Édition du 16 avril 2024

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États-Unis

Marchands de mort : le culte toxique de la violence empoisonne les USA

Une vision absolument terrifiante, mais malheureusement factuelle de la société américaine, avec des divisions irréductibles entre factions ennemies prisonnières d’une vision en noir et blanc « ami ou ennemi » typique de la guerre ou d’états de stress post-traumatiques, une violence institutionnalisée, des enfants qui apprennent à tuer par jeux vidéo interposés, une police que rien ne distingue plus des forces armées… et le tout emmené par des marchands de mort tout-puissants, nommément le complexe militaro-industriel privé des USA, contre qui le président Eisenhower prévenait déjà en 1961. En d’autres termes, les marchands de canons. Ceux à qui le crime profite.

Tiré de Tlaxcala.org

Ne pensons pas à nous moquer des Américains ou à nous croire à l’abri de pareilles dérives. Nous pouvons nous rassurer en nous disant que l’Amérique, c’est loin, que nous sommes en France et que rien de tout cela ne pourrait nous arriver. Mais dans l’UE aussi, notre débat public se durcit, notre dialogue politique se tarit ou se réduit à des invectives indignes de gens dotés d’un cerveau, les produits « culturels » que nous ingurgitons à la télévision, au cinéma, dans nos B.D, etc, proviennent majoritairement des USA, la xénophobie médiatique quotidienne anti-russe, anti-iranienne, anti-chinoise, anti-syrienne, anti-nord-coréenne, etc, nous fait croire que haïr des gens que nous ne connaissons pas et qui ne nous ont jamais fait le moindre mal est une bonne chose, nous faisons partie d’une alliance militaire dirigée par les États-Unis, l’OTAN … et ce n’est que le début de la liste.

La vigilance s’impose si nous ne voulons pas subir le même effondrement sociétal que les USA.

Par John W. Whitehead

Paru sur The Rutherford Institute sous le titre Merchants of Death : America’s Toxic Cult of Violence Turns Deadly

Nous sommes pris dans un cercle vicieux.

Avec une régularité alarmante, les USA sont exposés à des poussées de violence qui terrorisent le public, déstabilisent le fragile écosystème du pays et donnent au gouvernement de plus amples prétextes pour proposer, verrouiller et instaurer des politiques de plus en plus autoritaires au nom de la soi-disant sécurité intérieure, sans soulever d’objections de la part des citoyens.

Prenez la fusillade meurtrière du lycée Marjory Stoneman Douglas, à Parkland en Floride, le jour de la Saint-Valentin : dix-sept personnes, des étudiants et des professeurs, ont été tués par Nikolas Cruz, un ancien élève de 19 ans armé d’un masque à gaz, de grenades fumigènes, de cartouches de munitions et d’un fusil semi-automatique AR-15.

La fusillade, qui a été attribuée à une maladie mentale chez cet assassin de 19 ans, est arrivée quelques mois après une série de fusillades de masse à la fin 2017, dont l’une dans une église du Texas et une autre au cours d’un concert de musique country à Las Vegas. Dans les attaques du Texas et de Las Vegas, les tireurs étaient habillés en soldats ou en policiers militaires et équipés d’armes de type militaire.

Comme toujours à la suite d’une de ces fusillades, il y a eu une controverse enflammée sur des mesures de contrôle des armes plus restrictives, plus de contrôles de santé mentale et des mesures de sécurité renforcées dans les écoles et collèges.

Également comme toujours dans ces cas, au milieu du déluge de dénonciations indignées, personne ne pointe du doigt l’État policier ou les politiques saturées de guerres, violentes et axées sur le profit du complexe militaro-industriel américain qui ont tous deux contribué à faire de la violence la marque de la société américaine.

Demandons-nous pourquoi ces fusillades continuent de se produire ? A qui ces tireurs empruntent-ils leurs modèles de comportement ? Où trouvent-ils les références de leurs armes et de leurs tactiques ? De quelles techniques se font-ils les miroirs ?

Des meurtres de masse se sont produits dans des églises, des night-clubs, des campus d’universités, des bases militaires, des écoles primaires, des bureaux gouvernementaux et des concerts. Dans presque chaque cas, vous pouvez les relier au complexe militaro-industriel, qui continue à dominer, dicter et façonner presque chaque aspect des vies américaines.

Nous sommes une culture militaire engagée dans des guerres perpétuelles.

Les USA ont été en guerre pendant la majeure partie de leur existence.

Nous sommes un pays, les USA, qui gagnons notre argent en tuant à travers des contrats de défense, de la production industrielle d’armement et des guerres perpétuelles.

On nous fait avaler quotidiennement des doses élevées de violence à travers nos industries du divertissement et de l’information, et notre arène politique.

Tout l’équipement militaire qui figure dans nos films à gros budget est fourni gratuitement – avec l’argent du contribuable – contre des spots promotionnels bien placés.

Il est estimé que les services de renseignements militaires (y compris la NSA) ont directement influencé plus de 1800 films et émissions de télévision. De plus, nous avons une liste grandissante de jeux vidéo, dont bon nombre créés pour l’armée, qui ont accoutumé les joueurs à des jeux guerriers à travers des simulations de combats ou des scénarios de tireurs à la première personne.

C’est comme cela qu’on acclimate une population à la guerre et à cultiver une loyauté à une machine de guerre.

Pourquoi est-ce que le Pentagone (et plus généralement le gouvernement) utilise Hollywood comme machine de propagande ?

Pour ceux qui profitent des guerres, elles sont – comme le reconnaît le journaliste des médias grand public David Sirota – « un ‘produit’ à vendre via un merchandising de pop culture visant à édulcorer la guerre et, au passage, à stimuler le recrutement dans l’armée ».

Pour vendre des guerres, vous devez aiguiser l’appétit des gens pour le divertissement.

Non content de colporter sa propagande de guerre à travers Hollywood, les émissions de télé-réalité et des journalistes alignés dont les reportages ressemblent à des publicités pour l’armée, le Pentagone s’est tourné vers les sports pour la promotion de ses guerres, en « reliant les symboles des sports avec ceux de la guerre ».

Le militarisme a été profondément inscrit dans les spectacles sportifs en cooptant le football américain, le basket-ball et même l’association nationale des courses de stock-cars. [Voir par exemple l’article « Patriot Games : Sports and the military share a powerful connection in the U.S. » (Jeux patriotiques : les sports et l’armée partagent une forte connexion aux USA »), Sports Illustrated, 19 janvier 2017, NdT]

C’est comme cela qu’on maintient l’appétit de la nation pour la guerre.

Rien d’étonnant si la violence dans le divertissement se vend aussi bien.[Extrait de l’article en lien (‘Gun Culture and the American Nightmare of Violence’, Truthout) : « Les États-Unis sont totalement mariés à une culture néolibérale dans laquelle la cruauté est vue comme une vertu, et où les incarcérations de masse sont traitées comme le principal mécanisme de « l’institutionnalisation de l’obéissance ». Parallèlement, un mode de concurrence où chacun doit devenir le pire des requins supplante toute notion viable de solidarité, et le narcissisme généralisé pousse toute la société dans le miroir aux alouettes de la consommation de masse. » NdT]

Rien d’étonnant si le gouvernement continue de stimuler l’appétit pour la violence et la guerre à travers des programmes de propagande d’état (véhiculés par les divertissements sportifs, les productions à gros budget de Hollywood et les jeux vidéo) – ce que le professeur Roger Stahl appelle du « militainment » [mot-valise formé à partir de « divertissement » et « militaire », NdT] – qui glorifient l’armée et servent d’outils de recrutement à l’expansion de l’empire militaire américain [les USA comptent plus de 800 bases militaires dans le monde, NdT].

Rien d’étonnant si, dès leur plus jeune âge, les Américains sont conditionnés à un enrôlement – même virtuel – dans l’Armée Américaine (incidemment, « America’s Army » est également le nom d’un jeu vidéo de simulation de tir à la première personne développé par le Pentagone). Les Boy Scouts, par exemple, sont l’un des outils de recrutement les plus populaires pour l’armée des USA et ses contreparties civiles (la police, le contrôle des frontières et le FBI).

Rien d’étonnant si les États-Unis sont les consommateurs, exportateurs et auteurs numéro un de violence et d’armes du monde. De fait, les faucons de guerre ont transformé le pays en quasi-champ de bataille avec leurs accoutrements militaires, leurs armes et leurs tactiques. Les politiques intérieures sont devenues des extensions de l’appareil militaire.

Quand nous parlons de la fusillade de Parkland, gardons à l’esprit que nous ne sommes pas en présence d’un scénario isolé, mais plutôt d’une machine de guerre sophistiquée, d’une grande portée, qui s’est inscrite au coeur même du tissu de la nation nord-américaine.

Nous voulons mettre fin à la violence par armes à feu ?

Arrêtons de vénérer la violence qui imprègne notre culture.

Arrêtons de glorifier le complexe militaro-industriel avec des saluts au drapeau et des avions de combat qui survolent les stades lors des grands rendez-vous sportifs.

Arrêtons de voir quoi que ce soit de patriotique à des exercices militaires et à des invasions qui bombardent des écoles et des hôpitaux.

Arrêtons de voir les armes à feu et la guerre comme matière à divertissement dans les films, la musique, les jeux vidéo, les jouets, les parcs à thème, la télé-réalité, etc.

Arrêtons de distribuer des armes de guerre aux forces de police locales et de les transformer en extensions de l’armée – des armes qui n’ont rien à faire ailleurs que sur un champ de bataille.

Arrêtons de donner dans le panneau des manipulations de l’opinion par le complexe militaro-industriel.

Nikolas Cruz peut bien avoir appuyé sur la gâchette et tué des gens innocents à Parkland en Floride, quelque chose d’autre déclenche et entretient cette folie.

Nous devons faire plus que réagir par des indignations immédiates.

Ce dont nous avons besoin est une réponse réfléchie, pondérée, apolitique à ces fusillades et à la violence qui nuisent à notre pays.

La solution à la plupart des problèmes doit commencer à s’élaborer localement, dans nos foyers, nos quartiers de résidence, nos communautés. Nous devons démilitariser notre police et abaisser les niveaux de violence, autant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger, que ce soit la violence que nous exportons dans d’autres pays, la violence que nous glorifions dans le divertissement ou la violence que nous exprimons contre nos soi-disant ennemis, ceux qui ne pensent pas comme nous.

Notre exposition prolongée à la violence culturelle de l’État policier américain est un poison mortel.

John W. Whitehead est avocat spécialiste en droits de l’homme, auteur et président du Rutherford Institute. Ses articles ont été publiés dans le New York Times, le Los Angeles Times, le Washington Post et USA Today, entre autres. Ses livres les plus récents sont Battlefield America : The War on the American People et A Government of Wolves : The Emerging American Police State

Traduction et note d’introduction Entelekheia

Mise à jour d’Entelekheia : Comme il est impensable de s’en prendre aux profits des marchands d’armes à feu aux USA (la NRA y veille), la solution proposée par Trump au drame des fusillades dans les écoles consisterait à… armer et entraîner les professeurs.

Et la violence de la société américaine monterait encore d’un cran.

Source

Date de parution de l’article original : 19/02/2018

John W. Whitehead

John W. Whitehead est avocat spécialiste en droits de l’homme, auteur et président du Rutherford Institute. Ses articles ont été publiés dans le New York Times, le Los Angeles Times, le Washington Post et USA Today, entre autres. Ses livres les plus récents sont Battlefield America : The War on the American People et A Government of Wolves : The Emerging American Police State.

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