Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Lutte contre l'austérité : faire preuve de solidarité et de créativité

Un affrontement majeur est en cours au Québec sur le thème de l’austérité. Suite aux mesures annoncées par le gouvernement Couillard une partie significative de la population s’insurge et se mobilise avec comme fer de lance le mouvement syndical.

Nous avons devant nous des mois sinon des années de confrontation. Notre cher premier-ministre et pour certaines encore notre bon docteur Couillard a semble t’-il comme lecture de chevet The Fourth revolution, un livre prônant dans la foulée des Tatcher et Reagan de ce monde le rétrécissement de l’état qui serait réduit à une peau de chagrin en faveur du privé. Nous sommes donc impliqués dans un conflit avant tout de nature idéologique avec des répercussions désastreuses sur les plan humain et environnemental, social, économique et politique. Des pans entiers de ce que nous avons construit collectivement au Québec depuis des décennies risque d’être réduit en poussière en un rien de temps par les amateurs de scie tronçonneuse que son les médecins spécialistes et le banquiers au pouvoir actuellement à Québec. Alors que les programmes d’austérité tout azimut sont maintenant considérés comme contre-productifs sur le plan économique par plusieurs économistes même de droite à l’échelle internationale, notre nouveau gouvernement nous entraîne droit dans le mur.

Pour que cette période de confrontation par ailleurs nécessaire, de la friction jaillit la lumière dit-on, ne devienne pas strictement stérile et sans fin et qu’elle soit également profitable pour le bien commun il nous faut dès maintenant se donner des perspectives. Si l’on ne s’entend pas pour le moment sur toutes les solutions je pense que l’on peut dire qu’il y a un assez large consensus sur la nécessité d’équilibrer à moyen terme les revenus et les dépenses en ce qui concerne les dépenses publiques et de réduire la dette. Il faut cependant garder en tête que l’état peut aller chercher de nouveaux revenus ( impôt des entreprises et des plus riches, abris et paradis fiscaux, taxe sur le capital etc. ) et réévaluer ce qui serait le paiement d’une dette raisonnable et préciser à qui nous devons cet argent.

Deux facteurs seront entre autres déterminants pour l’issue de cette bataille, soient la solidarité et la créativité dont sauront faire preuve les gens mobilisés. La stratégie du gouvernement étant de tenter de diviser la population et d’isoler les opposants(es) il nous faut répondre par le développement d’une solidarité la plus grande et la plus inclusive possible pour renverses la vapeur, isoler ce même gouvernement et obtenir son départ le plus vite possible en imposant la tenue d’élections anticipées. Pour ce faire il faut créer des liens entre toutes les couches de la population et les revendications formulées se doivent également d’inclure toutes les couches de la population. Les gens de la classe moyenne qui travaillent dans le secteur privé, les gens qui ont un travail autonome doivent s’y retrouver. Les gens qui ont un statut précaire et les plus démunis doivent également y trouver leur compte. Même chose pour les différentes générations. C’est à cette seule condition que nous pourrons préserver le lien social qui nous unit et d’éviter la recherche stricte de solutions individuelles en fonction de la seule capacité de payer de chacun.

Pour ce qui est des services de garde une revendication comme l’universalité et la gratuité de ces services de base est un exemple où l’on peut réunir tout le monde autour de revendications communes. Si je prends par exemple la question des pensions de retraite, les revendications doivent inclure le respect de la négociation des fonds de pension des employés(es) municipaux mais également une hausse des prestations du Régime des rentes pour l’ensemble des travailleurs(euses) et de la Pension de vieillesse.

Si je prends comme autre exemple le transport en commun, les revendications se doivent d’inclure des conditions de travail décentes pour les travailleurs(euses) mais également un gel des tarifs des sociétés de transport et une baisse de ce mêmes tarifs pour les plus démunis(es) qui ne sont plus en mesure de se payer l’autobus ou le métro. Pour ce qui est des grandes revendications véhiculées par le front commun contre l’austérité les organisations syndicales se doivent de soutenir un financement adéquat pour les organismes communautaires et tous doivent porter ensemble ces revendications à Québec. C’est ainsi que nous pourrons unir les gens.

Pour ce qui est des salaires, la revendication d’une juste hausse pour l’ensemble des travailleurs(euses) du secteur public doit s’accompagner de la revendication d’une hausse des revenus pour les plus démunis(es) ( aide sociale, assurance emploi etc. ). Pourquoi faire du mur à mur dans les revendications salariales ? Pourquoi les salaires les plus bas dans le secteur public n’augmenteraient-ils pas plus rapidement que les salaires les plus élevés, ce qui serait un geste de solidarité entre travailleurs(euses) d’un même milieu de travail ? Pourquoi à titre d’exemple les professeur d’université n’accepteraient-ils pas un gel de leur salaire pour une certaine période à la condition que les administrateurs de ces mêmes universités réduisent les leurs, l’argent récupéré dans les deux cas servant à financer l’université dans une période de restrictions budgétaires ? Pour ce faire il faut notamment que les travailleurs(euses) dépassent une vision strictement individualiste et centrales syndicales une vision strictement corporatiste pour avoir une vision plus globale et plus altruiste.

L’approche dès le début de ce conflit majeur se doit également d’être porteuse de courage et de créativité. Il ne faut pas avoir une attitude défensive et attentiste mais bien au contraire il nous faut avoir le courage d’innover et de laisser place à l’imagination tant sur le fond que sur la forme, de sortir de notre vision traditionnelle véhiculée par nos structures organisationnelles souvent sclérosées, quelles soient para-publiques, syndicales ou communautaires. Par exemple il ne faut pas non plus rester figé dans la stratégie de l’affrontement classique jusqu’au boutiste pour s’enfermer dans une négociation classique durant des semaines sinon des mois enfermé dans un hôtel menant à un compromis dont on connaît en gros les paramètres à l’avance. Pourquoi les syndicats représentant les travailleurs(euses) municipaux ne mettraient-ils dès maintenant de l’avant une contribution de 50/50 employé/employeur pour les cotisations au fond de retraite, ce qui fait consensus dans la population, plutôt que d’attendre la fin d’une négociation classique avant de s’y résoudre ? Pourquoi certaines concessions syndicales ne pourraient pas être faites sur les avantages sociaux pour que cet argent soit transféré pour obtenir au minimum une indexation des salaires au coût de la vie et une augmentation également ? En posant de tels gestes de bonne foi les syndiquées du secteur public iraient chercher un plus grand appui de l’opinion publique sur la question du partage du déficit de certains fonds de pension et d’autres enjeux de la prochaine négociation dont les salaires.

Qui dit confrontation dans une société démocratique, dit également en bout de ligne négociation et compromis. Il faut également penser que plus la crise longtemps plus elle affectera l’économie québécoise et nous bouffera de l’énergie. Une polarisation trop longue et trop exacerbée rendrait difficile en bout de ligne une négociation de bonne foi tenant compte des intérêts individuels et de groupe, mais aussi du bien commun. Une attitude attentiste qui consisterait à laisser le gouvernement s’empêtrer dans sa réforme de l’état sans proposer nous-mêmes de solutions serait irresponsable et non respectueux de la population et des payeurs de taxes.

Je pense que l’on peut être d’accord avec certains diagnostics de nos docteurs et banquiers au pouvoir à Québec mais évidemment pas sur les solutions. Je prends pour exemple les problèmes des soins de première ligne et d’engorgement des urgences dans le système de santé, ou la bureaucratie trop lourde et souvent inefficace dans nos structures publiques et para-publiques. Faire des concessions et rechercher des solutions est aussi une façon de freiner l’élan de la privatisation partagée par plusieurs de nos concitoyens(nes) et qui nous a été notamment été révélée lors des résultats des élections d’avril dernier où une majorité de la population a voté à droite. Faire preuve de solidarité c’est aussi chercher des solutions pour que la société québécoise tourne plus rondement.

Finalement nous ne pouvons que souhaiter que si le conflit majeur en cours débouche sur une crise sociale comme en 2012 cette crise nous permette de préciser les valeurs collectives sur lesquelles nous voulons que repose la société québécoise de maintenant et demain et pourquoi pas le projet de pays à venir.

Yves Chartrand

Yves Chartrand

Intervenant social
Montréal

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