Mon propos est évidemment polémiste. Je n’ai pas du tout un point de vue journalistique, je présente un des deux points de vue, mais je vais tenter de vous situer aussi le point de vue inverse pour vous permettre de comprendre la nature du débat en question.
D’un côté, des membres de coopératives d’habitation dites d’accès à la propriété souhaitent, comme membre de leur fédération régionale, être mieux représenté par celle-ci et c’est là le débat. Notez bien que le débat ne se situe pas sur la pertinence de l’existence de ce type de coopérative d’habitation mais sur la représentation, et les engagements financiers conséquents, quelle souhaite obtenir de la part de leur fédération, en région, et à la Confédération d’un point de vue national. C’est ça qui fait débat. Nos fédérations ont le monopole de la représentation sur leur territoire des coopératives d’habitation, si schisme il y a, c’est ce monopole de représentation qui pourrait certainement être mis en cause. Alors, d’un côté se retrouvent les membres investisseurs en coop dite d’accès à la propriété, où en adhérant à ce type de coop on achète son appartement.
C’est comme des condos !
Justement non, on parle de coop d’habitation. Très grossièrement ce type de coop existe et elle a comme mission de permettre à ces membres d’accéder à la propriété. Ce qui veut dire que ce-s coop-s, dans la Capitale nationale et Chaudière Appalaches on parle d’une sur 200, et à Montréal il n’y en a aucune. Ces coops donc, n’ont pas de convention de signer avec la Société d’habitation du Québec (SHQ) pour offrir du logement social. Il n’est donc pas question ici de logement social, mais d’accès à la propriété. Dans ce type particulier de coopérative les membres y investissent en achetant leur logement et quand ils quittent la coop ils peuvent le revendre et avoir droit à une partie de la plus value potentielle. C’est là une façon de profiter d’efforts collectifs pour apprendre et devenir propriétaire immobilier… Si tout ça se faisait sans apport de fonds publics cela soulèverait moins de question, mais ce n’est pas le cas. Ces promoteurs souhaitent créer un fond, l’apport de fonds publics n’y étant pas exclu, pour démarrer ces coops. Nous croyons que cela va à l’encontre des revendications qui ont mené à la création des coops constituées pour offrir du logement social. Et ce sont la très large majorité des membres de nos fédérations.
Cet autre type de coop est beaucoup plus connu et répandu. Il est celui où une partie des membres, le maximum étant de 50%, bénéficient d’un logement subventionné. Une partie des membres paient alors en fonction de leur revenu. Comme ceux-ci signent des baux, avec leur coop, au même prix que les autres membres, la différence entre leur capacité de payer et le prix que reçoit la coop est assumé par le gouvernement suivant une convention signée avec la SHQ. Sous différents programmes, ces fonds sont gérés par les Offices municipaux d’habitation. Ce qui permet au gouvernement d’offrir du logement social sans avoir à encourir de frais de gestion des édifices.
C’est comme un HLM !
Justement non, on est en coop. D’abord la très grande majorité de ces coops d’habitation ont été mises sur pied suite à une longue bataille de citoyens qui ont décidé de mettre en commun leurs ressources et énergie pour mieux se loger. Notez que pour le gouvernement (les villes contribuent aussi un peu et depuis la dernière ronde de fusion elles en ont l’obligation dans leurs chartes), ceux-ci sont tenus de par les chartes des droits d’offrir à leurs citoyens un logement décent. Le gouvernement profite alors du fait que ces coops sont gérées bénévolement par leurs membres et ainsi coutent beaucoup moins cher en fonds publics que de construire des HLM et d’en assurer l’entière gestion. Lors de la création d’une coop le gouvernement finance une partie des coûts de construction ou de rénovation et les membres de la coop paient le reste en assumant d’importantes hypothèques. Ceux-ci assument eux-mêmes toute l’administration et sont contraint, selon des règles de leur convention avec la SHQ, de constituer un fond dit de Réserve de remplacement ce qui leur permet d’assumer eux-mêmes les coûts des rénovations éventuelles.
Voilà pour certaines considérations générales. Maintenant, je n’ai appris l’existence de ce débat seulement quand j’ai participé, représentant ma coop, à l’Assemblée générale annuelle de ma fédération, ici dans la Capitale nationale c’est la FÉCHAQC ou Fédération des coopératives d’habitation de Québec et Chaudière-Appalaches.
Lors de cette assemblée générale, le 26 janvier dernier, au moment d’adopter son plan d’action pour trois ans, le débat c’est fait sur un amendement. La proposition mise sur la table disait, je résume dans mes mots. « Nous devons nous ouvrir à la diversité des types de coopératives, c’est merveilleux, allons-y J. Sauf que, une personne se place au micro pour formuler un amendement à la proposition. En fait, je n-ai pas le libellé exact mais le projet d-amendement modifiait une phrase introductive pour y ajouter quelque chose comme nous continuerons d’étudier la question avant de s’aventurer dans cette ouverture à la diversité. L’amendement a été retenu et la proposition amendée a été adoptée sur division. 14 pour 12 contre, on l’a échappé belle. Je ne sais toujours pas, après la tenue de l’AGA de la Confédération québécoise des coopératives d’habitation (CQCH) comment a voté la délégation de la FECHAQC, qui, selon moi a dû être déterminant. Les droits de votes à la CQCH ne sont pas simples à comprendre.
Je vous ai dit précédemment que j’avais été mis au fait de ce débat à l’Assemblée générale annuelle de ma fédération. Depuis je me suis beaucoup informé sur les tenants et aboutissants de ce débat.
Tous les membres des coops au Québec reçoivent régulièrement le magazine publié par la CQCH L’Écho-hop et c’est là que j’ai trouvé le point de vue de la FÉCHIMM sur cette question. Celle-ci est la Fédération des coops de Montréal Laval et Laurentides. Cette fédé regroupe presque 50% de toutes les coops du Québec. En Assemblée générale annuelle en avril 2012 ils ont adopté une résolution unanime dont voici quelques extraits :
NOS DEMANDES À LA CQCH
La FECHIMM met en commun avec le réseau qu’est la CQCH une partie significative de ses ressources pour accroître la force collective du mouvement, pour le promouvoir, le développer et offrir à ses membres des services de qualité. La CQCH elle-même a des ressources très limitées.
Voilà déjà quelques années que ces ressources collectives sont investies dans cette initiative pour le développement de coopératives favorisant l’accès à la propriété qui est loin de faire l’unanimité dans le mouvement. Le Conseil d’administration de la FECHIMM, s’appuyant sur les résolutions de son Assemblée générale annuelle, demande à la CQCH :
– De cesser tout investissement humain ou matériel dans cette formule coopérative favorisant l’accès à la propriété ;
– De respecter la représentativité de la FECHIMM et les décisions prises par ses instances ;
– De renoncer à promouvoir tout nouveau modèle de coopérative d’habitation qui incorporerait à ses objectifs l’accès à la propriété et qui ferait appel à des fonds publics pour ce faire ;
– De s’opposer à tout nouveau modèle de coopérative d’habitation qui aurait pour conséquence de permettre à l’État de se départir d’une ou de plusieurs de ses missions fondamentales ;
– De promouvoir un modèle de coopérative d’habitation dont le contrôle est d’abord et de façon nettement prépondérante entre les mains des membres qui y résident ;
– De promouvoir de nouveaux modèles qui intègrent la mixité sociale au sein des coopératives d’habitation ;
– D’explorer les nouveaux modèles qui respectent ces principes et d’organiser un débat structuré au sein du mouvement autour de cette réflexion.
C’est là que j’ai constaté que notre résolution adoptée sur division ne faisait pas de nous des intégristes extrêmes. Ce point de vue est vraiment plus radical si on compare à « continuer d’étudier la question » à « Renoncer à promouvoir, cesser tout investissement humain ou matériel »
Quand je parle de schisme, deux des principaux membres du CA de la FÉCHIMM, m’ont dit : si on allait de l’avant avec ce projet lors de l’assemblée d’en fin de semaine, la FÉCHIMM quitterait la confédération…
Ici à Québec particulièrement nous sommes plusieurs coops qui résultent de combat épique, pensez à l’escalier sur René Lévesque, en face du Ministère des affaires internationales par exemple. Nous sommes donc plusieurs membres de coop dans la région à croire que notre fédé régional n’est pas suffisamment militante et ne représente que mollement les coops qui offrent du logement social. La direction et le personnel préfèrent fonctionner par un lobby bien entretenu et profiter des programmes de développement des logements sociaux existants et de travailler à leur maintient, sans plus.
Il y a eu par exemple, ici à Québec, le 11 mai, une manif nationale organiser par des militants pour du logement social, autour du Frapru. Pour bien du monde à la FÉCHAQC le Frapru ce sont des radicaux des extrémistes etc. Il y a là un fossé, qui n’est pas rempli d’eau mais dont les deux rives sont très distantes.
Je pose la question : où en seraient les programmes de développement de logements sociaux si le Frapru n’était pas là, il n’y en aurait que très peu et nos coops seraient en nombre beaucoup plus limité. Les programmes de développement des logements sociaux sont même inscrits dans les chartes des grandes villes depuis les dernières fusions, ce qui n’était pas le cas de plusieurs avant les fusions en question. Ces programmes gouvernementaux sont le fruit de batailles citoyennes.
Au moment de la création de logement s sociaux, la réalisation technique c’est une chose mais de militer pour que ces programmes gouvernementaux existent s’en est une autre. Ce que cela veut dire c’est qu’autant dans les villes qu’au gouvernement du Québec, c’est la même chose pour Ottawa, il faut que ce type de projet soit inscrit dans les programmes des partis politiques. Ensuite, il faut que cet élément soit retenu dans les plateformes électorales. Ça c’est ce qu’on retient du programme du parti pour se lancer en campagne électorale. Ensuite, durant la campagne, il faut au moins que le leader ou un lieutenant en vue dans le parti qui gagnera, en parle. Ensuite encore, il faut qu’une fois élu les dirigeants respectent leur programme. Voyez-vous comment on arrive à faire en sorte que la société civile fasse valoir son point de vue. Le travail de lobby feutré, ne suffit pas, il faut aller sur le terrain politique.
Il existe d’autres stratégies pour obtenir les faveurs d’un gouvernement. Prenez par exemple, il y a moins d’un siècle, le Parti libéral du Québec avec son nouveau chef Jean Charest qui affirme en campagne électorale « on va baisser les impôts ». Je vous laisse entre les mains de Madame la juge Charbonneau pour savoir quel moyen on utilisé les promoteurs de cette idée pour mettre ces mots dans la bouche de leur « poulain ».
Combien ces quelques mots ont couté, coutent et continueront de couter aux contribuables québécois, c’est environ 10 milliards par an, récurant. À côté de ça le coût des logements sociaux au Québec c’est du menu fretin.
En quelques mots
Le résumé est très simple, de façon un peu caricaturale, il y a des promoteurs de l’ouverture à la différence comme membre de nos fédérations régionales des coops d’habitation.
— - C’est-y beau comme formule s’ouvrir à la différence, on croirait entendre un économiste de l’Institut économique de Montréal.
— - Voyez-vous la perspective de quelques uns qui visent à s’enrichir personnellement et individuellement et qui surtout souhaitent se servir du réseau des fédérations des coops et de leur confédération mis en place par des militants qui se battent depuis des années pour voir se développer du logement social, tout ça pour concentrer dans leurs poches personnelles des compétences et des richesses…
Tandis qu’au même moment les promoteurs du développement du logement social créent des coops justement pour exclure de la spéculation foncière ces quelques logements pour permettre à des gens qui le souhaitent de construire collectivement en mettant des ressources et de l’énergie en commun pour beaucoup moins cher que des HLM, parce que c’est gérer bénévolement et que personne ne prend ses dividendes d’actionnaire à la fin de l’année.
L’AGA de la Confédération québécoise des coopératives d’habitation
Les suites de cette assemblée générale annuelle n’a pas encore fait éclore tous ces œufs…
Voici quelques éléments de résolutions adoptées à partir du communiqué, affiché sur le site de la CQCH, par son responsable des communications, une dizaine de jours après la fin de l’assemblée où on participé 44 délégués membres des six fédérations régionales de la CQCH.
La proposition visant à ce que la CQCH s’oppose à tout nouveau modèle de coopérative d’habitation qui incorporerait à ses objectifs l’accès à la propriété privée et qui s’éloignerait de sa mission première en habitation, qui ne serait pas d’abord centrée sur l’atteinte de cet objectif et qui aurait pour conséquence de permettre à l’État de se départir d’une ou de plusieurs de ses missions fondamentales, a été rejetée à la majorité.
La proposition visant à ce que la CQCH pilote la création d’une fondation pour l’acquisition de terrains dans le but d’en faire des coopératives d’usufruitier sans utiliser des fonds destinés aux ménages à revenu faible ou modeste, à ce que la CQCH soutienne les fédérations qui veulent développer cette formule par un appui technique et financier sans que cela nuise à la réalisation des autres mandats prioritaires qui lui sont confiés par ses membres, notamment le suivi des fins de conventions ainsi que le maintien et le développement de logements destinés aux ménages à revenu faible ou modeste, a été adoptée à la majorité.
Notez l’auto justification sans utiliser des fonds destinés aux ménages à revenu faible ou modeste, et sans que cela nuise à la réalisation des autres mandats prioritaires qui lui sont confiés par ses membres, notamment le suivi des fins de conventions ainsi que le maintien et le développement de logements destinés aux ménages à revenu faible ou modeste.
Pourquoi croyez-vous que les promoteurs de ce projet, qui conduira inévitablement à une remise en question de la mission même de nos coops, ont-ils cru bon de tenter de désamorcer sa remise en question ? Le reste de l’histoire n’est pas encore vécue, encore moins écrite.
Renaud Blais
Président, Un toit à toi