Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Après l’attentat de Québec

Pour conjurer la peur qui rode

Il y a des événements qui font irruption dans nos vies et qui, à la manière de puissants catalyseurs, nous font soudainement mieux voir ce qu’il en est des sociétés dans lesquelles nous vivons, des grandes questions et défis qui les traversent, ou encore des catastrophes qui les hantent. Tel pourrait bien être le cas de l’attentat meurtrier commis à l’encontre du Centre islamique culturel de Québec, le 29 janvier 2017, un attentat perpétré –une première au Canada— dans une mosquée musulmane et ayant conduit à la mort de 6 personnes.

Quoi en effet, au premier coup d’oeil, de plus stupéfiant que cette fusillade sauvage menée dans une petite ville comme Québec, plutôt connue pour sa bonhommie et sa convivialité, sa vie pacifiée ? En tous cas, se trouvant à 100 lieux du climat social qu’on peut ressentir par exemple aux États-Unis ou encore en France, là où les tensions raciales et culturelles sont autrement extrêmes et agressives.

Après tout le Québec, n’est-il pas souvent vu comme une société tolérante, se méfiant des extrêmes, adepte qu’elle fut dans le passé d’une « révolution tranquille », ou depuis, particulièrement créative et ouverte, lorsqu’il s’est agi de trouver des accommodements raisonnables au vivre-ensemble ?

Et que dire de l’auteur de l’attentat, ce terroriste québécois pure laine de 27 ans ? Étudiant en sciences politiques à l’université, d’un milieu plutôt aisé, il était inconnu des services de police et, semble-t-il, sans lien organisationnel avec une quelconque association sociale ou politique d’extrême droite. Et c’est lui qui, après la tuerie, a appelé la police pour qu’elle vienne l’arrêter. A priori, il y a de quoi rester pantois !

Le terreau fertile du populisme

Certes, on aura vite vu –à adopter un point de vue critique— que ce geste, pour être compris, doit être replacé dans un contexte social, politique et médiatique qu’on a bien souvent tendance à passer sous silence : celui au Québec de la montée de la droite et du populisme, et dans son sillage de la banalisation de la xénophobie voire du racisme, notamment par le biais de certaines radios dites « poubelles » ; le tout renforcé par l’arrivée fracassante aux États-Unis d’un Président « narcissique, mythomane et agressif », résolument anti émigrants et anti femmes. De quoi rappeler au passage que les immigrants au Québec, et particulièrement ceux et celles de confession musulmane, restent bien souvent victimes de discrimination systémique.
Mais, peut-on en rester, pour rendre compte de ce qui se joue autour de cet attentat, à ce seul type d’explication ?

Un sourd malaise collectif

Il faut le dire, c’est ce sur quoi l’on n’insiste pas assez : nos sociétés contemporaines sont depuis quelques années hantées par un sourd malaise collectif ; un malaise provenant bien sûr des dérèglements économiques injustes et inégalitaires du capitalisme néolibéral, mais aussi de la perte de sens et du délitement des liens sociaux et du vivre ensemble que ce système a aussi fini par installer ; un malaise surtout qui fait naître la peur et alimente « les désirs de clôtures », le besoin de se protéger coûte que coûte de ce qui semble nous agresser.

Au Québec, on y est particulièrement sensible. Petite nation en mal de souveraineté et d’affirmation collective, on ressent donc particulièrement cette peur, avec à la clef les sourdes tentations de replis identitaires et communautaristes touchant bien sûr nombre de Québécois, mais pas seulement de larges franges des communautés culturelles du Québec, elles-mêmes. En ce sens la peur n’est pas seulement le lot d’une majorité blanche, elle est le lot de tous et toutes et elles s’enracinent, non pas d’abord dans le religieux, mais dans des conditions économiques, sociales et culturelles qui n’ont fait que se dégrader ces dernières années.

Aussi le problème de fond auquel nous sommes confrontés aujourd’hui est celui de la peur : comment lutter contre cette peur, en faire une peur qui éveille », et non pas une peur qui alimente désirs de « murs » et volontés de replis ; ou encore qui ressasse, au nom de la rectitude politique, culpabilisation maladive et souci obsessionnel des apparences ? C’est le célèbre historien français Patrick Boucheron qui nous le rappelle en commentant son livre Conjurer la peur1 : il existe « une angoisse sourde qu’on doit « aérer », en faisant quelque chose ensemble ».

Mettre en route une politique de l’égalité

Or, comme on le sait, ce qui peut nous permettre de faire quelque chose ensemble, de «  rassembler en période de gros temps des énergies et de prendre des décisions », ce ne sont pas les religions, mais bien la politique, pensée au sens noble du terme, comme expression démocratique du pouvoir que se donne une collectivité donnée.

Et là, il est impossible de ne pas voir tout ce que n’ont pas fait ou mal fait les partis politiques au pouvoir à Québec, depuis par exemple 2007 et les travaux de la commission Taylor Bouchard. Plutôt que d’utiliser la peur, comme un outil de mobilisation pour nous mettre en mouvement collectivement et en affronter de manière active les effets pervers, ils l’ont, soit minimisée comme le PLQ (au nom d’un multiculturalisme éthéré), soit au contraire alimentée de manière malsaine et victimisante comme le PQ (à travers une charte aux penchants ouvertement identitaires). Laissant ainsi se développer toutes les conditions ayant permis à ce qu’ advienne un attentat comme celui de Québec.

Dans ce contexte, et au-delà de tous les vertueux appels à la tolérance qui résonnent dans le sillage des émois collectifs suscités par cet attentat, on comprendra toute l’importance d’un projet politique de fond qui chercherait à installer les conditions d’une véritable égalité, économique, sociale et culturelle entre citoyens et citoyennes du Québec.

Pour conjurer la catastrophe qui vient, ne serait-il pas temps de lui donner enfin sa chance ?

Pierre Mouterde
Sociologue et essayiste.

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

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