Édition du 26 mars 2024

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Le Monde

Manger des insectes pour résoudre la faim dans le monde ?

L’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture,
la FAO, a publié cette semaine un rapport qui fait grand bruit : « 
Insectes comestibles. Perspectives d’avenir pour la sécurité alimentaire
et l’alimentation <http://www.fao.org/docrep/018/i3253...>  »
et où elle recommande la consommation d’insectes pour donner à manger à
une population mondiale en croissance. Mais la lutte contre la faim dans
le monde passe-t-elle par la consommation d’insecte ou en faisant en
sorte que la nourriture existante soit accessible aux personnes ? J’opte
résolument pour la seconde option.

[http://esthervivas.com/francais/manger-des-insectes-pour-resoudre-la-faim-dans-le-monde/]

Je n’ai rien contre la consommation de « bêbêtes », une pratique qui,
sous d’autres latitudes est courante. Selon la FAO, aujourd’hui dans le
monde au moins deux milliards de personnes en consomment régulièrement : coléoptères, chenilles, abeilles, fourmis, sauterelles, et un long « etc. ». Un total de 1.900 espèces sont mangées dans des pays
d’Afrique, d’Asie et aussi d’Amérique latine. Et, selon ce rapport,
elles ont un haut contenu en protéines, matières grasses et minéraux.
Dans nos pays par contre, l’idée même de porter à notre bouche ces
insectes provoque notre dégoût.

Les discussions et les débats médiatiques de ces derniers jours qui ont
tourné autour de la proposition de la FAO l’ont fait à partir d’une
perspective clairement ethnocentrique sur ce que nous mangeons.
Associant la consommation d’insectes à un comportement primitif, comme
si nous avions la vérité absolue sur ce que l’ont peut manger ou non. On
peut pourtant se demander ce que pensent les gens dans d’autres pays des escargots en sauce, le lapin rôti ou même de la paella de riz au lapin
et aux escargots. Je crois que dans plus d’un pays européen on ne
supporterait même pas de rester deux minutes à table en imaginant son
lapin mascotte favori cuisiné comme un bifteck et entouré de mollusques
baveux…

Mais au-delà de ces considérations culturelles, je crois que le problème
de la faim doit être abordé à partir d’une autre perspective. Il ne
s’agit pas, comme si c’était une solution magique, d’opter pour
l’ingestion d’insectes, indépendamment des vertus nutritives qu’ils
peuvent apporter ; le nœud de la question est de nous demander comment
il se fait que dans un monde où les aliments existent en abondance il y
a autant de personnes qui n’ont rien à manger. Aujourd’hui, le problème
de la faim ne réside pas dans la production mais bien dans la
distribution. Il ne s’agit pas de produire plus, ou de chercher de
nouvelles sources de comestibles, mais bien de distribuer la nourriture
déjà existante et de la rendre accessible aux gens.

D’après la FAO elle-même, on cultive aujourd’hui suffisamment de
nourriture que pour alimenter 12 milliards de personnes alors que nous
sommes 7 milliards sur Terre. De la nourriture, il y en a. Le problème
c’est : aux mains de qui est-elle ? Les aliments sont devenus une source
de profit pour une poignée de multinationales de l’agro-industrie qui
donnent priorité à leurs intérêts privés face aux besoins alimentaires
des personnes. Ceux qui n’ont pas les moyens nécessaires pour payer le
prix chaque jour plus élevé de la nourriture ou qui n’ont pas accès aux
moyens de production (la terre, l’eau, les semences…) ne mangent tout
simplement pas.

En finir avec la faim passe par l’exigence de justice et de démocratie
dans les politiques agricoles et alimentaires. Et par le fait de rendre
aux peuples leur souveraineté alimentaire, leur capacité de décider ce
qu’on produit et comment on le produit, sur sa distribution et sa
consommation. Accorder la priorité aux droits et non aux privilèges. Et
opter pour un autre modèle d’agriculture et d’alimentation : de
proximité, paysanne, agro-écologique, etc. Ce n’est qu’ainsi que tout le
monde pourra manger.


*Article publié dans « Publico.es », 18/05/2013.
**Traduction française pour Avanti4.be : Ataulfo Riera.

Esther Vivas

Auteur de "En campagne contre la dette” (Syllepse, 2008), co-coordinatrice des livres en espagnole "Supermarchés, non merci" et "Où va le commerce équitable ?" et membre de la rédaction de la revue Viento Sur (www.vientosur.info).

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