Édition du 3 décembre 2024

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Asie/Proche-Orient

Liban. Villages rasés et patrimoine menacé par Israël

La destruction d’une partie du patrimoine libanais suite aux bombardements israéliens intensifs mettent en alerte différents acteurs politiques et associatifs du pays.

Tiré d’Orient XXI.

Lundi 18 novembre 2024, le comité spécial de l’Unesco (l’agence des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture) chargé de la protection des biens culturels en cas de conflit armé s’est réuni en urgence à la demande de Beyrouth pour décider de placer 34 sites du patrimoine libanais sous « protection renforcée ». Une initiative bienvenue, mais qui laisse encore sceptique beaucoup d’acteurs de la société civile et d’archéologues.

« Tout dépend de l’ampleur que va prendre cette décision et de ses mécanismes d’application », relativise Charles Al-Hayek, chercheur en histoire basé à Beyrouth. Ce dernier a créé en 2020 la page Heritage and roots (Héritage et racines) sur les réseaux sociaux ainsi qu’une chaine Youtube pour parler d’histoire libanaise et de patrimoine (architectural, gastronomique, etc.). Depuis le début des bombardements israéliens, il tente de relayer les appels à l’aide pour protéger plusieurs sites archéologiques.

La décision de l’Unesco de mettre sous protection renforcée 34 sites se base sur la convention de la Haye de 1954 pour la protection du patrimoine en cas de conflit, notamment avec la création « au sein des forces armées des unités spéciales chargées de la protection des biens culturels ». La prise pour cible de sites protégés par l’Unesco peut constituer un crime de guerre selon la Cour pénale internationale. Le critère pour choisir les lieux à protéger est fait en fonction de « leur plus haute valeur pour l’humanité », explique sur France culture le chercheur au CNRS Vincent Negri, et auteur du livre Le patrimoine culturel, cible des conflits armés. Il estime que la décision de l’Unesco doit surtout envoyer un « signal fort » aux forces armées israéliennes dans un premier temps.

Des palis, et des oliviers centenaires

Plus de 300 universitaires et professionnels du monde de la culture avaient aussi signé une pétition le 17 novembre 2024 pour demander à garantir la protection du patrimoine libanais. Une centaine de députés libanais avaient aussi alerté début novembre sur les destructions, et réclamé à l’Unesco de protéger les sites. « Ce qui est sûr, c’est qu’au moins une trentaine de villages ont été détruits » dans le Sud Liban, rappelle Charles Al-Hayek.

En plus des trois sites libanais — Tyr, Baalbek et Anjar — classés au patrimoine mondial et directement menacés, le sud du pays, bombardé depuis le 8 octobre 2023, compte pléthore de villages avec des églises, des mosquées et des souks datant de la période des croisades et ottomane.

Depuis le début des bombardements israéliens, plus de 3 480 personnes ont été tuées et plus de 880 000 ont été déplacées à l’intérieur du pays, selon les chiffres de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Face au drame humain, le patrimoine tangible et intangible est souvent mis de côté, « mais il ne doit pas être oublié, car pour les Libanais, c’est une partie de leur identité », explique Sarkis Khoury, directeur général des Antiquités au sein du ministère de la culture libanais. Il a été chargé avec son département d’élaborer la liste des sites menacés, soumise ensuite à l’Unesco. On y trouve notamment les forteresses de Tebnine et Beaufort (XIIe et XIIIe siècles), le palais Beiteddine (XIXe siècle) et le musée national de Beyrouth, en plus de sites déjà classés au patrimoine mondial de l’UNESCO.

« Pour l’instant, nous documentons et recensons les destructions et les dommages. Ce sera ensuite au gouvernement libanais de décider s’il dépose plainte auprès de la Cour pénale internationale », explique Mostafa Adib, ambassadeur du Liban à l’Unesco et à Berlin.

Sarkis Khoury ajoute :

Nous recevons beaucoup d’informations alarmantes du terrain de la part des gardiens des sites et de nos agents sur place. Lorsque vous détruisez un village, ce sont aussi les oliviers centenaires, les vignes ancestrales, les anciens pressoirs qui disparaissent, cela aussi fait partie du patrimoine libanais.

Tout en alertant sur ce risque de « déracinement identitaire », il rappelle que le patrimoine libanais s’est souvent construit sur la « stratification de chaque civilisation sur l’autre », « et là on se retrouve face à une destruction totale, comme si notre histoire n’existait plus ».

Résister aux séismes, mais pas à l’artillerie israélienne

Autre difficulté, l’impossibilité de réaliser une réelle évaluation de l’ampleur des dégâts, plusieurs sites se trouvant dans des zones sinistrées et inaccessibles. « Normalement on doit pouvoir faire voler des drones et envoyer des experts pour ce genre d’évaluation, tout est compliqué actuellement », confirme Sarkis Khoury. Outre les sites classés et le marché couvert de Nabatiyé (début XXe) détruit mi-octobre par l’aviation israélienne, les historiens et archéologues craignent aussi pour les sites archéologiques romains de Tyr et de Baalbek. Celui-ci a été ébranlé par les tirs de roquettes lancées depuis le 6 novembre 2024 à 500 mètres de son emplacement. Selon l’ambassadeur du Liban à l’Unesco, Mostafa Adib, un mur à proximité de la citadelle de Baalbek a été touché et un bâtiment de l’époque ottomane (années 1920) a été entièrement détruit.

« Ces sites ont été construits par des Romains pour faire face à des tremblements de terre et autres, ils ont survécu aux aléas du temps, mais ils ne sont pas conçus pour faire face à l’équipement militaire israélien », s’inquiète Charles Al-Hayek. Le château de Chamaa (XIIe siècle) à une centaine de kilomètres de Beyrouth, qui fait l’objet d’une restauration avec un soutien italien depuis 2021, a été provisoirement occupé par l’armée israélienne mi-novembre : « Pour l’instant, nous ne savons pas si le site a été endommagé ou pas », précise Charles Al-Hayek. La forteresse de Beaufort, qui a déjà servi de base militaire à l’armée israélienne pendant dix-huit ans lors de l’occupation du Liban-Sud (1982-2000), est de nouveau menacée. La mosquée ottomane de Kfar Tebnit (fin XIXe) à proximité de Nabatiyé a été également détruite. L’unique site datant de l’époque omeyyade (VIe – VIIe siècles), situé à Anjar dans la vallée de la Bekaa, est aussi en danger selon l’ambassadeur du Liban à l’Unesco Mostafa Adib.

Maroun Khreich, maître de conférences en histoire, langues anciennes et patrimoine à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth rappelle :

Il y a aussi des sites méconnus comme ceux de Qatmoun à Rmeich (déjà bombardé en 2006 par Israël), le centre du village Alma dont l’architecture vernaculaire est centenaire, le marché couvert de Bint Jbeil, les sites de la région de Wadi-Zebqin et Rob El Tatlin qui ont été détruits.

Il estime que la décision de l’Unesco est importante mais tardive. Icomos, une ONG qui se consacre à la protection et la conservation des sites patrimoniaux, avait lancé l’alerte depuis le 17 octobre sur le sort des sites archéologiques au Liban. « Malheureusement il y a eu un silence assourdissant sur les événements, aussi bien au niveau des pertes humaines que sur le patrimoine », déplore l’universitaire.

Alors que l’attente d’un cessez-le-feu est toujours au cœur des discussions politiques et diplomatiques, Charles Al-Hayek pense déjà à l’après :

Nous avons besoin de ne pas oublier notre patrimoine, car c’est ce qui motivera ensuite la reconstruction et le lien social face à ce nouveau traumatisme. Préserver l’histoire de ces sites et la publier a une double fonction : rappeler que nous faisons partie de l’histoire mondiale, car beaucoup semblent l’oublier, et aider aussi les communautés sinistrées qui auront besoin de ce travail mémoriel pour tisser un lien social lors de la reconstruction.

Malgré cette détermination, d’autres problèmes ont été soulevés par les chercheurs. Le risque de pillage de certains sites dans les zones sinistrées comme c’est souvent le cas lorsque le patrimoine se retrouve au centre des conflits armés.

La question de la mise à l’abri des collections dans le cas du musée de Beyrouth ou celui de Sursock (musée d’art moderne qui porte le nom de son fondateur Nicolas Ibrahim Sursock) a été aussi soulevée. Ces problématiques ont des airs de déjà-vu pour le Liban, bien que le contexte soit radicalement différent. Pendant la guerre civile de 1975 à 1990, les œuvres du Musée national de Beyrouth avaient été, dans les années 1980, déplacées au sous-sol et emmurées, pour être protégées. Des coffres en béton armé avaient été disposés autour des œuvres les plus imposantes afin de les protéger. Des archéologues avaient également enfoui des vestiges retrouvés à Tyr et près de 600 pièces issues des fouilles avaient été transportées du dépôt de Tyr à celui Byblos. Aujourd’hui, les bombardements massifs israéliens et l’artillerie lourde utilisée génère des dégâts beaucoup difficiles à évaluer ou anticiper. Mostafa Adib précise toutefois que la décision de protéger les 34 sites libanais a été accompagnée du déblocage d’un fond d’urgence de 80 000 dollars (76 360 euros) « dont une partie pourrait être utilisée pour déplacer et protéger certaines œuvres, mais seulement dans les sites auxquels nous pouvons accéder actuellement », précise-t-il.

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