Édition du 11 novembre 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Haro sur la religion !

À lire des articles comme celui de Marie-Claude Girard sur le site Web de l’Aut’journal (« Laïcité 2.0 et droit des femmes à l’égalité », 2025/09/05), on se croirait en présence d’un plaidoyer dénonçant les inégalités homme/femme dans une société traversée de part en part par des pratiques et des valeurs religieuses avec, à sa tête, un gouvernement de clercs ayant imposé au pays une Constitution faisant du Québec une République islamique !

Ce « grand écart » entre les « réelles » menaces du fait religieux pour l’égalité homme/femme et les aboiements de certaines féministes qui mélangent pêle-mêle laïcisation/sécularisation nous amène à constater que bien des baby-boomers (ou leur directs descendants) n’ont pas fini de régler leur compte avec leur passé trouble concernant la religion catholique qui eut, à une certaine époque, un véritable ascendant sur l’ensemble du corps social québécois à tous les niveaux (politique, culturel, intellectuel, idéologique, socio-économique, etc.) En d’autres termes, et sans vouloir faire de rapprochement inique, on pourrait dire que nous sommes en face d’une forme singulière de « stress post-traumatique » qui donne lieu à des obsessions et des idées envahissantes pour celui (ou celle) qui en est atteint.

Au delà de ce « biais » idéologique qui, dans le contexte québécois contemporain, s’explique aisément par les réminiscences d’un passé pas si lointain qui habite encore l’inconscient collectif sous forme de « trauma », il y aussi l’impact de cette « pseudo-ignorance » du fait religieux comme phénomène universel dont on ne peut faire l’économie pour saisir adéquatement l’essence de toutes les grandes civilisations, les aspirations les plus hautes de l’Humanité depuis qu’elle s’est détachée du règne animal, bref la nature humaine dans son insondable complexité. Réduire la Religion au caractère « sexiste » de certaines conceptions des rapports homme/femme présentes dans les trois grands Monothéismes relève d’une malhonnêteté « intellectuelle » particulièrement navrante de la part d’« intellectuel-le-s » prétendument « progressistes », donc opposées, en principe, à toute forme d’obscurantisme, même celui qui se revendiquerait des Lumières de la Raison.

À suivre cette logique réductionniste, il faudrait rejeter tous les acquis de la Révolution française sous prétexte que, malgré les promesses faites aux femmes par les leaders (jacobins ou autres) dans l’élan insurrectionnel entourant la prise de la Bastille, elles furent finalement reléguées à leur rôle traditionnel de « bonniches » une fois la ferveur révolutionnaire retombée ; ou encore à sous-estimer, après coup, l’apport philosophique considérable du Siècle des Lumières depuis les révélations faites à partir de recherches historiques plus approfondies qui nous dévoilent un aspect moins « lumineux » de la pensée des grands noms de cette époque (Voltaire, Rousseau, Kant, Hume, etc.) : à quelques exceptions près, parallèlement à l’avant-gardisme de leur prise de position socio-politique, au progressisme de leur vision du monde en rupture avec les idées et attitudes réactionnaires des élites aristocratiques de l’époque, ils ont tous donné leur aval aux pratiques esclavagistes, colonialistes, racistes et … « sexistes » de leurs contemporains, accordant même une vertu « civilisatrice » prototypique au fait de contraindre les barbares, les sauvages, les « primitifs » d’entrer en contact avec le monde plus avancé, développé, évolué et intelligent de l’Europe.

Qu’à cela ne tienne ! Les beaux grands principes politiques, philosophiques, juridiques auxquels se réfèrent nos promoteurs d’une laïcité radicale ont une source imminemment religieuse : la Charte des droits de l’Homme de l’ONU, supposée garantir l’égalité entre « tous » les Hommes, donc entre « tous » les hommes et « toutes » les femmes, est inspirée des dix commandements (« Tu ne tueras point », « Tu ne porteras pas de faux témoignage », etc.) gravés sur la pierre par Moïse après lui avoir été transmis, au contact du Buisson ardent, par Dieu le Père lui-même. En conséquence, le féminisme antireligieux de Marie-Claude Girard, partagé par la « clique » petite-bourgeoise du Collectif PDF qui s’acoquine en toute insouciance avec un gouvernement néo-conservateur, xénophobe, qui fraye avec le nationalisme identitaire, puise sa légitimité dans l’expérience la plus « patriarcale » qui soit des relations entre l’Homme et Celui qui l’a conçu à son image et à sa ressemblance…
Un peu plus et on pourrait soupçonner cette fixation sur le voile islamique d’avoir des connivences avec une forme « larvée » d’islamophobie. En témoigne cette récupération du principe de la Laïcité de l’État à des fins « idéologiques », d’obédience « féministe » le cas échéant. À prime abord, la Laïcité n’a rien à voir avec le sexisme que subiraient les femmes soumises aux diktats religieux. La séparation des pouvoirs entre l’Église et l’État est un geste « politique » qu’on doit resituer dans son contexte « historique » pour en saisir correctement la signification. Ce contexte, c’est celui de la montée de la bourgeoisie en Europe à partir de la Renaissance, qui a trouvé son air d’aller au dix-huitième siècle et son aboutissement au dix-neuvième. Les progrès philosophiques, scientifiques, techniques, à la fois comme causes et conséquences des nouvelles libertés intellectuelles arrachées au Clergé et à la classe oisive des aristocrates, des nouveaux modes de production et d’économie « capitalistes », des nouvelles terres « découvertes », arpentées et conquises à l’autre bout du monde débordaient des cadres institutionnels de type « féodal » hérités du Moyen-âge.

Les nouvelles élites dirigeantes devaient donc s’affranchir des codes religieux, politiques, économiques tombés en désuétude pour asseoir leur domination, en solidifier les fondements et en assurer la pérennité. À cet égard, la séparation des pouvoirs entre l’Église et l’État, qu’on associe aujourd’hui aux principes « républicains » de la laïcité, est à considérer comme un « transfert » de ce pouvoir de l’une à l’autre, rendu possible d’abord par un rapport de force favorable à la nouvelle classe de décideurs supplantant l’ancienne, ensuite par les prérogatives d’une nouvelle « morale », plus démocratique et égalitaire, se substituant à celle des privilèges, de l’absolutisme, de la Monarchie de droit divin.

L’Avènement de la « République » dans l’Histoire moderne n’est ainsi pas exempte d’ambiguïtés et de contradictions, rendant hasardeux le fait d’y voir uniquement un progrès de la « conscience » qui, de proche en proche, s’est étendu à l’ensemble du corps social jusqu’à l’époque contemporaine et dont le « féminisme » représenterait un de ses ultimes aboutissements. L’État de droit sur lequel s’appuient, non seulement les mouvements féministes mais aussi les minorités sexuelles, ethniques, linguistiques, religieuses, les syndicats de travailleurs, les comités de citoyens, les groupes environnementaux, les Peuples autochtones est un produit « historique » qui aurait pu ne pas advenir et qui peut, à tout moment, disparaître de l’horizon du champ politique occidental comme cela semble avoir déjà commencé dans le pays le plus emblématique de cette démocratie libérale, les États-Unis d’Amérique ! Le cas échéant, il est à peu près certain que le continent européen, qui a donné naissance à cette expérience que d’aucuns considèrent comme originale, particulière, « singulière », voire « exceptionnelle », ne résistera pas à la vague populiste d’extrême-droite à l’œuvre outre-Atlantique qui va vraisemblablement déboucher sur une nouvelle forme de fascisme.

De par son caractère « contingent », l’État de droit draine avec lui cette possible auto-destruction, cette possibilité de sabotage, de déviation de son cours naturel, de trahison de sa mission d’origine et d’instrumentalisation à des fins politiques, idéologiques, pour servir des intérêts privés, corporatistes, des intérêts de classe, pour établir de façon arbitraire et maintenir en place une hiérarchie, instaurer des privilèges, etc. À cet égard, la Laïcité, considérée comme étant con-substantielle à l’instauration de l’État de droit, peut faire l’objet d’une même instrumentalisation, d’autant plus que cette parenté institutionnelle lui assure une plus grande respectabilité. Une fois ce cadre défini, il devient donc possible en toute légitimité (et même en toute « légalité ») de rappeler «  […] que même si les femmes qui portent ce vêtement [niqab, burqa, hidjab] disent le porter volontairement, elles ne peuvent renoncer à leur droit à l’égalité et à leur doit à la dignité. [Sinon] l’État […] légitime [ainsi] l’atteinte à leur dignité humaine. » — Marie-Claude Girard, op. cit. C’est moi qui souligne.
En d’autres termes, les femmes qui assument ouvertement (donc « librement ») leur appartenance à une tradition ethno-religieuse contreviennent à une liberté qui leur est supérieure, la liberté « républicaine » qui a la prérogative, non seulement de définir pour Autrui les critères du Bien, du Bon et du Juste mais aussi celle de pouvoir les lui imposer nonobstant sa volonté, sa propre conception de ce qu’est la dignité, au-delà du « libre-arbitre » (donc de la liberté de conscience défendue par Girard comme justificatif à la Loi 21) qui est pourtant à la source même des notions juridiques de droit universel inaliénable inscrites dans les Chartes à l’échelle internationale, assises des revendications féministes pour l’égalité homme/femme.

Faut-il en conclure qu’un certain « féminisme », défendu par des groupes de pression comme “Pour le Droit des Femmes” (PDF), des journaux comme L’Aut’journal, Le Journal de Montréal/de Québec, Le Devoir, des Partis politiques comme la CAQ, le PQ, des journalistes comme Marie-Claude Girard, J.-F. Lisée, des Intellectuels comme Normand Baillargeon n’ont d’autres outils que la « sophistique » pour nous convaincre du bien fondé de leur position favorable à l’égard de la Loi 21 sur la Laïcité de l’État ? Le (ou la1) sophiste est passé maître dans l’art de rendre « vraisemblable » ce qui est « invraisemblable », « crédible » ce qui devrait plutôt faire l’objet d’un doute méthodique, « légitime » ce qui relève au contraire d’un chauvinisme des plus « obtus ».

Stigmatiser ainsi des Québécoises nouvellement arrivées, désirant s’intégrer à la majorité canadienne-française de confession « catholique » tout en s’affirmant comme partie prenante d’une culture étrangère mais non « hostile » pour autant aux valeurs de la société d’accueil, nous ramène à une autre époque où l’« étrange », le différent, l’« Autre » constituaient une menace à la cohésion interne du groupe, d’où le refus de les intégrer en misant sur l’apport qu’ils peuvent apporter à la société et leur bonne foi quant aux efforts inévitables d’adaptation auxquels ils devront consentir. La différence, c’est qu’aujourd’hui la société québécoise, à l’image de plusieurs sociétés occidentales, dispose de moyens, de procédés, de « procédures » beaucoup plus sophistiqués que par le passé pour faire comprendre aux immigrants qu’on leur fait une faveur en les acceptant et qu’ils doivent en être reconnaissants, même si, pour cela, ils doivent renoncer à ce qui, à leurs yeux, leur est le plus cher, c’est-à-dire tout ce qui les relie encore à la culture de leur pays d’origine avec lequel ils on dû rompre, de gré ou de force, ce qui, dans un cas comme dans l’autre, ne peut être vécu que douloureusement.

Le rejet est moins brutal mais d’autant plus insidieux qu’il se pare de vertus «  républicaines », « démocratiques », « progressistes  » avec, comme devise, écrite en grosses lettres sur le fronton des Institutions parlementaires, le slogan : « Égalité homme/femme » devenu propagande d’État à laquelle tous et toutes doivent se plier sans poser de questions sur la signification exacte de cette « égalité », le contexte dans lequel elle s’applique, la liberté d’interprétation qu’elle permet selon les cultures, les convictions, les visions du monde…

Note

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Mario Charland

De Trois-Rivières.

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