J’en connais des centristes. Bien ancrés dans la classe moyenne ou la bourgeoisie, ils et elles sont réfléchis et intelligents, font l’apologie de l’équilibre dans le traitement de l’information et passent bien souvent pour la voix de la raison et de la majorité.
Ce sont des centristes instruits et formés, des enseignants, des ingénieures, des travailleurs sociaux, des médecins, des journalistes, des avocates, des restaurateurs et des fonctionnaires. Instruits et formés, leurs réflexions sont souvent balisées par les particularités de leur métier et elles ne tiennent parfois pas compte du contexte ni des leviers du pouvoir toujours en opération en arrière-plan. Leurs conclusions aux débats de société se situent donc autour de la populaire zone grise, du fameux « ce n’est ni blanc ni noir », de l’incontournable « envers de la médaille ». Si un parti politique disait que le ciel est vert, ces gens ne trouveraient pas de reproche à une nouvelle titrée « l’Assemblée nationale ne s’entend pas sur la couleur du ciel ».
C’est peut-être pour cette raison que ces centristes se rebutent et trouvent ma position extrême quand j’énonce sans broncher, comme si c’était aussi naturel, logique et indiscutable que la force de la gravité : « eat the rich ». Surement aussi parce qu’ils se disent (avec raison) que je parle de certains d’entre eux.
N’en déplaise, je persiste et signe, on doit se défaire des riches. Il n’y a aucune autre issue. Il n’y a pas deux côtés équivalents à cet enjeu. Il n’y a aucune façon de travailler aves les riches pour une société équitable. C’est une équation à somme nulle : ce que les uns gagnent est perdu par les autres (et vice versa) étant donné que les ressources réelles sont limitées et qu’elles appartiennent toutes déjà à quelqu’un.
En effet, Bill Gates est le plus grand propriétaire privé de terres cultivables aux États-Unis,1 Bayer (acheteur de Monsanto) est propriétaire des semences et contrôle une partie non négligeable de l’offre alimentaire mondiale,2 Kraft Heinz, Pepsi et une poignée d’autres contrôlent les produits en épicerie,3 et Glencore, BHP et Rio Tinto sont d’importants propriétaires miniers.4 Tout l’immobilier a un propriétaire quelque part, la main d’œuvre est utilisée presque pleinement et on peut même inclure les milieux naturels protégés car ils appartiennent supposément à l’ensemble des résidents d’un territoire sous la tutelle des gouvernements.
Et donc ? Et donc, la possession et l’utilisation d’une ressource par un acteur veut nécessairement qu’un autre n’y ait pas accès. Pour construire les logements, les écoles et les CHSLD dont nous avons besoin, pour s’occuper de ceux et celles dans le besoin, pour offrir des services de base et pour protéger les écosystèmes, il faut prendre du travail, des matériaux, de la nourriture, du temps et de l’argent à quelqu’un quelque part. Pour bâtir un logement abordable, il faut des travailleurs autrement occupés à rénover la cuisine de France-Élaine au goût du jour. Pour une école, il faut le bois, les métaux et les services d’ingénierie utilisés pour construire le RoyalMount. Pour contrer les îlots de chaleur il faut réimaginer les terrains urbains appartenant à la famille Broccolini, à Giorgio Tartaglino et d’autres James Essaris.5
Au même titre, l’entreprise privée a besoin du temps, de l’effort et de la santé des travailleurs pour créer de la valeur. Elle doit prendre les forêts aux Premières Nations pour produire du carton d’emballage pour le commerce en ligne. Elle doit prendre l’eau potable aux résidents pour refroidir les centres de données.6 Elle doit exploiter le sol pour assembler des VUS passant la majorité du temps stationnés sur l’asphalte chaud du Premium Outlets à Mirabel ou pris dans la congestion de la route 132 à Lévis. Il faut aussi dilapider le trésor public afin d’investir chez Air Canada, Pizza Salvatoré, Northvolt et Bombardier entre autres. Et c’est sans même parler de l’utilisation de ressources pour alimenter le complexe militaro-industriel qui s’enrichit à même la mort le génocide à Gaza.7
Sans surprise, on sait qui a tendance à gagner ce bras de fer à forces inégales pour la maîtrise des ressources. Qui décide comment elles sont utilisées ? Qui a plus d’influence auprès des décideurs ? Est-ce Stablex ou les citoyens de Blainville ? Les forestières ou le Conseil de la Nation Atikamekw ? La Fédération des médecins omnipraticiens du Québec ou l’Accueil Bonneau ? Les syndicats ouvriers ou les propriétaires du capital ? Il n’y a que l’argent qui croît infiniment et spéculativement, pas les forêts, les logements abordables ou les terres cultivables. En résulte de l’inflation, des crises du logement et des finances publiques parce qu’il y a une lutte directe entre les riches et les autres pour un nombre limité de ressources réelles et tangibles.
L’idée de s’enrichir individuellement est conséquemment une aberration. On ne devient pas riche en vase clos seulement grâce à la sueur de son front et à son effort individuel. Afin de pouvoir m’acheter deux Mercedes, un bateau et un chalet, des billets pour le concert de Taylor Swift et me payer des vacances familiales en Italie l’été, il faut que je cause ou que j’entérine mille et une iniquités sociales :
Je dois exploiter le travail d’autrui ou du moins me foutre du travail mal ou non rémunéré des agentes et agents de bord, des cheminots et des factrices.
Je dois accepter que des travailleurs puissent à peine assumer le coût des besoins de base en raison de ma prérogative à la maximisation du profit.
Je dois encourager la gentrification et l’évincement de ménages moins nantis en achetant des propriétés d’accommodation à court terme (e.g. AirBnB).8
Je dois monopoliser l’accès aux cours d’eau publics en achetant mon chalet au bord d’un lac.9
Je dois faire semblant que les coupes à blanc et la pollution de l’air, des sols et de l’eau n’existent pas.
L’enrichissement individuel est au mieux problématique et au pire criminel. Tant qu’il y aura des gens sans logement adéquat, dans la faim ou n’ayant pas accès à des soins adaptés et tant qu’il y aura des écoles farcies de moisissure et que continuera la destruction infatigable des écosystèmes, les grands nantis n’auront pas lieu d’être. À la question s’il existe une position centriste par rapport à l’existence des riches, je dis, sortons nos plus beaux couverts, c’est l’heure de manger.
Notes
1. The Guardian. Bill Gates is the biggest private owner of farmland in the United States
2.International Institute for Sustainable Development. Bayer Tightens Control Over the World’s Food Supply
3.The Guardian. The true extent of America’s food monopolies
4.S&P Global Mining Companies Market Cap
5.TVA Nouvelles. À qui appartient Montréal ?
6. The Guardian. Big tech’s new datacentres will take water from the world’s driest areas
7. CBC. Report suggests arms still flow from Canada to Israel despite denials
8.McMaster University. How Airbnb may be fuelling gentrification
9.Radio-Canada. 98 % des berges inaccessibles
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