Édition du 17 juin 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le Monde

Le choix des mots

Intellectuel… de gauche

(Ce texte a d’abord été publié dans l’édition de mai du journal Ski-se-Dit.)

Longtemps le mot « intellectuel » n’aura été qu’un adjectif. Ce n’est qu’après l’affaire Dreyfus, à la fin du XIXe siècle, que l’on a commencé, dans la presse française, et particulièrement sous la plume du journaliste et écrivain Henry Fouquier, à l’utiliser comme nom ou substantif pour qualifier les journalistes, écrivains et hommes politiques de gauche ou progressistes. Il fallut attendre le début des années 1920 pour que la droite française, qui vilipendait jusqu’alors ces intellectuels, ne commence à s’approprier aussi le terme. Cette utilisation de l’adjectif comme nom s’est ensuite répandue, dans un sens comme dans l’autre, dans les autres langues.

Si le terme sied bien à la gauche, parce qu’il qualifiait ceux dont les actes engagent la réflexion, « gardiens de l’idéal républicain », contre les forces de l’argent, des armes et du conservatisme, il sied beaucoup moins à la droite, qui défend elle, souvent par d’affreuses contorsions de l’esprit, ces mêmes idéaux de richesses individuelles, de contrainte ou d’un passé idéalisé. Il sied de ce fait beaucoup mieux à des hommes et des femmes comme Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Michel Foucault et Pierre Bourdieu, qu’à des Charles Maurras, Éric Zemmour, Michel Houellebecq et Michel Onfray ; et chez nous à des Françoise David, Normand Baillargeon et Francis Dupuis-Déri, qu’à des Christian Rioux, Sophie Durocher ou Mathieu Bock-Côté.

Le terme intellectuel, voyez-vous, confère un aura de respectabilité à ceux auxquels on l’attribue. Henry Fouquier considérait les intellectuels comme « des individus dont les actes engagent la réflexion et qui théorisent leurs pensées », dont les valeurs morales et l’intégrité constituent les seuls moteurs. L’intellectuel était et devrait ainsi être encore à la recherche du beau, du bon et du juste. Que l’on ait pu accoler à ce terme des racistes de tout acabit, des sexistes et des intolérants, des fascistes même, des déclinistes et promoteur du « grand remplacement », même des promoteurs de cette fumisterie de « la main invisible » selon laquelle l’addition des intérêts individuels aboutit à l’intérêt général, est une ignominie !

D’autres termes conviendraient beaucoup mieux à ces défenseurs d’un passé bêtement idéalisé et collaborateurs du grand capital. Ils auraient malheureusement pour eux le défaut d’exprimer des vérités qui n’ont rien de louables. L’appropriation à leur compte de termes propres à la gauche, en les dévoyant de leur sens originel, leur convient drôlement mieux. Non seulement elle leur confère un semblant de respectabilité, mais elle brouille les repères, elle brouille les cartes.

Le dévoiement des mots n’est pas anodin. Accoler à des termes comme « intellectuel », « démocratie », ou « défense », des idéaux réactionnaires, antidémocratiques et guerriers nous empêche d’y voir clair. Surtout lorsque ces termes sont utilisés de façon continue, dans des médias et par des communicateurs que nous jugeons dignes de confiance. De telles manipulations du langage ont entre autres pour effet d’inhiber la réflexion chez les populations occidentales, populations qui sont parmi les plus à même – je me répète – d’infléchir de façon positive, respectueuse des droits humains et progressiste l’orientation des politiques.

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Bruno Marquis

Bruno Marquis est un lecteur qui s’est impliqué dans plusieurs organismes voués à la protection de l’environnement, à la paix et à l’élimination de la pauvreté chez les enfants au cours des vingt dernières années. Il publie actuellement une chronique sur l’environnement dans le mensuel Ski-se-Dit. Il a aussi tenu régulièrement une chronique dans le webzine tolerance.ca.

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