Édition du 16 avril 2024

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Mexique

Main de fer présidentielle et résistance populaire

La crise au Mexique s’est encore approfondie. En effet, le 20 novembre, Andrés Manuel Lopez Obrador du PRD prenait symboliquement possession de la présidence de la République comme « président légitime ». Le premier décembre, Felipe Calderon, du PAN, élu par fraude, prenait officiellement possession du pouvoir au milieu des protestations de dizaines de milliers de personnes dans les rues de Mexico. Pendant ce temps, la répression s’est accrue contre la APPO à Oaxaca. Il y a des centaines de détenuEs, disparuEs, blesséEs et l’état de siège continue ; mais la APPO aussi.

20 Novembre : Prise de possession symbolique du « président légitime »

Comme prévu, le 20 novembre, Lopez Obrador a pris symboliquement possession de la présidence de la République sur la place centrale de la ville de Mexico. Il a présenté son programme ainsi que les membres de son gouvernement « itinérant », qui aura comme chef-lieu la ville de México, mais se déplacera aussi dans le pays pour dénoncer les politiques néolibérales du nouveau président Felipe Calderon. Il appellera aussi à des mobilisations massives si Calderon essaye de privatiser les richesses naturelles qu’il reste encore à privatiser dans le pays : principalement l’électricité et le pétrole.

Il semble bien que Lopez Obrador était décidé à jouer le rôle d’un président d’opposition parce que, dans son discours de « prise de possession », pas un mot sur ce qu’il annonçait depuis des mois : qu’il empêcherait la prise de pouvoir du gouvernement illégitime de Calderon. Par contre, une représentante de la Convention nationale démocratique (CND) a appelé à la mobilisation pour le premier décembre, jour de la passation des pouvoirs, sur la place centrale de Mexico.

1er décembre : Prise de possession du « président élu » par fraude

Quelques semaines avant le premier décembre, le PAN avait installé un imposant dispositif de sécurité, d’énormes barrières sur des kilomètres autour de l’édifice de la Chambre des députés, affectant la vie quotidienne de milliers de personnes vivant à l’intérieur du périmètre. Le tout, surveillé par la police et l’armée.

Quelques jours avant le premier décembre, les députés de la Chambre des représentants ont pris la tribune -d’un côté le PAN et de l’autre le PRD- et ils ont défendu leurs positions, parfois à coups de poing, jour et nuit, dans un show médiatique qui a fait le délice des médias commerciaux. Par contre, le premier décembre, les députéEs du PRD, qui avaient assuré qu’ils empêcheraient la prise de possession de Calderon, se sont contentés de siffler leur mécontentement.

Pendant que Calderon prenait officiellement le pouvoir, dans une cérémonie qui n’a duré que quatre minutes étant donné l’ambiance tendue, des dizaines de milliers de personnes en colère ont répondu à l’appel de la CND et se sont mobilisées sur la place centrale de la ville de Mexico. Cependant, en se rendant compte que rien n’avait vraiment été fait par le PRD pour empêcher que Calderon prenne possession du pouvoir, des centaines de personnes sont reparties avec une grande déception et le sentiment d’avoir été trahies par le PRD. D’autres décidèrent de marcher pour manifester leur désaccord face à l’usurpation du PAN. Enfin, plusieurs personnes disent qu’en fait, Lopez Obrador est en train de préparer les prochaines élections qui auront lieu dans six ans, et qu’il se sert des gens de façon opportuniste et populiste. D’ailleurs, il n’y aura pas d’assemblée de la CND avant mars prochain.

Oaxaca

Pendant ce temps à Oaxaca, l’état de siège continue. En fait, un véritable état d’exception s’est installé dans l’État, avec suspension non officielle, mais dans les faits, des garanties individuelles. Certains analystes vont jusqu’à comparer Oaxaca avec Guantanamo (voir Saxe Fernandez).

En effet, des milliers d’éléments de la Police fédérale préventive (PFP), de la police étatique, de la police ministérielle, de l’Agence fédérale d’investigation, l’armée et les paramilitaires sèment la terreur d’État sur la population de Oaxaca. La répression s’est notablement accrue depuis le 25 novembre, journée où a eu lieu une méga-marche contre l’occupation, marche qui a été attaquée par la PFP, ce qui a provoqué des affrontements entre manifestantEs et PFP pendant près de six heures. Durant cette journée d’affrontements, il y a eu des détentions massives avec torture des détenuEs. Des manifestantEs qui cherchaient à trouver refuge ont été attaqués avec des armes à feu ; il y a eu de nombreux blesséEs par balle.

La situation actuelle

L’Assemblée populaire des peuples de Oaxaca (APPO) dénonce le fait que depuis le début du conflit en juin dernier, il y a plus de 500 prisonniÈres politiques qui ont été systématiquement torturéEs, et que les prisonnières ont subi de la violence sexuelle, comme à Atenco. De plus, il y a plus de 100 disparuEs, 26 morts et des centaines de blesséEs. (Il faut savoir qu’au Mexique, comme ailleurs en Amérique Latine, quand l’État nous fait « disparaître » il y a de fortes chances pour qu’on ne nous retrouve jamais.)

Depuis le 25 novembre, la PFP entre dans les maisons sans mandat de perquisition, à la recherche de présuméEs « appistes ». Des milliers de personnes se cachent et ne sortent plus de chez elles parce qu’elles ont peur d’être détenues. Tous les jours il y a des détentions arbitraires. Il y a des barrages militaires à de nombreux endroits, tant dans la ville de Oaxaca que dans les communautés. De même, la PFP occupe la capitale de l’État, se postant sur les coins de rue et rendant la vie quotidienne très difficile. De nombreuses femmes ont dénoncé le harcèlement et les attouchements sexuels dont elles sont victimes lorsqu’elles doivent passer un barrage de la PFP pour vaquer à leurs occupations quotidiennes.

Il est important de savoir que 149 détenuEs ont été déplacéEs dans des prisons à sécurité maximale situées dans d’autres États. On les considère comme des personnes dangereuses. Le fait d’être détenuEs dans des États distants de centaines de kilomètres est un véritable enfer tant pour les prisonniÈres que pour leurs familles. La distance à parcourir et les coûts de déplacement et de maintien dans une ville qui n’est pas la leur rendent très difficile l’assistance des familles aux détenuEs. Cela pose le même problème pour leur défense juridique. Dans les prisons mexicaines, l’appui des familles pour la nourriture et les objets de première nécessité est essentiel. Les familles dénoncent de plus le fait qu’elles n’ont pas de communication avec les détenuEs et que ces derniÈres ne reçoivent pas d’attention médicale, malgré les blessures dues à la torture.

Enfin, on ne peut passer sous silence qu’au cours des dernières semaines, il y eu détention et séquestration d’observateurs internationaux des droits humains.

L’arrivée de Calderon et l’impact sur Oaxaca

L’entrée au pouvoir de Felipe Calderon a un impact direct sur la situation de Oaxaca, les décisions se prenant à partir du gouvernement fédéral. Cette semaine, Calderon a fait connaître les membres de son gouvernement. Il a confié de nombreux postes clés de son administration à des gens peu recommandables, reconnus pour avoir dirigé, entre autres, la répression massive contre les altermondialistes lors du Forum alternatif Europe, Amérique Latine et Caraïbes de Guadalajara en 2005 ou la répression de Atenco de mai 2006, pour ne donner que ces exemples. Il a mis sur pied une équipe de criminels pour criminaliser les mouvements sociaux et ça se fait déjà sentir.

De plus, Calderon vient de déposer son budget et on peut voir clairement vers où il se dirige : les dépenses dans le militaire et la sécurité dépassent les dépenses sociales. Du jamais vu ! D’ailleurs, ce budget est conforme à ce qu’il a annoncé comme l’une des trois priorités de son gouvernement : la lutte à l’insécurité et à la délinquance (ce qui inclut les « opposantEs » des organisations sociales). Il a même averti mot pour mot que cette lutte ne se fera pas sans perte de vies humaines. Les organisations sociales mexicaines savent à quoi s’en tenir.

Comme entrée en matière, à quatre jours de la prise du pouvoir, le gouvernement de Calderon a fait emprisonner le principal porte-parole de la APPO avec les médias commerciaux, Flavio Sosa, ainsi que trois autres représentants de l’Assemblée de Oaxaca, qui se trouvaient dans la ville de Mexico pour assister à une réunion de négociation avec le gouvernement fédéral ! La veille de la réunion, on les emprisonne et on les envoie dans une prison à sécurité maximale ! Ces détentions sont perçues comme une véritable trahison de la part du gouvernement de Calderon. Son entrée au pouvoir n’annonce rien de bon pour Oaxaca, ni pour le reste du Mexique.

La APPO continue

Malgré ce climat de répression et la peur des détentions arbitraires, la APPO continue. Comme le dit si bien l’un de ses membres, « ce n’est pas une question de leaders ». La APPO est une assemblée de base très bien organisée, composée des communautés entières et de centaines d’organisations. Ce n’est pas en emprisonnant ceux que l’État désigne comme leaders qu’il va pouvoir en finir avec la APPO. Même si l’Assemblée a dû, pour empêcher une répression massive dans les installations universitaires, se départir de Radio Universidad, elle continue de s’organiser, avec les instruments disponibles dans le contexte actuel. D’ailleurs, l’une des principales locutrices de Radio APPO, la Doctora, a été arrêtée dans la nuit du 6 au 7 décembre, « pour avoir incité à la violence ». On criminalise la voix alternative des médias populaires, la voix de la résistance et de l’autodéfense légitime d’un peuple qui se fait attaquer par la police militaire.

Malgré toutes ces pertes, lors de sa dernière assemblée qui a eu lieu le 5 décembre dernier, la APPO annonce qu’elle va continuer son processus de construction et de réorganisation, même dans cette conjoncture de répression. Elle appelle à continuer les activités régionales telles que blocages de rue, occupations de bureaux gouvernementaux, réunions et marches. Elle propose la tenue d’un forum étatique de dénonciations pour les détenus et les disparus ainsi que la mise sur pied d’une caravane nationale d’appui aux familles des détenuEs et des disparuEs.

Plan d’action de la APPO

Dans son plan d’action, il y a deux dates importantes :

Le dimcnahe 10 décembre, la APPO appelle à une journée d’action globale « pour l’unité et la victoire » à travers la 8e méga-marche dans la ville de Oaxaca et partout ailleurs où les personnes solidaires peuvent s’organiser et marcher en appui à la APPO.

Le 22 décembre, début des actions nationales et internationales coordonnées par l’Autre campagne et l’EZLN en appui à Oaxaca.

Importance de la solidarité internationale

Oaxaca a besoin de la solidarité internationale. Elle est vitale pour empêcher que des dizaines d’autres vies ne se perdent et pour éviter que les centaines de prisonniÈres politiques ne restent confinéEs en prison, victimes de torture et de mauvais traitements. La diffusion de l’information est de première importance ainsi que la pression internationale sur le gouvernement mexicain.


 Retrait immédiat de la Police fédérale préventive de Oaxaca
 Destitution et jugement pour ses crimes du gouverneur de Oaxaca, Ulises Ruiz Ortiz
 Libération des prisonniÈres politiques
 Présentation des disparuEs VIVANTeS

¡La APPO vive, la lucha sigue, sigue y sigue !

La APPO vie, la lutte continue, continue et continue !

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