Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Santé

Quand la marchandisation de la santé passe la facture

Quelque chose de malheureux est bon parfois. La crise en cours est une opportunité de repenser notre système de santé publique et les pratiques malsaines qui l’enveniment.

Parmi ces pratiques, le statut des médecins est un problème de longue date qui nuit présentement à notre système de santé publique. La marchandisation de la santé transforme graduellement le droit à la santé en un droit économique marchand soumis à la loi de l’offre et de la demande. Dans ce système, le médecin est encouragé en tant qu’entrepreneur à vendre son expertise médicale comme n’importe quel produit. Cette marchandisation a transformé la relation entre le patient et le médecin, qui sont désormais insérés dans une relation de consommateur et fournisseur de service. Le médecin a l’expertise et le pouvoir d’intervention. Ce statut lui confère un pouvoir de monopole, qui induit une hausse des prix et nuit au bienêtre des patients.

Au Québec, les médecins ont le statut de travailleurs autonomes. Ils sont rémunérés par la Régie de l’assurance-maladie du Québec par acte médical accompli. Cette idée du médecin entrepreneur a atteint son paroxysme en 2007 à la suite des négociations avec le gouvernement de Jean Charest durant lesquelles ils obtiennent une hausse de salaire disproportionnée. La rémunération des médecins spécialistes et des omnipraticiens a connu une hausse de 77% et 58% respectivement en dix ans (1).

À cette hausse démesurée des « médecins entrepreneurs » s’ajoutent certaines méthodes d’enrichissement dont certaines sont illégales, bien que tolérées, comme les frais accessoires. L’État étant incapable de faire un suivi rigoureux de la facturation, ces défaillances ont ouvert la voie à des firmes spécialisées dans la facturation médicale qui promettent aux médecins une maximisation des remboursements. La marchandisation de la santé a créé une classe de médecins semblables à une bourgeoisie qui voit désormais le milieu comme une affaire lucrative.

Bien qu’ils pratiquent dans des établissements publics et qu’ils soient entourés d’autres professionnels de la santé considérés comme fonctionnaires, les médecins jouissent d’un traitement spécial. Ce salaire et liberté seraient justifiés par le fait que les médecins sauvent des vies.

Cependant, ils ne sont pas seuls. L’État a longtemps ignoré une variété de professionnels mettant eux aussi la main à la pâte en vue de contribuer au maintien de la vie et leur travail n’est pas reconnu à sa juste valeur. Des préposés à la salubrité, en passant par les préposés aux bénéficiaires et les infirmiers jusqu’aux médecins, dans le milieu de la santé, ils ont tous un rôle à jouer. Sans la désinfection des chambres, les évaluations de l’état de santé continuelle des patients, ni les soins quotidiens, le médecin ne pourrait pas faire son travail.

C’est la synergie collective des travailleurs dans le réseau qui permet de sauver des vies. Pourtant en tant que fonctionnaires, ces salariés ont vu leurs conditions de travail et rémunérations affectés par le « dégraissement de l’État » qui s’opère depuis le virage néolibéral. Aujourd’hui, il faudrait respectivement le salaire de 5 infirmières ou de 8 préposées aux bénéficiaires pour égaler le salaire
moyen d’un médecin (2).

Derrière le manque actuel de personnel pour ces postes, il y a un problème
flagrant de rétention et d’attraction de la main d’œuvre pour ces emplois. Afin d’intervenir sérieusement dans ce problème et améliorer la performance du système, l’intervention gouvernementale devra être coordonnée et systémique quant aux modes de rémunération.

Présentement, les conditions de travail pour ces emplois ne sont pas attrayantes, car après tout qui voudrait occuper un poste dans lequel l’épuisement physique, la détresse psychologique et les problèmes musculo-squelettiques sont si récurrents et ce pour un salaire aussi bas.

Pire encore, les différentes réformes de restructuration inspirées par la gestion du secteur privé ont déshumanisé le réseau. En abolissant des institutions comme le Commissaire à la santé et au bienêtre, cette nouvelle forme de gestion technocratique a handicapé le réseau d’un instrument démocratique dont la mission était celle de consulter les citoyens et autres acteurs du réseau de la santé sur l’état du système. Les employés sont désormais considérés comme des outils de productivité sans aucune possibilité d’être entendus dans le réseau ni de faire preuve de jugement en dehors du modèle de subordination fixé. La centralisation du réseau dans les dernières années a provoqué aussi un sentiment de « dépossession » ressentie par la population, qui n’est plus consultée et ignore tout simplement comment les décisions sont prises.

Ce qui nous amène actuellement à la crise de notre système de santé durant cette pandémie. Dans laquelle, le gouvernement supplie ses médecins de faire le travail des infirmiers et des préposés pour 2500$ par jour dans les CHSLD. Un système qui laisse les CHSLD sans le personnel nécessaire ce qui coute la vie des personnes âgées vivant dans ces résidences. Des CIUSSS mal organisés avec un pareil bureaucratique très complexe incapables d’agir rapidement et incapables de rendre des comptes à la population. En traitant ses médecins comme des entrepreneurs, ses fonctionnaires comme robots et ses installations comme des entreprises, l’État est aujourd’hui contraint de payer la facture pour la marchandisation de son système de santé.

Notes

1- ICI.Radio-Canada.ca, Zone Santé. 2018. « Le fossé de la rémunération se creuse entre médecins et infirmières ». Radio-Canada.ca. Consulté le 22 avril 2020. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1097297/remunerationmedecins-infirmieres-systeme-de-sante-quebec.

2- ICI.Radio-Canada.ca, Zone Santé. 2018. « Le fossé de la rémunération se creuse entre médecins et infirmières ». Radio-Canada.ca. Consulté le 22 avril 2020. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1097297/remuneration-

Bibliographie

Batifoulier, Philippe. 2012. « Le marché de la santé et la reconstruction de l’interaction patientmédecin ». Revue Francaise de Socio-Economie n° 10 (2) : 155‑74.

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ICI.Radio-Canada.ca, Zone Santé. 2018. « Le fossé de la rémunération se creuse entre médecins et infirmières ». Radio-Canada.ca. Consulté le 22 avril 2020. https://ici.radiocanada.ca/nouvelle/1097297/remuneration-medecins-infirmieres-systeme-de-santequebec.

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https://www.lesechos.fr/2003/12/la-sante-letat-ou-le-marche-1060231.
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Le Soleil. 2020. « Le gouvernement Legault supplie les médecins d’aller « en mission humanitaire dans les CHSLD » [VIDÉO] ». Consulté le 15 avril 2020.
https://www.lesoleil.com/actualite/le-gouvernement-legault-supplie-les-medecins-dalleren-mission-humanitaire-dans-les-chsld-video-50ea95253a1da8a963cfcb396a57678a.

Lemay, Éric Yvan. s. d. « La réforme Barrette a eu un impact négatif sur la santé publique ». Le Journal de Montréal. Consulté le 22 avril 2020.
https://www.journaldemontreal.com/2020/04/20/la-reforme-barrette-a-eu-un-impactnegatif-sur-la-sante-publique.

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https://www.lapresse.ca/covid-19/202004/20/01-5270196-les-ciusss-et-la-lourdecentralisation.php.

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Vadeboncoeur, Alain. 2020. « Frais accessoires  : toujours pas simple, un an plus tard ». L’actualité. Consulté le 22 avril 2020. https://lactualite.com/sante-et-science/fraisaccessoires-toujours-pas-simple-un-an-plus-tard/.

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