Édition du 16 avril 2024

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Proche-Orient

« Pour les puissants, les seuls crimes sont ceux que les autres commettent »

Avec ses flaques de sang et ses villes en flamme, la nouvelle nous est arrivée au petit matin, à la manière d’un cri, d’une bouffée d’impuissance. Au milieu de l’insouciance estivale de ces vacances 2006, qui d’entre nous n’a pas secrètement ragé, ou bien frémi ? Après l’invasion de la bande de Gaza palestinienne, c’est au tour du Liban de faire (refaire !) les frais des politiques d’agression de l’armée israélienne.

À croire que le conflit irakien, parrainé par les USA d’Amérique et ses 120 000 soldats d’occupation, a ravivé au Moyen-Orient les logiques guerrières, encourageant l’impunité et le cercle vicieux de la violence vengeresse, semant sans désemparer la désolation.

Le discours des puissants

Bien sûr pour cautionner le tout, ce que vous entendrez d’abord, c’est le discours des puissants, celui des vainqueurs. Partout présent, partout hégémonique, à fleur de médias il ne cesse d’en remettre : rengaine qui donne pour une évidence ce qui n’est qu’obscénité et scandale. Les terroristes du Hezbollah, explique-t-on à qui veut bien l’entendre, aurait pris la population civile du Liban en otage, et l’intervention armée serait le seul moyen pour l’État d’Israël de se protéger. Pour deux soldats israéliens arrêtés et emprisonnés alors qu’ils avaient franchi la frontière libanaise, il y aurait donc à ce jour quelques 300 civils libanais assassinés. Sans vergogne on trouvera à justifier le geste avec assurance, loin non seulement de toute légalité internationale (combien de résolutions de l’ONU l’État d’Israël a-t-il foulé au pied ?), mais aussi de toute légitimité quelle qu’elle soit. Avec l’assentiment (ou le silence complice !) de presque tous les grands de ce monde, Stephen Harper compris !

Noam Chomsky résume cela dans une formule choc : « Pour les puissants, les seuls crimes sont ceux que les autres commettent ». Parce qu’on ne peut quand même pas rayer d’un seul coup l’histoire et oublier les défaites sur défaites que depuis plus de 50 ans n’a cessé de subir le peuple palestinien, expulsé de chez lui, forcé à l’exil, parqué dans des camps, puis enfermé aujourd’hui dans de véritables bantoustans (la bande de Gaza, la Cisjordanie) qui n’ont d’État que le nom et où il manque de tout pour ne serait-ce que survivre : terres, routes, hôpitaux, écoles, travail, eau, nourriture, etc.

Un État prédateur et guerrier

Contre tous les « politiquement correct » et prudences hypocrites de tant de commentateurs et plumitifs aux ordres, c’est ce qu’il faut oser rappeler. Et sans que cela, bien entendu, ne brime le droit du peuple israélien de vivre en paix.

Les politiques de l’Israël d’aujourd’hui sont les politiques d’un État prédateur et guerrier, obéissant aux intérêts bien comptés de lobbies intégristes et religieux de droite ou d’extrême droite, eux-mêmes étroitement liés aux politiques impériales et néo-conservatrices des États-Unis d’Amérique. Ce sont ces politiques qui ont permis l’institutionnalisation d’un véritable terrorisme d’État « made in Israël » trouvant dans son adversaire de l’heure, le Hamas et le Hezbollah, sa justification et son auto perpétuation. Ce sont aussi ces politiques qui ont rendu possible la prise en otage de tout un peuple (oui, il y a des gens de gauche en Israël qui souhaitent vivre en paix avec les Palestiniens !), en l’enfermant dans une spirale de la peur infernale qui paralyse toute solution négociée. Ce sont enfin ces politiques qui ont fait de la stratégie de « la guerre préventive » initiée depuis le 11 septembre 2001 par les troupes US, la nouvelle norme d’intervention géopolitique d’Israël. On ne prétend même plus faire la guerre pour installer la paix. Non, l’ennemi poursuivi -le terrorisme — étant si insaisissable et mouvant, il ne reste plus qu’à lui faire la guerre de manière permanente. Avec à l’horizon le spectre de la guerre infinie et de la violence mimétique. Telle est la médecine que le Liban est à son tour en train de connaître.

Se poser en victime ?

Et qu’on n’aille pas ici « se poser en victime », en nous rappelant en guise de suprême argument —ou plutôt d’odieux chantage— le droit d’Israël d’exister ainsi que les incommensurables misères endurées par le peuple juif en son temps.

En 2006 la question n’est pas d’abord là. Ce n’est pas l’existence d’Israël qui est aujourd’hui en danger -bardée de l’arme nucléaire et d’une protection US indéfectible— mais bien celle du peuple palestinien et dans son sillage du peuple libanais. Et s’il y a une question à se poser, elle est d’une tout autre nature, si taboue pourtant qu’elle a coûté de longues années de poursuite judiciaire au philosophe Edgar Morin et quelques autres intellectuels (qui viennent cependant d’être blanchis devant les tribunaux) pour s’être demandés publiquement en 2002 comment il avait été possible « qu’une nation de fugitifs issus du peuple le plus longtemps persécuté dans l’histoire de l’humanité (...) soit capable de se transformer en deux générations en peuple dominateur et sûr de lui, (...) [et que] les juifs qui furent victimes d’un ordre impitoyable imposent leur ordre impitoyable aux Palestiniens ».

Avec le Liban en flamme et ses plusieurs centaines de civils massacrés (des femmes, des enfants, des familles !) par l’armée du « Tsahal », cette question ne peut être que la nôtre ainsi que celle de tous ceux qui aspirent à la paix. Ils sont innombrables, non seulement en Palestine, mais aussi au Liban et en Israël. Mais parce que la paix a ses exigences, ils ne pourront pas ne pas réaliser qu’elle ne peut se construire que loin de tous les intégrismes de droite et d’extrême droite, loin de toutes les volontés impériales et terrorismes d’État. En ces jours de battage médiatique éhonté, qui osera le rappeler sans baisser la tête ?

Mots-clés : Liban Proche-Orient
Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

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