tenu d’un référendum sur la souveraineté a correspondu à cette conjoncture particulière, celle du rejet des accords du Lac Meech qui fut perçu par la population québécoise comme un rejet de tout compromis envers les revendications du Québec par le Canada anglais. Ce rejet a provoqué une radicalisation nationale et un renforcement du soutien à la souveraineté du Québec. Il ne dit pas un mot sur l’échec fédéraliste à apporter un changement quelconque à la Consitution canadienne en réponse aux revendications du Québec. Il ne dit rien sur la défaite fédéraliste qu’a constituée le NON au référendum de Charlettetown sur la réforme de la constitution canadienne en octobre 92.

La reprise du pouvoir par le PQ en 94 et référendum de 95 fut porté par cette radicalisation souverainiste. S.-M Savard Temblay ne revient pas sur les pressions du Bloc québécois dirigé par Bouchard et de l’Action démocratique du Québec pour limiter la question référendaire à une négociation d’un partenariat économique et politique avec le Canada. Ici encore, le potentiel transformateur que pourrait avoir la revendication d’indépendance a été rapetissé par les élites nationalistes.

La défaite de 95, et la venu du conservateur Lucien Bouchard à la direction du PQ va déboucher sur le retour à la logique du souverainisme provincial... Le “bon gouvernement de Bouchard” sera celui du déficit zéro, des coupures en éducation et en santé, des lois spéciales contre les infirmières, des reculs sur la défense de la langue française, ... et la remise aux calendes grecques d’un match revanche sur la question de la souveraineté. Après la démission de Lucien Bouchard, le gouvernement Landry continuera à mettre en pratique des politiques néolibérales qui favoriseront sa défaite en 2003. Depuis lors, sauf les quelques mois du gouvernement Marois, le PQ restera écartelé entre son objectif proclamé de vouloir réaliser la souveraineté et sa volonté de retourner le plus rapidement possible au pouvoir, au prix si nécessaire de présenter comme une entrave à cette perspective toute lutte concrète pour la souveraineté. En fait, le souverainisme de province a continué à sévir nourrissant le développement d’un parti invisible, le parti des abstentionnistes.

Un diagnostic aveugle sur ses fondements ne permet pas d’esquisser des perspectives nouvelles pour le mouvement indépendantiste

Mais son diagnostic de l’impasse du souverainisme de province reste trop superficiel pour qu’il puisse fonder une nouvelle orientation dans l’indépendance du Québec. Tout ce qu’il peut encore nous proposer comme perspective, c’est la mise en place de structures étatiques (ministère des Affaires internationales, mise en place d’un rapport d’impôt unique et d’un Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications. Mais ses propositions ne donnent aucune place à l’expression de la souveraineté populaire... Son diagnostic est intéressant et l’histoire du PQ qu’il esquisse illustre bien sa thèse.

Pour notre auteur, nul besoin de chercher, selon l’obsession moderniste, à se positionner sur l’axe idéologique et artificiel de la gauche et de la droite. Et pourtant, il écrit : les élites québécoises ont aujourd’hui démissionné de l’idée d’intérêt collectif. Une telle notion a tout simplement été déprogrammée et classée dans la catégorie honnie du “passéisme” [4]. Mais, il se refuse de tirer les leçons de cette incapacité structurelle des élites nationalistes à mener la lutte indépendantiste jusqu’au bout.

La bourgeoisie québécoise est une classe scindée. La vaste majorité de cette classe est fédéraliste et a manifesté dans toutes les grandes échéances (référendums de 80, de 92, de 95) un attachement conséquent au Canada. Les secteurs souverainistes de la classe dominante au Québec sont très minoritaires et reprennent à leur compte les grandes orientations néolibérales de la bourgeoisie internationale. Son nationalisme se réduit à la volonté pour le Québec de prendre sa place dans la mondialisation capitaliste.

Le gouvernement Marois a démontré qu’il était moins prêt que jamais à en découdre avec la bourgeoisie canadienne et son État. La politique du gouvernement Marois par rapport au libre-échange, sa collaboration au cours pétrolier du gouvernement Harper qu’a démontré son ouverture au passage des oléoducs du pétrole des sables bitumineux en territoire québécois, sa reprise du Plan Nord, ses politiques d’austérité ayant pour cible les plus démuniEs... montrent que ce n’est pas un bloc social dirigé par les élites nationalistes qui permettront de mener la lutte pour l’indépendance jusqu’au bout. Au contraire, ces élites nationalistes ont fait la preuve de leur indécision devant la nécessité d’une rupture claire avec le Canada à chaque échéance importante.

La relance de la lutte indépendantiste passera par la constitution d’un nouveau bloc de classes dirigé par la majorité populaire. Un tel bloc de classes saura lier la lutte indépendantiste, la lutte pour un projet de société égalitaire et la volonté donner le contrôle de tout le processus au peuple. Seule une telle orientation, qui fait toute sa place à la souveraineté populaire, permettra au peuple québécois de se mobiliser et d’arracher son indépendance.


[1Simon-Piere Savard-Tremblay, Le souverainisme de province, page 109

[2L’autre histoire de l’indépendance, Editions Trois-Pistoles, 2003

[3Le souverainisme de province, page 115

[4Le souverainisme de province, page 218

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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