Édition du 23 avril 2024

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Le mouvement des femmes dans le monde

Pologne Sur l’avortement, les femmes font plier les conservateurs

Trois jours après des manifestations contre un projet de loi d’interdiction quasi totale de l’IVG, les députés polonais ont largement rejeté hier un texte qu’ils avaient pourtant adopté sans problème en première lecture. Le pays reste cependant l’un des plus durs en Europe sur cette question.

Source : L’Humanite.fr

La mobilisation a payé. Un peu plus de quarante-huit heures après d’impressionnantes manifestations, dans tout le pays, de femmes en colère contre l’imminence de l’adoption d’un projet de loi d’interdiction quasi totale de l’avortement, même en cas de viol, le Parlement polonais a opéré une spectaculaire volte-face. Hier matin, les députés d’un hémicycle largement dominé par les forces conservatrices du parti national-clérical Droit et Justice (PiS) et les populistes proches de l’extrême droite de Kukiz’15 ont rejeté très amplement un texte qu’ils avaient pourtant adopté sans barguigner en première lecture, le 23 septembre.

Selon le décompte, 352 députés de la majorité conservatrice et de l’opposition ont voté contre la proposition de loi. Cinquante-huit députés se sont prononcés pour son adoption, alors que 18 se sont abstenus. La loi en vigueur, une des plus restrictives en Europe en dehors de l’Irlande et de Malte, permet actuellement de procéder à un avortement dans trois cas : risque pour la vie ou la santé de la mère, examen prénatal indiquant une grave pathologie irréversible chez l’embryon et grossesse résultant d’un viol ou d’un inceste. Le nouveau texte n’aurait gardé que la première exception afin de sauver la vie de la mère. Il prévoyait aussi une peine de prison maximale de cinq ans pour les femmes, les médecins, ainsi que tout personne « aidante ». Il a été proposé à l’initiative d’associations anti-IVG après le recueil de 500 000 signatures citoyennes. Il n’est donc pas le fait du gouvernement conservateur qui n’a jamais évoqué un durcissement de la loi sur l’IVG. Cela n’a pourtant pas empêché l’adoption en première lecture de ce projet de loi, par 267 voix contre 154. Puis son renvoi en commission parlementaire.

« C’est la liberté et le droit de faire ses propres choix qui ont gagné »

Mercredi soir, la commission de la Justice et des Droits l’homme de l’Assemblée nationale (Sejm) a rejeté ce texte à la demande du député conservateur Witold Czarnecki. « Le PiS a mis sa conscience dans sa poche (...) parce qu’il a eu peur des femmes qui sont sorties dans la rue », a expliqué l’ancienne chef du gouvernement libéral Ewa Kopacz. « C’est la liberté et le droit de faire ses propres choix qui ont gagné », a-t-elle ajouté.

Victorieuses, les organisations féministes restent vigilantes

Plusieurs signes avant-coureurs laissaient présager une telle issue. Lors d’une conférence de presse, le ministre de la Science et de l’Enseignement supérieur avait reconnu que le « lundi noir », les 100 000 personnes descendues dans les rues avaient fait « réfléchir » la majorité et lui avaient donné une « leçon d’humilité ». Il avait assuré que, « à coup sûr, l’avortement ne sera pas interdit en cas de viol ou quand la vie ou la santé de la femme sont menacées ». Le ministre des Affaires étrangères, Witold Waszczykowski, qui avait ironisé le jour du « lundi noir » en déclarant « Laissez-les s’amuser (...), ces femmes se trompent si elles croient qu’il n’y pas en Pologne d’autres sujets de préoccupation plus importants », s’est ensuite fait tirer les oreilles par la première ministre, Beata Szydło. Elle l’a invité à « respecter les opinions différentes et écouter les différentes voix ». Le ministre des Affaires étrangères n’était sans doute pas au courant que le chef du PiS, Jaroslaw Kaczynski, l’homme fort de Varsovie qui tire les ficelles du pouvoir, avait décidé de mettre le holà.

Jaroslaw Kaczynski n’a jamais été très favorable au durcissement de la loi sur l’avortement qui avait le désavantage d’ouvrir un deuxième front de contestation en Europe après celui, toujours en cours, sur la réforme controversée du Tribunal constitutionnel. « Nous avons le plus grand respect pour les signataires de la proposition de loi, mais, en observant la situation sociale, nous constatons qu’elle conduirait à un processus dont l’effet serait contraire à ses objectifs », a-t-il dit.

Après cette victoire, les organisations féministes restent vigilantes et se demandent si le pouvoir ne va pas être tenté d’accorder des contreparties à son aile radicale et à l’Église. L’examen prochainement d’un autre projet de loi controversé, qui vise à restreindre considérablement la procréation médicalement assistée, apportera un début de réponse.

Damien Roustel

Journaliste au quotidien L’Humanité (France).

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