Par Mohamed AG Ahmedou, journaliste, acteur de la société civile malienne.
Une diplomatie marocaine en porte-à-faux :
Rabat, 2–3 décembre 2025.Dans la capitale marocaine, la Conférence sur les victimes africaines du terrorisme se voulait un espace de vérité, de compassion et de reconnaissance. Pourtant, l’image qui a dominé cet événement est celle d’un paradoxe : la participation officielle de l’auto proclamé, Général de Corps d’Armée Ismaël Wagué, ministre de la Réconciliation d’un régime illégal du Mali et figure centrale du régime militaire, à un rendez-vous consacré… aux victimes d’actes terroristes.
L’information, relayée via la page Facebook du gouvernement malien, un outil de communication utilisé de façon contestée par la junte, a provoqué incompréhension et indignation, notamment parmi les communautés les plus touchées par les exactions au Mali.
Car derrière les formules officielles sur « la paix » et « la lutte contre l’extrémisme », se cache une réalité diamétralement opposée : la junte malienne est devenue elle-même un producteur de violences massives contre les civils.
À Rabat, les massacres perpétrés par l’armée malienne sont restés hors-champ :
L’invitation du régime malien prend un relief tragique à l’aune des événements récents.Depuis des mois, les frappes de drones de l’armée malienne, parfois coordonnées avec les mercenaires russes d’Africa Corps (ex-Wagner), bombardent non pas les katibas jihadistes, mais des mariages, des foires hebdomadaires et des hameaux touaregs, arabes et peuls.
Parmi les épisodes les plus marquants :
La localité de Gossi, situé dans la région du Liptako Gourma de Tombouctou, le 30 octobre 2025 : 19 morts lors d’une célébration de mariage, visées par un drone de l’armée malienne.
Zouéra, 8 juillet 2025 : la foire hebdomadaire bombardée par un drone de l’armée tuant 4 personnes dont trois filles mineures.
Émimalane, 24 octobre 2025 : frappe meurtrière.
Tangata, 13 novembre 2025 : une famille de 7 personnes tuée, dont 5 enfants.
14 novembre 2025 : 6 femmes et un bébé tués dans une frappe ciblant un campement dans la localité de Eghachar N’Tirikene dans le département de Gargando situé dans l’ouest de la région de Tombouctou au Mali.
Nijhaltate, 26 novembre 2025 : femmes, hommes et enfants exécutés lors d’une opération punitive menée conjointement par l’armée malienne et Africa Corps.
Selon une enquête citée dans la presse américaine à travers l’agence Associated Press, plus de 5 000 civils auraient été tués depuis 2022 par ces opérations menées par Bamako et ses alliés russes.
Aucun de ces massacres n’a été mentionné à Rabat.
Un ministre de la Paix représentant un régime accusé de terreur :
L’ironie, sinistre, est flagrante : Ismaël Wagué, ministre de la Réconciliation, intervient à une conférence sur les victimes du terrorisme alors que son gouvernement est accusé de pratiques que de nombreux acteurs qualifient de terrorisme d’État.
Sa présence, affirment plusieurs observateurs, relève moins de la diplomatie que d’une stratégie de légitimation internationale de la junte.
Une source politique malienne confie :
« Le Maroc profite du gel des relations entre le Mali et l’Algérie pour afficher sa fidélité à la junte, sans mesurer le degré de pourrissement du régime. Cette junte autocratique et sanguinaire traverse la période la plus sombre de l’histoire du Mali. Les pays qui la soutiennent aujourd’hui devront répondre demain de ce choix. »
Rabat joue une carte diplomatique risquée :
Le Maroc, engagé depuis une décennie dans une politique d’influence en Afrique de l’Ouest, a saisi l’occasion du vide diplomatique créé par la rupture entre Bamako et Alger et d’autres pays comme la Mauritanie et de l’Afrique de l’ouest pour renforcer ses liens avec les autorités maliennes.
Mais en donnant une tribune à un responsable militaire mis en cause dans des crimes contre des civils, Rabat prend plusieurs risques :
Un risque moral : associer son image à un régime accusé d’atrocités ;
Un risque politique : parier sur une junte isolée et instable ;
Un risque symbolique : transformer une conférence dédiée aux victimes en tribune d’un bourreau présumé.
Pour beaucoup d’observateurs, cette invitation rappelle combien la géopolitique régionale s’accommode parfois de ce qu’elle devrait condamner.
Les vraies victimes, grandes absentes de Rabat :
En théorie, la conférence avait pour vocation de donner une voix aux victimes du terrorisme en Afrique.En pratique, elle a soigneusement évité d’évoquer les violences commises par :
la junte militaire malienne, les mercenaires russes d’Africa Corps, les milices supplétives de Wagner et d’autres, les bombardements indiscriminés, mais aussi les exactions du JNIM, que les populations civiles subissent de manière cumulative.
Les survivants de Mourra, Mourdia, Sebabougou, Inagozmi , Amasrakad, Gossi, de Nijhaltate ou de Tangata, eux, n’ont pas été invités.Leurs morts n’ont pas été nommées.Leurs récits n’ont pas été entendus.
Les victimes que Rabat n’a pas évoquées :
Gossi (30 octobre 2025)19 morts lors d’un mariage frappé par un drone malien.
Zouéra (8 juillet 2025)Foire hebdomadaire bombardée.
Émimalane (24 octobre 2025)Plusieurs civils tués dans une frappe de drone.
Tangata (13 novembre 2025)7 morts d’une même famille, dont 5 enfants.
Campement nomade à Eghachar N’Tirikene (14 novembre 2025)6 femmes et un bébé tués par une frappe malienne dans l’ouest de la ville de Tombouctou.
Nijhaltate (26 novembre 2025)Femmes, hommes et enfants tués dans une opération russo-malienne.
Total estimé depuis 2022 : plus de 5 000 civils tués par des opérations menées par l’armée malienne et Africa Corps selon l’agence américaine Associated Press.
Une conférence dévoyée par le silence :
En invitant Ismaël Wagué, le Maroc a offert à la junte malienne une visibilité internationale que les victimes maliennes, elles, n’ont toujours pas.L’événement de Rabat restera comme un moment où l’on a parlé du terrorisme sans évoquer les victimes de la terreur d’État, où la diplomatie a prévalu sur la vérité, et où la politique a fait taire les morts.
Tant que les conférences sur les victimes éviteront de nommer les responsables, elles ne seront que des vitrines diplomatiques, jamais des tribunes de justice.
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