Édition du 6 mai 2025

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États-Unis

Les discours du président Obama à Cuba : un vernis démocratique qui prépare l'invasion capitaliste américaine de l'île.

Le discours du Président Obama à la Havane est censé constituer le point fort du voyage d’un Président américain à Cuba en 88 ans. Il a été télédiffusé au réseau national même s’il a été un peu occulté par les attentats terroristes à Bruxelles, rançon d’une décennie d’interventions impérialistes américaines au Proche-Orient.

Bill Van Auken, countercurrents.org, 23 mars 2016 | Traduction : Alexandra Cyr.

Les réseaux de télévision américains ont mis fin à la diffusion, sans explication, et ce, pour rendre compte de ce qui se passait en Belgique. Les critiques républicains-es se demandaient pourquoi le Président demeurait à l’étranger et ne revenait pas dare-dare à Washington pour diriger la « guerre au terrorisme ».
Après son discours, M. Obama a rencontré un certain nombre de « dissidents-es » à l’ambassade américaine. La plupart de ces personnes reçoivent des fonds du National Endowment for Democracy et de l’Agency for International Development pour leurs activités. Finalement, il s’est ensuite dirigé avec sa famille vers le stade de baseball pour assister à une joute entre l’équipe nationale de Cuba et les Rays de Tampa Bay. Il a encore une fois été critiqué par la droite américaine pour avoir choisi cette activité, alors que l’Europe était victimes d’attaques terroristes.

Pourtant, il n’y avait rien d’anodin dans ce choix. Tel qu’il apparaît dans le discours du Président, Washington veut accumuler des points en développant des liens culturels avec Cuba tout en profitant de la proximité géographique pour renforcer les liens entre les exilés-es de l’île vivant aux États-Unis et leurs proches restés-es au pays. Il cherche ainsi à donner à l’impérialisme américain l’avancée dont il a besoin dans la rivalité qui l’oppose à la Chine et à la Russie pour dominer économiquement et politiquement à Cuba.

La veille du discours du Président aux Cubains-es à la télévision, des représentants-es de la Maison Blanche ont tenu une brève conférence de presse devant des dirigeants-es d’entreprises. Les prétentions d’intérêt pour les droits humains de l’administration sont pratiquement passés sous silence, l’intérêt réel portant sur les inquiétudes pressantes de ces capitalistes américains-es. Le porte-parole et conseiller de la sécurité nationale, M. Ben Rhodes, a révélé aux médias que c’était le statut du dollar américain à Cuba et les droits non garantis des entreprises dans ce pays qui préoccupaient le plus l’auditoire : "(Les autorités cubaines) ont fait un pas en avant en s’engageant à retirer les pénalités pesant sur la conversion du dollar américain. C’était une de nos priorités. Autrement, les entreprises américaines auraient dû passer à l’Euro ou à d’autres monnaies. Les deux plus importants sujets de négociation à long terme sont l’unification de nos monnaies et l’enjeu de l’embauche directe ».

Les États-Unis font pression pour la fin des deux monnaies concurrentes à Cuba. Les travailleurs-euses de l’île sont payés-es en pesos cubains et ce peso vaut 1/25e du peso convertible qui est l’équivalent d’un dollar américain. Ce peso est accessible aux couches privilégiées et à ceux et celles qui travaillent dans le secteur du tourisme ou dans des entreprises étrangères. Le passage à une monnaie unifiée veut dire la dévaluation et l’effondrement des entreprises d’État et cette situation créerait un vaste espace pour le capital étranger et produirait une « thérapie de choc » semblable à celle que s’est produite en Europe de l’Est à la fin de l’Union soviétique.
Les plus grandes entreprises américaines veulent mettre fin au rôle d’intermédiaire que joue le gouvernement Castro auprès de la main-d’œuvre. Elles veulent implanter un « marché libre » de l’emploi pour exploiter les travailleurs-euses de Cuba et consolider leur domination capitaliste sur ce secteur.

Devant un auditoire choisi au Teatro National de la Havane, les 38 minutes du discours de M. Obama semblaient interminables. Il était farci de banalités, de quelques phrases en espagnol, d’anecdotes usées et de mensonges sentencieux à propos des gloires du capitalisme américain et de la « démocratie du dollar ». M. Obama a rapidement décliné toute responsabilité dans la longue histoire des agressions américaines envers Cuba, s’en est lavé les mains :« Avant 1959, a-t-il déclaré, certains américains voyaient Cuba comme une occasion d’exploitation, ignoraient sa pauvreté, passaient par-dessus la corruption. Depuis ce temps, nous nous sommes opposés dans la bataille géopolitique et autour de personnalités. Je connais cette histoire mais je refuse d’y rester enfermé ».

Grand bien lui fasse ! Mais c’était Cuba qui recevait les coups incessants des administrations américaines, de la CIA et du Pentagone pour renverser le gouvernement cubain et pour assassiner ses dirigeants-es. Cuba a été l’objet de la tentative d’invasion avortée de la CIA à la Baie des Cochons en 1961. L’île a aussi connu d’innombrables actes de terrorisme conçus aux États-Unis, et ce, depuis l’attaque du vol 455 de Cubana de Aviacion en 1976 faisant 78 morts, jusqu’au bombardement de divers restaurants et hôtels en 1990.

M. Obama parle comme si l’habitude de Washington d’utiliser la violence armée pour imposer des changements de régime était une politique reléguée aux livres d’histoire. Comme ceux et celles qui ont vu « Cuba comme une occasion à exploiter », qu’est-ce que la petite armée de personnes d’affaires américaines qui accompagnaient M. Obama a dans la tête : faire des dons de charité ?

Au début de son plaidoyer en faveur des « droits humains », M. Obama a cité le leader cubain de l’indépendance, Jose Marti : « La liberté est le droit de tous et chacun d’être honnête, de penser et parler sans hypocrisie ». Si c’est vrai, le Président Obama aurait dû faire une plus grande place à la liberté et se taire depuis longtemps. Il est allé jusqu’à énumérer ses soi-disant croyances : « Des croyances américaines qui sont universelles. Chaque enfant mérite la dignité que lui confère l’éducation, les soins médicaux, de la nourriture sur la table et un toit au-dessus de sa tête ». Il est le Président d’un pays où presqu’un-e enfant sur trois vit dans la pauvreté, où 48 millions de personnes se battent pour manger et qui est bon dernier aux palmarès des pays dits développés en ce qui concerne l’éducation préscolaire.

Et il continue : « Je crois que tous les citoyens-nes devraient avoir la liberté d’exprimer leurs pensées sans avoir peur, de pouvoir s’organiser et de critiquer leur gouvernement ». Allez dire ça à Edward Snowdon ou à Chelsea Manning et d’autres qui ont voulu rendre publics des crimes de guerre et l’espionnage systématique du gouvernement américain (sur les populations) et qui ont subi la persécution, l’emprisonnement ou l’obligation de vivre en exil.

Il a aussi exprimé sa conviction que : « le droit ne devrait pas comporter la détention arbitraire », quelques jours seulement après avoir rejeté cavalièrement l’exigence de Cuba quant à la rétrocession du territoire de la base navale de la baie de Guantanamo où le gouvernement américain a emprisonné et torturé des centaines de personnes qui n’ont jamais été formellement accusées, encore moins jugées par une cour officielle.

Il a aussi fait état des « énormes problèmes dans notre société », ajoutant immédiatement que la démocratie était le cadre dans lequel : «  Nous nous attaquons aux inégalités qui font que la richesse est concentrée au sommet de notre société » La « démocratie » est si efficace que 95 % de tous les gains de revenus au cours de la présidence de M. Obama sont allés au 1 % des plus riches.

Le Président cubain, M. Raoul Castro, a assisté à ce discours depuis les balcons du Teatro Nacional. Il a poliment applaudi. Granma, quotidien du Parti au pouvoir à Cuba, l’a relaté sans commentaires.

M. Obama a quitté la Havane mardi après-midi pour l’Argentine dans le but d’y rencontrer son nouveau président de droite, M. Mauricio Macri.

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