Édition du 26 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Rôles des luttes étudiantes dans la remontée des mobilisations

Les Inaudibles de Bulgarie lèvent la voix

Le mouvement contestataire enclenché et maintenu sans relâche depuis 160 jours embrase la capitale de Bulgarie (lire Les inaudibles de Bulgarie : http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/250713/les-inaudibles-de-bulgarie). Après les étudiants, les syndicats rejoignent également le mouvement des insurgés. La Confédération des syndicats indépendants de Bulgarie (KNSB) vient de sonner l’appel pour une manifestation générale.

Sofia trouve la retentissante puissance des forces citoyennes unies. Les visages des mineurs et des ouvriers, des intellectuels et de la jeunesse universitaire se mêlent et défilent unanimes contre le gouvernement Orecharski, contre l’usurpation des pouvoirs politiques par la mafia et l’oligarchie. Ils rejettent les tentatives des partis politiques, de l’opposition comme ceux au pouvoir, d’exploiter leur révolte citoyenne à des fins électorales. Les manifestants se rassemblent pour une morale de la vie politique, pour une justice effective et pour une nouvelle loi électorale qui assurerait une meilleure représentativité parlementaire.

Révolte des étudiants – les Lèves tôt

Les étudiants du pays qui s’unissent sous le nom « Les Lèves-tôt » occupent les principales universités de Sofia et des grandes villes du pays.

Le mouvement des Lèves-tôt prend de l’ampleur en quelques semaines seulement et ceci malgré les intimidations policières exercées sur des jeunes. Leurs domiciles ont été visités par des policiers en civil, des renforts policiers ont été mobilisés, des agents de sécurité des quatre coins du pays ont été conduits d’urgence vers la capitale.

Le pouvoir politique actuel craint fortement le mouvement étudiant qui est ouvertement soutenu par les professeurs des universités et par la majorité de la population du pays. « Nous ne pouvons que leur adresser notre plus sincère soutien et profond respect. Nous sommes reconnaissants et fiers de cette jeunesse qui ne déserte pas et qui bat le pavé pour nous tous aujourd’hui ». Un grand nombre de professeurs des universités sont signataires de la lettre ouverte adressée au Premier Ministre. À l’initiative des Lèves tôt, des cours magistraux sur des thèmes comme la démocratie, la justice sociale et les enjeux politiques du pays et de l’Europe ont lieu à l’intérieur des facultés occupées. Ces cours et séminaires sont dispensés gracieusement par les professeurs et sont massivement suivis par les étudiants en mouvement.

Les manifestations pacifiques des étudiants et la solidarité autour de leur mouvement (plus de 70% de la population) ont poussé le chef du gouvernement à brandir publiquement des menaces de poursuites et de licenciements pour faute contre des fonctionnaires qui auraient participé à des manifestations. Le tollé contre cette intervention publique a été suivi du dépôt au bureau du Procureur Général d’une plainte contre l’actuel Premier Ministre pour agissements anticonstitutionnels et contraires à la loi pour la liberté d’expression et la liberté de manifester

Opinion sur ordre et financement des partis politiques

L’espoir du gouvernement que le mouvement contestataire s’essoufflerait durant les mois d’été a été vain et le premier ministre Orecharski a dû chercher des moyens de plus en plus douteux pour justifier son refus d’entendre l’appel de la population. Après ses menaces de poursuite contre des employés de la fonction publique, l’incohérence d’Orecharski a été de descendre lui-même dans la rue et de rejoindre une « contre-manifestation » orchestrée et ordonnée par lui-même. Il a défilé en soutien de lui-même avec une banderole « Oui au Gouvernement d’Orecharski »...

« Il a tenté de dresser des populations les unes contre les autres en suivant l’exemple de son homologue turc et en finançant des “ contre-manifestations ”. Il exploite la pauvreté et la misère dans certaines couches sociales et régions du pays », commente un jeune qui avait fait l’objet de pressions policières. Des cars entiers et des trains spécialement affrétés ont transporté samedi dernier quelques dizaines de milliers de personnes dont certaines ignoraient même pourquoi elles étaient ici. Lorsqu’on posait des questions à ces personnes, « pourquoi êtes-vous venus ici, qui soutenez- vous ? », les réponses ont été pour le moins étonnantes, « on doit soutenir le Gouvernement ; on nous a dit de venir ; on ne sait pas trop mais le maire du village nous a dit que c’était un voyage tout frais payés, nous, on n’a pas souvent l’occasion de venir dans la capitale... » Ces vieilles méthodes « d’opinion sur ordre » n’ont visiblement pas effrayé les organisateurs qui agissaient avec le feu vert du Gouvernement et avec un financement assuré par les trois partis politiques au pouvoir, Parti Socialiste et coalitions (KZB), Party des Minorités Turques (DPS) et le Parti Nationaliste (Ataka).

Le financement de ces opérations a posé la question de l’utilisation des fonds publics attribués aux partis politiques. Le contribuable bulgare exige le décompte exact du coût des transports et des éventuelles rémunérations perçues pour le déplacement de la population le 16 novembre dernier à Sofia. « Cette mascarade de manifestation avait pour but uniquement de nous dresser les uns contre les autres, de diviser le pays et de paralyser nos mouvements spontanés de révolte. »

Pourquoi en France l’écho de la révolte de Sofia ne trouve pas de résonances ?

Le Gouvernement d’Orecharski qui se maintient en place en ignorant ou en essayant de discréditer les protestations quotidiennes de la population ne devrait plus pouvoir bénéficier du silence de la part des médias européens. Ce silence vient d’être brisé et personne en Europe ne peut ignorer indéfiniment un mouvement d’étudiants européens. La BBC4 transmet en continu les événements de Sofia, la Deutsche Welle également, les réseaux sociaux fonctionnent de la même manière que pendant le printemps arabe. Au niveau du Parlement Européen, Daniel Cohn-Bendit a été le premier député européen à soutenir ouvertement la révolte des étudiants bulgares. Et pourtant en France les médias de grande écoute restent encore silencieux, rares sont les correspondants français sur place, rares sont les articles écrits. Est-ce que les Français ne s’y intéressent pas ? Est-ce qu’un mouvement pacifique qui se poursuit depuis plus de cinq mois et qui revendique une politique morale et un nouveau système électoral n’est pas un sujet assez intéressant pour des grands médias français ?

Cette question pourrait être adressée également aux responsables politiques. Le seul parti politique français qui a pris une position officielle pour les prochaines élections européennes est le FN. La seule consolation reste que Ataka, le parti d’extrême droite en coalition dans l’actuelle majorité élue et dont le leader Volen Siderov préside la commission parlementaire de lutte anticorruption, a essuyé le refus de Marine Le Pen de faire partie de l’alliance des partis nationalistes pour les prochaines élections européennes. Le motif évoqué par le vice-président en charge des recrutements et des manifestations, Louis Aliot, était que « Ataka ne correspond pas aux nouvelles aspirations de la charte de l’alliance des partis nationalistes »...

Ni l’UMP, et encore moins, le PS n’expriment leurs positions vis à vis de la profonde crise politique bulgare. Doit-on penser que leurs électeurs ne s’intéressent pas aux alliances qu’ils peuvent avoir dans le prochain parlement européen ?

La Bulgarie vit dans une démocratie qui ne représente plus les populations votantes. Ses revendications pour une refondation du système électoral et pour une plus large participation citoyenne dans l’exercice des mandats sont pourtant à l’ordre du jour des autres peuples européens. De même qu’en Bulgarie où les politiques des gouvernements se retrouvent avec un soutien d’une minorité de 15 à 20 % de la population, en France, on constate que la constitution de la Vème République permet de maintenir au pouvoir des dirigeants élus sur un programme et qui, une fois en poste, mènent de fait une toute autre politique.

D’un autre côté, la société bulgare souffre de grandes déchirures racistes contre les tziganes (lire Être rom en Bulgarie - 1) et plus récemment contre les réfugiés syriens. Pourtant elle a massivement soutenu la mobilisation des Français contre la montée des racismes. Cette position des bulgares passe aussi sous silence en France. La phrase de Christiane Taubira, « Le Racisme n’est pas une opinion, c’est un délit » a été brandie dans les rues de Sofia ce dimanche 17 novembre où la société civile, encore elle, a organisé une marche solidaire contre le racisme.

Les gens refusent que la haine, la xénophobie et le racisme deviennent les seules solutions contre la défaillance d’un système avec des structures institutionnelles et électorales obsolètes. Entre les personnes dans les rues de Sofia et les personnes qui défilent à Paris il y a peut-être plus de proximité qu’à n’importe quelle autre époque. Que demandent les Bulgares aujourd’hui ? Ils demandent que les hommes et les femmes politiques représentent les aspirations fondamentales de nos vies et que les médias informent librement, en restant fidèles à la réalité. Est-ce une demande qui doit rester inaudible ? Est-elle si étrangère pour les Français aujourd’hui ?

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