Je ne sais trop qui, je ne sais trop comment, quelqu’un m’a mis au courant par Facebook du récital que donnerait l’auteur-compositeur-interprète Jofroi à Montréal, jeudi soir dernier. Au bon cœur d’une contribution volontaire, nous étions une trentaine à profiter de la prestation intimiste du chanteur dans le cadre agréable d’une ancienne chapelle utilisée comme salle à manger ou salle de spectacle par une résidence de retraite.
Le bonheur d’entendre des chansons à texte, accompagnées simplement à la guitare ! J’inscris ici son site (jofroi.com)), mais je vous préviens : ses vidéos ne rendent pas justice à sa grande présence sur scène, ni à sa voix qui y est beaucoup plus souple et chaleureuse (certains accents font penser à Maxime Leforestier) ni à ses liens très habiles entre chaque pièce où l’humour le dispute à la saine réflexion.
Au début du spectacle, je vois une personne sortir sa tablette et se mettre à filmer. Je réprimais à grand peine mes grognements. Je trouve tellement indécent cette façon de capturer le présent pour le vider de sa substance et en faire du passé pour le futur, surtout sans la permission d’un artiste. Mais, comme si la spectatrice avait lu dans mes pensées, elle s’arrêta net quelques secondes plus tard.
Dans l’une des premières chansons interprétées (La pâte à gaufres), deux vers me marquent et me suggèrent le titre de ce billet :
« À propos de gaufres, ça me fait penser à l’éternité
À cette odeur chaude et cette impression de légèreté ».
Les gaufres réconfortantes me suivent depuis.
Un plaisir simple, riche toutefois, partagé par un groupe intime est une petite éternité aussi ample et aussi satisfaisante que les grandes mécaniques dont les stades s’enflamment. Il ne s’agit pas ici d’établir une hiérarchie. Ces intenses moments de frisson où le fan vibre avec des milliers d’autres à l’unisson avec la star adulée sont aussi de magiques petites éternités, toujours meilleures au fin fond de notre cervelle, peut-être même déformées par la nostalgie ou la bonne disposition particulière que d’autres n’avaient pas, mais où en tout cas personne ne peut les maltraiter comme on peut le faire d’un souvenir physique, objets qui se brisent ou sont dénigrés par les rabat-joie.
Non, il n’y a pas de hiérarchie, seulement le mérite d’autant de considération à la chaleur de l’intimité qu’au clinquant ou au m’as-tu-vu. Dans juste cinq milliards d’années, le soleil explosera, puis balayera tout de la terre sur laquelle nous dansons nos petits ballets. Rien n’est inscrit pour toujours dans les registres à souvenirs, ni dans le marbre, ni dans les Iphone. Notre éternité, elle est en nous. Plutôt que de la négliger, il est si vivifiant, chaleureux, de se constituer, tout en profitant du présent, cette réserve de petites éternités ineffables en communiant à la générosité artistique de bardes qui, comme le disait le poète Saint-Denys Garneau, « agissent vers la beauté », sans omettre cette autre beauté qu’est la justice sociale.
Enfin, certains comme Dylan ont le prix Nobel de littérature, d’autres comme Félix ne l’ont pas eu, mais tous comme Jofroi nous offrent de ces « petites éternités ».