Édition du 15 octobre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Débats

Pour un vrai mouvement internationaliste de défense des Palestiniens et des Ukrainiens !

La journée du vendredi 22 mars a vu se produire plusieurs faits importants d’ordre militaro- diplomatique. Celui qui a fait le plus de bruit n’est pas le plus clair. Le massacre d’environ 70 personnes dans une grande salle de concert de la périphérie de Moscou est revendiqué par Daesh après que les médias russes ont entrepris de le mettre sur le dos des Ukrainiens, et alors que l’ambassade US à Moscou alertait publiquement sur un risque d’attentat depuis quelques jours. Nous verrons comment, une semaine après sa prétendue « réélection » par une fraude d’État d’une ampleur historique, et un peu plus d’un mois après l’assassinat de Navalny et les manifestations massives qu’il a suscitées en Russie, le régime poutinien va utiliser cet attentat.

23 mars 2024 | tiré du site aplutsoc | Photomontage : À gauche, la voiture dans laquelle Hind Rajab (à droite), 6 ans, et cinq membres de sa famille sont morts. © Photomontage Armel Baudet / Mediapart avec AFP
https://aplutsoc.org/2024/03/23/pour-un-vrai-mouvement-internationaliste-de-defense-des-palestiniens-et-des-ukrainiens/

Auparavant, dans la journée, deux faits d’une grande importance s’étaient produits. En Russie, le pouvoir a officialisé l’emploi du terme « guerre » pour son « opération militaire spéciale », en prétendant que la guerre est menée, en Ukraine, par « l’Occident global » contre le « monde russe » (et ses alliés « multipolaires »).

Et une résolution pour un cessez-le-feu à Gaza, visant à bloquer l’offensive israélienne en préparation contre Rafah, c’est-à-dire l’achèvement de la destruction de tout habitat humain dans la bande de Gaza en vue d’en chasser les habitants, a été déposée au Conseil de sécurité de l’ONU. Elle a été, comme d’habitude, repoussée. Un non-évènement, un rituel ? Non, car la résolution était américaine. Les deux votes contre de membres avec droit de veto (plus l’Algérie) étaient ceux de la Russie suivie de la Chine. L’inverse du rituel habituel !

Le motif russe allégué : quand ce sont les États-Unis qui déposent une telle résolution, elle est « hypocrite » et il faut donc voter contre !

Formidable démonstration : il est montré au grand jour que jusque-là, TOUTES les résolutions appuyées ou proposées par la Russie et la Chine pour un cessez-le-feu l’ont été en escomptant bien qu’elles ne passeraient pas, bloquées par les États-Unis, lesquels, de 1967 au 22 mars 2024, ont en effet barré toute résolution exécutoire du Conseil de sécurité à l’encontre de la politique d’occupation israélienne avec ses conséquences : colonisation, ségrégation, crimes contre l’humanité.

Le but n’était pas, il n’a jamais été, de sauver et d’aider les Palestiniens. Il était, il a toujours été, de les utiliser comme moyen mondial de propagande au service de l’ordre existant, dans le monde arabe et partout. En escomptant bien que l’État et l’armée israéliens continuent à les persécuter !

Mais pourquoi ce changement dans la position des États-Unis ? Pas seulement parce que Netanyahou agace Biden. Mais parce que, dans la confrontation « multipolaire » des impérialismes, les États-Unis deviennent perdants au fur et à mesure que se prolonge le massacre à Gaza, et, pire encore, leur propre crise interne en est aggravée, Trump ayant affiché clairement la ligne de soutien total à la réalisation des menaces génocidaires visant tant les Ukrainiens que les Palestiniens.

Déjà engagé dans une confrontation avec l’Iran dont le principal terrain est l’affrontement avec les Houthis autour du détroit de Bab-el-Mandeb, les Etats-Unis ont reçu un clair signal d’alarme avec la rupture par le Niger, plusieurs mois après celle visant la France, de sa coopération militaire avec les États-Unis, imposant le prochain départ des troupes US d’Agadez. Poutine « réélu » semble préparer une mobilisation militaire plus importante et accentue la pression meurtrière sur l’Ukraine, menaçant de rompre le front soit vers Kharkiv, soit vers Odessa en relation, dans ce cas, avec les menaces visant la Moldavie. Et d’autre part le régime nord-coréen a créé depuis des semaines les conditions d’une crise dans la péninsule qui finirait de coincer la Chine dans l’alliance eurasiatique avec la Russie et l’Iran, alors même que son aviation militaire tourne autour de Taïwan.

Quelle est la voie efficace pour la défense des Palestiniens ? Le but immédiat doit bien sûr être un cessez-le-feu, au-delà des discussions sur les perspectives ultérieures permettant de garantir les droits démocratiques et nationaux des Palestiniens et des Judéo-israéliens. Jusque-là, le verrou contre un cessez-le-feu était à Washington. Le début de tournant de Washington, appelé depuis quelques jours d’ailleurs par la vice-présidente Kamala Harris, n’est pas provoqué par les manifestations dites pro-palestiniennes aux États-Unis ou ailleurs, mais par l’évolution géopolitique provoquée par la polarisation sur Gaza, au bénéfice du régime poutinien avant tout, et par ses répercussions sur la crise aux sommets aux États-Unis en pleine campagne présidentielle avec la « question Trump », et dans ce cadre par les risques de recul électoral des Démocrates dans des secteurs de la jeunesse universitaire et des couches afro-américaines et musulmanes.

Ces faits donnent une leçon. On a entendu répéter sur tous les tons, depuis le 7 octobre 2023, qu’on ne pourrait rien comprendre aux crimes du Hamas suivis des crimes de l’armée israélienne sans tout situer dans « le contexte » de la colonisation, remontant (au moins) jusqu’en 1948. La répétition d’un tel truisme avait en réalité pour fonction de tenter d’interdire de comprendre l’opération pogromiste du Hamas et ses suites prévisibles dans son cadre réel, qui ne se réduit pas au seul territoire palestino-israélien mais se situe dans le cadre mondial de la crise du capitalisme, de la lutte des classes et des confrontations entre États. Le 7 octobre a ouvert une phase mondiale de réaction, qui porte en elle la guerre mondiale et qui se heurte à la lutte sociale des opprimés – des grèves américaines à celles des collèges de Seine-Saint-Denis – et tout particulièrement à la résistance ukrainienne, qu’elle vise soit à submerger, soit à lui imposer un « cessez-le-feu » qui, ici, ne serait rien d’autre que la garantie de l’écrasement des populations (à l’inverse de celui qu’il faut exiger à Gaza).

La faillite du « mouvement pro-palestinien » est profonde : il ne sert à rien pour les Palestiniens tant qu’il est aligné sur la logique des camps géostratégiques en taisant le rôle du Hamas et en se focalisant sur le seul Genocide Joe que n’est pas Joe Biden, qui n’est pas non plus, bien sûr, le père Noël, mais seulement le chef d’État flageolant de la première puissance impérialiste en crise. Pire, le « mouvement pro-palestinien » tel qu’il s’est reproduit suite au 7 octobre 2023, ouvre les vannes de l’antisémitisme et interdit systématiquement de relier la cause palestinienne à la défense des autres peuples opprimés, non seulement les Ukrainiens, mais même les Palestiniens lorsqu’ils sont massacrés et torturés par des pouvoirs non juifs, comme en Syrie. La célébration du culte des « enfants massacrés » à Gaza suppose que le massacre continue : ainsi fétichisée, la « cause palestinienne » vise à se nourrir de la souffrance palestinienne (à condition que l’on puisse tenir les Juifs pour responsables), pas à les défendre sérieusement et à les aider à s’organiser eux-mêmes pour leur souveraineté et leurs droits démocratiques, contre Israël et contre le Hamas. Certes, toutes les organisations et tous les secteurs militants appelant à manifester ne sont pas à loger à la même enseigne, et beaucoup cherchent à agir pour un cessez-le-feu immédiat, mais la tonalité dominante et finalement retenue est malheureusement celle-ci, pour une raison politique : l’absence de toute « contextualisation » réelle des évènements se produisant en Palestine dans la situation mondiale.

Disons le brutalement, en comprenant bien sûr que des millions de jeunes et de moins jeunes cherchent sincèrement à agir dans ces manifestations : la répétition mécanique des « manifestations pro-palestiniennes » déclenchée par le 7 octobre n’a pas servi à protéger et à aider les Palestiniens. Oui, il faut manifester pour les Palestiniens, il s’agit de gagner et pas de reproduire l’ordre existant et la souffrance palestinienne !

Les Palestiniens ont besoin d’une solidarité internationaliste efficace. Une solidarité internationaliste efficace pour les Palestiniens doit taper là où ça peut craquer :

  • exiger de Joe Biden la pression pour un cessez-le-feu immédiat ;
  • stopper l’envoi d’armes à Israël alors que c’est l’Ukraine qui en a besoin ;
  • exiger que les moyens militaires et autres porte-avions français servent à sécuriser le ravitaillement de Gaza ;
  • lier le soutien aux Palestiniens au soutien aux Ukrainiens et, envers les Palestiniens, soutenir les revendications nationales démocratiques et pas les programmes islamistes visant à les opprimer ;
  • soutenir, dans le même esprit, la cause des femmes palestiniennes comme iraniennes ;
  • ne surtout pas taire la question des otages ou celles des viols commis le 7 octobre ;
  • rechercher systématiquement la solidarité syndicale concrète et les contacts intersyndicaux ;
  • soutenir les oppositions démocratiques dans la société israélienne et les mouvements tels que Standing together ;
  • ne pas faire du « sionisme » un objet fétiche diabolisé mais dénoncer frontalement le colonialisme, le racisme et l’apartheid.

Avec la question ukrainienne, la question palestinienne soulève douloureusement et immédiatement la nécessité de reconstruire le véritable internationalisme.

VP et OD, le 23/03/2024.

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