Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Syndicalisme

Négociation dans les secteurs public et parapublic 2022-2023 : Un gouvernement qui semble surtout pressé de conclure le tout « le plus vite possible »

Le 27 mars dernier, la présidente du Conseil du trésor, madame Sonia Lebel, annonçait le dépôt d’une nouvelle offre aux salarié.e.s syndiqué.e.s des secteurs public et parapublic. Profitons de l’occasion pour faire le point sur le moment actuel de la négociation…

La grande nouveauté dans la « proposition bonifiée » du 27 mars se retrouve aux pages 2 et 6 du document intitulé «  Propositions bonifiées du Gouvernement du Québec » (voir le lien ci-bas). Il est explicitement et laconiquement précisé ceci : « 2. Prolongation de toutes les primes prenant fin au 30 mars 2023. » Il est également question d’une bonification salariale pour 280 000 salariéEs syndiquées, de précisions quant aux priorités gouvernementales au sujet de « l’équipe classe », de « l’équipe soins » et de « l’équipe santé mentale  ». S’ajoute ici des mesures complémentaires au sujet de la protection de la jeunesse et de la précarité chez les enseignant.e.s.

https://www.tresor.gouv.qc.ca/fileadmin/PDF/negos/depot_gouvernemental_front_commun_20230327.pdf. Consulté le 30 mars 2023.

Sur la manière de négocier du gouvernement Legault

Que penser de la façon dont la présente ronde de négociation est conduite par le Conseil du trésor avec les huit organisations syndicales qui représentent 600 000 salarié.e.s syndiqué.e.s ? Le gouvernement Legault semble particulièrement pressé d’arriver à une conclusion rapide. Par rapide il faut comprendre d’ici la fin du printemps ou tout au plus au tout début de l’été. C’est l’impression que nous donne l’extrait suivant d’un article paru dans le quotidien Le Soleil :

« En déposant sa nouvelle offre, la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, s’est faite pressante. « Il y a urgence d’agir, car l’été est une période critique dans le réseau de la santé et nous voulons être prêts pour la rentrée scolaire 2023. Ces offres bonifiées sont un signal clair aux syndicats que nous pouvons et voulons régler le plus vite possible afin de passer à l’action. »

« Nous souhaitons, toutes et tous, que le gouvernement soit un employeur de choix. Or, pour y arriver, nous devrons, ensemble, accélérer la cadence aux tables et participer activement au réaménagement de l’organisation du travail, un élément central de la ronde actuelle de négociations. J’espère donc obtenir un retour rapide et constructif de la part des syndicats sur ces propositions », a-t-elle ajouté. »

https://www.lesoleil.com/2023/03/27/offre-bonifiee-du-tresor-des-primes-prolongees-au-dela-du-30-mars-34b80f729f334e466acf61978272f02e. Consulté le 30 mars 2023.

Que retenir de ce qui précède ?

Retenons qu’il n’a pas encore été question, de la part de madame Sonia Lebel, d’une « offre finale » aux 600 000 salariéEs syndiquéEs. Il est donc à prévoir au moins un rebondissement d’ici juin prochain comportant possiblement une bonification salariale pour l’ensemble des salarié.e.s syndiqué.e.s. Il devra par contre y avoir une intensification des discussions aux tables sectorielles. Ce n’est donc pas dans le cadre des trois « Forums » annoncés dans le dépôt gouvernemental de décembre dernier que se mènera la « discussion » ou la « négociation » des conditions de travail des salarié.e.s syndiqué.e.s. Il est même à se demander si le gouvernement avait réellement l’intention de réaliser quelques travaux que ce soit dans ces lieux d’échanges informels, sans aucune assise juridique. Rappelons-nous que le gouvernement Legault avait tenté le même coup d’épée dans l’eau lors de la ronde de négociation précédente (voir la lettre ouverte de Christian Dubé à la fin du présent article).

Les derniers mois auront permis à l’actuelle présidente du Conseil du trésor de se positionner dans l’opinion publique et durant cette période les membres de son équipe de négociation en auront profité pour peaufiner leur stratégie de conclusion - ou non - de la présente ronde de négociation et qui sait d’identifier la ou les organisations syndicales avec laquelle ou lesquelles il sera facile de conclure une entente dans le cadre des paramètres déterminés préalablement (à quelques nuances près) par le gouvernement Legault. Rappelons-nous que c’est ainsi que s’est conclue la ronde de négociation précédente. La FAE avait été la première organisation syndicale à conclure une entente de principe globale (comportant une clause remorque) qui a ensuite été présentée et acceptée par ses membres. La FTQ avait suivi avec une entente globale incluant une bonification salariale d’un pour cent. Cette ronde de 2019 à 2021 s’est étirée dans le temps en raison du fait que le gouvernement ne disposait pas, durant la pandémie, des liquidités nécessaires pour verser les augmentations salariales qu’il était prêt à consentir à ses salarié-e-s syndiqué-e-s.

La présente conjoncture est un peu différente de celle qui a marqué la négociation précédente. Le gouvernement a assurément les moyens de rémunérer ses salarié.e.s syndiqué.e.s sans « creuser » un déficit et sans mettre en péril les finances publiques. Il vient par contre d’accorder une importante baisse d’impôt qui va le priver de 9 milliards de dollars pour les cinq prochaines années. De quelle somme dispose-t-il comme marge de manœuvre en vue de bonifier son offre salariale à ses salarié.e.s syndiqué.e.s ? Là est la question. De plus, ce gouvernement veut aller de l’avant avec des changements importants en santé (le projet de loi 15 du ministre Dubé) et en éducation (les chantiers annoncés par le ministre Drainville). Pour le moment, il offre un contrat de travail d’une durée de cinq ans et des augmentations salariales rachitiques de 9% au total (3% pour la première année et 1,5% pour chacune des quatre années suivantes). En face de lui, il y a les porte-parole des huit organisations syndicales qui demandent pour leurs membres une convention collective d’une durée de trois ans, accompagnée d’un rattrapage salarial important et d’une protection du pouvoir d’achat face à l’inflation.

En guise de conclusion

Nous verrons, d’ici quelques mois, jusqu’à quel point la pénurie de main-d’œuvre jouera à l’avantage ou non des 600 000 salarié.e.s syndiqué.e.s des secteurs public et parapublic. Profitons-en pour conclure sur trois petites questions : y aura-t-il, dans quelques semaines, un affrontement entre le gouvernement Legault et les salariéEs syndiquéEs rémunéré.e.s par l’État employeur ? La présente ronde de négociation se terminera-t-elle d’ici le début de l’été ou un peu plus tard ? Les stratèges syndicaux demanderont-ils la médiation, étape impérative et incontournable avant l’exercice du droit de grève dans les secteurs public et parapublic ?

À ce moment-ci, une chose est certaine : le gouvernement Legault souhaite vivement, comme l’écrivait Michel David dans l’édition du quotidien Le Devoir du 23 mars 2023, une négociation « sans trop de perturbation ».

C’est donc à suivre…

Yvan Perrier

3 avril 2023

8h15 AM

yvan_perrier@hotmail.com

https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/786414/chronique-sonia-lebel-la-femme-de-la-situation. Consulté le 28 mars 2023.

LETTRE OUVERTE DE CHRISTIAN DUBÉ
Lettre publiée le 3 février 2020
Les priorités des Québécois au cœur des négociations

Le 12 décembre dernier, le gouvernement a déposé des offres responsables et innovantes aux représentants syndicaux. Responsables, car les augmentations salariales tiennent compte de l’ensemble des enjeux et des besoins des Québécoises et Québécois, y compris leur capacité de payer. Je rappelle que chaque 1 % d’augmentation représente environ 400 millions de dollars de plus, chaque année, dans le budget du Québec. Innovantes, parce que nous proposons une nouvelle approche pour répondre aux priorités de la population en santé et en éducation, en priorisant les préposés aux bénéficiaires et le personnel enseignant.

C’est sur la base de cette proposition que le gouvernement entreprend les négociations avec les 550 000 employées et employés des secteurs de la santé, de l’éducation et de la fonction publique. Évidemment, toute négociation fait appel à l’art d’écouter et de faire des propositions et des compromis. Je crois donc important d’intervenir, à ce stade-ci, pour préciser certains points, ce qui saura, j’en suis certain, alimenter les réflexions de nos partenaires syndicaux.

J’insiste d’abord sur le fait que certains enjeux, comme ceux qui sont mentionnés plus haut, méritent une attention particulière. Je sais que nos propositions, qui priorisent les enseignants et les préposés aux bénéficiaires, bousculent les habituelles façons de faire des syndicats, qui préfèreraient que nous donnions les mêmes augmentations à tous. Or, le gouvernement a été élu pour faire des changements qui répondent aux priorités des Québécois. Même si les avenues proposées nous éloignent de nos habitudes, ce sera au bénéfice de la population et du personnel des secteurs public et parapublic. C’est pourquoi nous avons proposé la mise sur pied de trois forums auxquels la plupart des syndicats ont, jusqu’à maintenant, refusé de participer.

Tels que proposés, ces forums représentent pourtant l’occasion de discuter de la réussite éducative, de l’accessibilité aux soins de santé pour les gens en hébergement de longue durée ou recevant des soins à domicile, ainsi que de la santé globale des salariés du secteur public. Avec des sommes réservées pour deux de ces forums, nous voulons faire avancer les choses rapidement, car nous mettrons en commun l’expertise de toutes les parties, ce qui est nécessaire pour trouver les meilleures solutions, au bénéfice de tous.

Par ailleurs, le gouvernement entend négocier avec tous les syndicats afin d’offrir des conditions intéressantes à l’ensemble des employés qui contribuent quotidiennement aux services publics.

Nos équipes de négociation et celles des syndicats seront très actives, dans les prochains mois, et l’actualité sera assurément teintée par les négociations. Les syndicats continueront certainement à faire entendre leur point de vue, ce que je respecte. Je souhaite cependant que nous restions concentrés sur les priorités des Québécoises et des Québécois. C’est pourquoi le gouvernement maintient le cap avec les forums et qu’il déploiera tous les efforts pour atteindre ses objectifs.

Les Québécoises et les Québécois ont clairement manifesté leur désir de changement en rompant avec presque un demi-siècle d’alternance entre le Parti libéral et le Parti québécois lors des élections d’octobre 2018. Les électeurs ont exprimé une volonté qui demande aux élus d’être créatifs ; d’oser explorer de nouvelles avenues pour relever les importants défis qui se posent à nous.

J’invite tous les partenaires à travailler dans cet esprit responsable et innovant pour répondre aux préoccupations de la population québécoise.

Christian Dubé

Ministre responsable de l’Administration publique et président du Conseil du trésor

https://www.ledevoir.com/opinion/libre-opinion/572101/les-priorites-des-quebecois-au-coeur-des-negociations. Consulté le 3 avril 2023.

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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