Édition du 11 novembre 2025

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Québec

Québec Solidaire : l'écart marqué entre rêve et réalité

Comment le parti peut-il remontrer la pente ? Est-ce même encore envisageable pour la seule formation de gauche au Québec ? Le dernier sondage en date sur les intentions de vote s’avère dévastateur pour Québec solidaire : il ferme la marche à 7% d’appuis, derrière le Parti conservateur qui lui, en ramasse 12%. Il arrive un moment où l’espoir de regagner de la crédibilité pour une formation politique s’effondre. Québec solidaire en est-il rendu là ? Qu’est-ce qui cloche ?

Tout d’abord, la tête. Il faut pointer la ou plutôt les actuelles têtes dirigeantes du parti pour ce déclin, ainsi que plusieurs militants. Les deux premiers piliers du parti, Françoise David et Amir Khadir l’ont quitté depuis un bon bout de temps. Un autre joueur majeur, Gabriel Nadeau-Dubois vient de faire pareil parce qu’il ne s’y sentait pas à l’aise C’est malheureux, car il était particulièrement crédible, vu son sens politique, son réalisme et son pragmatisme. S’il avait joint le Parti québécois, il aurait pu y remplir un rôle important, et même devenir « ministrable ». Il représentait l’aile pragmatique de Québec solidaire, suspecte d’opportunisme aux yeux de l’aile gauche.

Tout ceci peut être dit sans dénigrer les autres têtes dirigeantes de la formation, comme Ruba Ghazal, co porte-parole et près de l’aile la plus à gauche. Par ailleurs, il faudra attendre le résultat de la course au porte-parolat pour savoir qui remplacera GND comme l’autre co porte-parole. Qui sera le nouveau collègue de Ruba Ghazal ?
En examinant la situation de Québec solidaire, on observe le conflit classique dans tous les partis de gauche : l’affrontement entre sociaux-démocrates d’une part et les marxistes et leurs sympathisants de l’autre. Ces derniers oublient, ou refusent de voir une vérité fondamentale en politique : éviter de prendre ses rêves pour la réalité. Ils ont tendance à s’enfermer dans une certaine pureté idéologique qui les aveugle. Quand un parti conquiert le pouvoir, même s’il est doté d’un audacieux programme social et économique de gauche, et qu’il est dirigé par des gens prestigieux en qui une bonne part de l’électorat se reconnaît, doit faire des choix parfois déchirants en ce qui concerne l’application dudit programme. Il y a et il y aura toujours une certaine distance entre les bonnes intentions et la réalisation de ce programme. Bref, l’éventuel gouvernement de gauche devra mettre de l’eau dans son vin pour gérer au mieux la société.

Sa direction n’aura d’autre choix que de garder un oeil sur l’état des finances publiques, surveiller les polémiques qui se produisent au sein même de la formation (ce qui est sain, dans la mesure où elles ne dégénèrent pas en schisme) et faire des choix équilibrés dans la constitution du conseil des ministres entre l’aile gauche, le centre et l’aile droite. Les têtes dirigeantes du nouveau gouvernement devront aussi (et surtout) surveiller les forces sociales et économiques dont le programme heurte les intérêts et qui sont susceptibles d’essayer de le déstabiliser. C’est une question de réalisme élémentaire. Ces nécessités, si elles sont respectées, déçoivent forcément les membres les plus à gauche du parti, qui en retirent souvent une impression de trahison des idéaux initiaux de leur formation politique.

Dans le cas du Parti québécois, ces querelles et dissensions portaient avant tout sur le processus d’accession du Québec à la souveraineté, sur le référendum et la question à poser aux électeurs et électrices à cette occasion. Mais le parti était dirigé par un chef prestigieux et ancien ministre dans le cabinet libéral de Jean Lesage, René Lévesque et des technocrates de haut vol comme Jacques Parizeau, Claude Morin et Jacques-Yvan Morin, entre autres. Cela lui conférait une crédibilité certaine, mais qui ne fut toutefois pas suffisante pour arracher en mai 1980 (pour Lévesque) et en avril 1995 (pour Parizeau) une majorité de OUI en faveur de la souveraineté.
Ce n’est pas du tout pareil pour Québec solidaire. en dépit de la sympathie que certains de ses leaders ont pu inspirer à la population, comme Françoise David, Amir Khadir et Manon Massé. Il n’a jamais exercé le pouvoir ni même formé l’Opposition officielle. La plus grande partie de l’électorat ne le prend pas (ou plus) au sérieux.
On peut donc en conclure que Québec solidaire ne peut se permettre de se couper de celui-ci en s’enfermant dans un cadre idéologique trop strict, ni se déchirer dans des querelles internes virulentes. Il a au contraire un urgent besoin d’une direction solide, crédible et peut-être aussi d’une certaine révision de son programme. Jusqu’à quel point ? Ça demeure à discuter. Mais tirer le parti toujours plus à gauche constituerait une erreur diminuant encore davantage le peu de crédibilité qui lui reste. Il faut éviter les fuites en avant, une erreur fatale en politique électorale.

C’est de ce hiatus entre rêves et projets qui en découlent d’un côté, et l’incontournable de réalité de l’autre qui produit la tragédie de l’action politique, et de manière plus générale, de l’existence humaine elle-même.

Jean-François Delisle

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