Édition du 12 novembre 2024

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Planète

Nous avons trouvé 200 milliards pour financer la transition écologique et sociale !

A quelques jours de la semaine mondiale d’action contre l’évasion fiscale, Dominique Plihon présente le rapport publié cette semaine par Attac intitulé « Rendez l’argent ». Ce rapport démontre qu’il est possible – et urgent ! – de récupérer près de 200 milliards d’euros par an en France.

Tiré du blogue de l’auteur.

“Les caisses de l’Etat sont vides”, “L’Etat est en faillite”, tels sont les mantras répétés en boucle par certains candidats et les médias qui les soutiennent pendant cette campagne électorale. Pour François Fillon, « la dérive des dépenses publiques » justifie les coupes sombres de 100 milliards d’euros annoncées sur 5 ans. Emmanuel Macron et Marine Le Pen n’en proposent « que » 60 milliards. Ce qui veut dire diminuer le nombre de postes de fonctionnaires, couper les vivres aux collectivités locales, reculer encore l’âge de la retraite (François Fillon) ou supprimer la Sécurité sociale pour les étrangers arrivant en France (Marine Le Pen et François Fillon). 

Fin février, un rapport commandité par l’Institut de l’entreprise demande à nouveau de « réduire la dépense publique pour renouer avec la prospérité » : il a été rédigé par Michel Pébereau, ex-président de BNP Paribas, la banque n°1 de l’évasion fiscale.

Contrairement au discours dominant, il n’y a pas eu de « dérapage » des dépenses publiques qui sont restées stables depuis 25 ans, autour de 55% du PIB. Le niveau élevé des dépenses publiques en France correspond à un choix de société, auquel la population est attachée, avec une éducation et une santé publiques. Evidemment toute dépense publique n’est pas bonne par principe et on ne doit pas se passer d’un examen des dépenses inutiles. Certaines sont certainement à réorienter ou à supprimer. Mais il est indispensable de rappeler une réalité trop souvent ignorée : si les déficits et la dette ont flambé, c’est que les recettes publiques ont été progressivement érodées par les cadeaux fiscaux, l’évasion et la concurrence fiscales. 

En réalité, de l’argent, il y en a beaucoup, concentré entre quelques mains. L’actuel président de la République, autoproclamé "ennemi de la finance", n’a quasiment rien fait pour le récupérer. Pire, il a offert aux entreprises plus de 40 milliards de cadeaux fiscaux supplémentaires prélevés sur les salariés et la majorité des contribuables. Exaspérée, une partie des classes populaires se réfugie dans l’abstention ou, comme aux États-Unis, dans un vote nationaliste et raciste.

Ainsi, rien n’oblige à détruire l’emploi et les droits sociaux, à appauvrir les services publics ou à bloquer les investissements dont nous avons désespérément besoin pour engager la transition. L’argent est là, accumulé, dissimulé, évadé par les plus riches et les multinationales. L’impôt, qui devrait être vu comme une « contribution citoyenne », est discrédité par la fraude et l’évasion auxquelles se livrent les privilégiés. L’injustice fiscale sape les fondements du contrat social.

Déconstruire le discours dominant et récupérer l’argent public confisqué

Attac vient de publier un rapport « rendez l’argent », soutenu par plusieurs dizaines d’organisations du mouvement social et citoyen. Ce rapport déconstruit le discours dominant selon lequel l’Etat serait en faillite en raison de ses dépenses excessives. Prolongeant les conclusions du rapport d’audit citoyen sur la dette (https://france.attac.org/nos-publications/notes-et-rapports/article/que-faire-de-la-dette-un-audit-de-la-dette-publique-de-la-france), il montre que les déficits publics ne viennent pas de dépenses excessives, mais de l’argent public qui échappe aux caisses de l’Etat parce qu’il est détourné et confisqué au profit d’intérêts particuliers. Ce rapport montre qu’au moins 200 milliards d’euros peuvent être récupérés chaque année.Comment ? Par des mesures balisées et crédibles, qui pourraient être mises en œuvre par un gouvernement volontariste et poussé par les citoyen.ne.s, associations, mouvements et syndicats mobilisés en ce sens. Fiches techniques rigoureuses à l’appui, ce rapport détaille six mesures permettant d’atteindre cet objectif :

 une lutte efficace contre l’évasion fiscale (80 milliards d’euros)
une taxation de l’ensemble des transactions financières (36 milliards d’euros)     
 des réformes fiscales visant une plus juste distribution des revenus et des richesses (20 milliards d’euros)

 la suppression des niches fiscales les plus injustes et inefficaces (15 milliards d’euros, hors Pacte de responsabilité et CICE)

 parmi ces niches, en particulier, la suppression du Pacte de responsabilité et du CICE (40 milliards d’euros)

 la suppression des subventions directes et indirectes aux énergies fossiles (10 milliards d’euros)

Les mesures pointées dans le rapport ne sont pas uniquement destinées à remplir les caisses de l’Etat en récupérant plus de 200 milliards d’euros. Elles ont aussi pour objectif de lutter contre les inégalités, l’injustice fiscale, la spéculation, le réchauffement climatique.

Ces six mesures sont loin d’être exhaustives ! Il faut ajouter ainsi la nécessaire restructuration de la dette publique française : annuler la part de la dette détenue par les fonds spéculatifs, restructurer l’autre part détenue par des fonds de retraite et des épargnants moyens et petits, permettrait d’économiser une part substantielle de la charge des intérêts (environ 50 milliards d’euros par an) et de protéger l’Etat français de la pression des marchés financiers.

Une autre source importante d’argent public à récupérer est constituée par les grands projets inutiles (GPI), qui concernent les autoroutes, aéroports, réseaux ferrés, … Réalisés le plus souvent dans le cadre de partenariats public privé (PPP), ces GPI représentent un surcoût considérable pour l’Etat et les collectivités publiques sous forme de redevances exorbitantes payées à des grands groupes comme Vinci. Remettre en cause ces GPI et PPP serait un moyen efficace de récupérer l’argent du contribuable. 100 millions récupérés grâce à l’arrêt d’un GPI tel que la LGV Lyon-Turin représente le coût de deux collèges ou d’un parc éolien permettant d’alimenter en électricité plus de 100 000 habitants.

Mettre l’argent récupéré au service de l’intérêt général

Que représentent 200 milliards d’euros à récupérer chaque année ? Trois fois le déficit public annuel de la France. Ou encore, deux fois le budget de l’Education nationale. Ces 200 milliards d’euros doivent être ré-affectés à des dépenses d’intérêt général. Ils seraient alors l’occasion de nouvelles dépenses publiques répondant aux urgences sociales et écologiques, aux immenses défis auxquels notre société fait face. 

En liaison avec l’expertise des organisations regroupées dans l’espace commun « Nos droits contre leurs privilèges », le rapport a identifié six domaines qui correspondent à des besoins prioritaires pour affecter cet argent public récupéré. Ainsi, en partant des travaux du rapport « Un million d’emplois pour le climat »,105 milliards d’euros (fonds publics et privés) par an pourraient être affectés à l’emploi utile au service de la transition écologique (2). De même, l’éducation, la santé, le logement, la recherche publique, la solidarité internationale. Dans le domaine de l’éducation, un plan de 22 milliards d’euros permettrait d‘augmenter les dépenses par élève pour les mettre aux normes de l’OCDE, d’abaisser le nombre d’élèves par classe dans le premier et le second degré, et de mettre aux normes internationales l’enseignement supérieur en France. La France est également en retard dans le domaine de la recherche et développement (R&D). Le crédit d’impôt recherche (CIR) aux entreprises, n’est pas efficace et doit être réformé, et la recherche publique développée pour se situer au niveau moyen des pays avancés, ce qui représente une dépense de 12 miliards annuels. Un plan santé de 15 milliards d’euros par an est nécessaire pour compenser les réductions d’effectifs dans les professions de santé, mettre fin aux politiques d’austérité à l’hôpital, créer des centres de santé polyvalents et développer les soins à domicile. Pour stopper la dégradation des conditions de logement d’un grand nombre de résidents, un plan estimé de 10 à 15 milliards d’euros permettrait la mobilisation et la réquisition des logements vacants, réalisation de 200 000 logements sociaux par an à loyers réellement accessibles, renforcement des aides personnalisées au logement, financement d’un programme de réhabilitation et de mise aux normes du parc HLM… Enfin, la France doit respecter ses engagements dans le domaine de la solidarité internationale, ce qui implique en particulier de respecter l’objectif d’aide publique au développement de 0.7% du PIB, et d’aide aux ays du Sud dans le cadre du Fonds vert pour accompagner le financement de la transition énergétique. Ce plan a été estimé à 17 milliards d’euros par an. 

Bien entendu, ce mesures urgentes ne sont pas exhaustives et ne couvrent d’ailleurs pas l’intégralité des montants qui pourraient être récupérés ! Bien d’autres programmes pourraient être financés pour la transition, des politiques culturelles de qualité, la lutte contre les discriminations, l’aménagement du territoire et les transports publics,....

Ce rapport « rendez l’argent » montre ainsi, à contre-courant du discours dominant, qu’il existe une conception alternative des politiques à mener, en sortant du carcan néolibéral, et en mettant en avant l’intérêt général et la solidarité, plutôt que la défense des intérêts d’une minorité dont les privilèges doivent être remis en cause.

Dominique Plihon, porte-parole d’Attac France

Lire le rapport Rendez l’argent sur le site d’Attac

Du 1er au 7 avril, participez à la semaine mondiale d’action contre l’évasion fiscale

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